Perdiccas et la légende de la fondation du royaume de Macédoine
A l'occasion du grand rendez-vous de l'exposition au Louvre consacrée à Alexandre le Grand et à la Macédoine antique, il était impossible, pour moi, grand admirateur du géant Macédonien, de ne pas revenir sur l’événement. Cependant, plutôt que de vous parler d'Alexandre, j'aimerais, cette fois, vous conter la genèse de ce petit royaume, au nord des cités grecques, qui vit naître Philippe et son fils : la Macédoine. Si les Grecs ont longtemps considéré les macédoniens comme de simples barbares, ils ont pourtant en commun bon nombre d'histoires, telle la fondation des cités grecques par des héros ou la création de la Macédoine tout aussi poétique, romanesque et ... homérique !
Tout remonte au VIIIe ou VIIe siècle avant notre ère. Bien avant Alexandre, bien avant Périclès, alors que les cités grecques ne sont encore que des villages et que les âges obscurs entourent la Grèce dans un voile impénétrable et ténébreux. Point de démocratie ni de philosophes déclamant leur vérité en bas des acropoles. Tout juste la maison des chefs se distingue-t-elle de ses voisines. Les dieux sont toujours présents et le souvenir d'Héraclès, Achille et Agamemnon accompagnent le quotidien de ces gens-là. Les Mycéniens ont laissé la place aux balbutiements des puissances montantes telles Athènes, Sparte ou Thèbes. Au nord, la Macédoine n'existe pas encore. Y vivent des paysans, des éleveurs administrés par l'autorité de grands chefs locaux dont le pouvoir semble bien instable. Ce petit monde essaie de survivre, faisant face à la nature et à la belligérance de leurs voisins. Alors on s'attaque, on se pille, on se révolte, ce qui met en marche des centaines de personnes qui vagabondent de village en village, à la recherche d'une activité et d'une protection.
C'est dans ce contexte bien instable que commence notre histoire. Trois frères d'origine grecque quittent Argos pour chercher fortune et bonheur. Ils aiment raconter qu'ils descendent de Téménus - héros argien inconnu - dont l’arrière arrière-grand-père n'était autre qu'Héraclès, fils du dieu des dieux, Zeus. L'un se prénomme Gayanes, l'autre Aéropus et le troisième Perdiccas. Ce dernier est le plus habile, le plus intelligent et le plus avenant des trois. Et bien que les trois frères tirent de leur lien indéfectible leur force, Perdiccas sera amener à rester le seul fondateur du royaume de Macédoine. Il est en somme le plus ancien parent connu de la lignée qui amènera sur le trône Philippe puis Alexandre.
Ils posent finalement leur valise au nord du golfe de Salonique, dans une petite cité - non située aujourd'hui - du nom de Lébéa. Le chef les prend à son service. Gayanes soigne ses chevaux, Aéropus surveillent les bœufs et Perdiccas a la garde des chèvres et du menu bétail. Il faut bien commencer petit pour devenir grand. Perdiccas joue d'ailleurs avec le feu. Sa beauté naturelle, son éloquence et sa grande facilité avec les femmes lui apportent rapidement quelques soucis. En effet, la femme du chef est sous le charme ! Mais sa condition lui impose le mépris pour un homme de si petite caste et de ne pas lui adresser la parole. Mais les sentiments sont trop forts et elle fait connaître tout son amour pour le beau Perdiccas par l'intermédiaire de miches de pain - dont elle contrôle la fabrication - toujours plus grandes, bien plus en tout cas que celles destinées à l'ensemble des valets au service du chef. En homme avisé, celui-ci interpelle sa femme et demande des explications :
« Voilà bien un prodige ma chère épouse, de voir ainsi le pain de mon valet Perdiccas accroître de jour en jour ? »
Le chef ne manque pas d'ironie autant que sa femme d'effronterie. Ainsi, sans se démonter, celle-ci n'hésite-t-elle pas à répondre qu'elle n'y était pour rien et à s'exclamer :
- « Un prodige ! Voilà bien le terme. Je soupçonne l'homme qui tient tes chèvres de faire grandir le pain par la seule force de sa magie. Car c'est un magicien qui es sous tes ordres !
- La Magie, très peu pour moi ! répond-il .Lui et ses frères iront faire leur sorcellerie ailleurs. Le départ de ce Perdiccas mettra peut-être fin aux troubles des jeunes filles qui se tiennent dans ma demeure ! »
Qu'il croit ou non à la version de sa femme, le chef convoque les trois frères pour les mettre au courant de son indiscutable décision. Il les chasse ! Et les voilà priés de reprendre leur baluchon et d'aller porter leurs troubles ailleurs. La fratrie accepte, mais à la condition qu'on leur paye leur salaire. Le chef rit et, désignant de son doigt le trou dans le toit de sa demeure qui servait de cheminée, affirme qu'il leur offre comme salaire le soleil qui darde à travers cette ouverture. Perdiccas, malicieux, s'avance et se place au centre du cercle que forme la lumière pénétrant à travers la toiture et affirme qu'il prend possession de tout ce que touche le soleil : à savoir la demeure et les terres de son ancien employeur ! Abasourdi, le chef de guerre les menace et ordonnant de les tuer, Perdiccas et ses frères prennent leurs jambes à leur cou et fuient le plus loin possible. Ils passent une rivière qui à l'arrivée des poursuivants se gonfle d'eau et devient intraversable, un orage venant de tomber opportunément. Plus tard, à ce que raconte la légende, la rivière fera l'objet d'un culte en Macédoine.
Et alors ? La fortune sourit aux audacieux, écrit Virgile. En effet, Perdiccas et ses frères retrouvèrent une activité dans une ville voisine et prospérèrent. Ils prospérèrent d'ailleurs si bien que Perdiccas devint chef à son tour et - vous l’aurez deviné - finit par conquérir le territoire de son ancien maître, accomplissant par là sa prophétie : il récupéra enfin le salaire qui lui avait été promis. Perdiccas devint un roi important, réunissant sous son autorité plusieurs régions et villes qui se soumirent. Ainsi, la Macédoine entra dans l'Histoire.....
Perdiccas, as-tu imaginé sur ton trône en bois, dans ta grande demeure qui n'en reste pas moins une simple maison, qu'un jour, ton 21ème descendant dominerait le monde antique ?
Image: détails de la magnifique peinture de Gustave Moreau l'Apothéose d'Alexandre
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