Les Chinois : une population nombreuse depuis 2000 ans


Aujourd'hui, avec plus d'1,3 milliards d'habitants, les Chinois sont la première population mondiale. Cette importante part de la population du globe est couramment associée à la forte croissance démographique de la Chine, qui a eu lieu dans la seconde moitié du XXe siècle, sous l'impulsion de la politique nataliste de Mao. La Chine a plus que doublé sa population en 60 ans. Mais l'importance de la population chinoise date de temps plus reculés.



Plongeons dans l'empire chinois des Han (entre le IIe siècle avant J-C et IIe siècle après J-C) et suivons un des agents de l'administration impériale chargé du recensement de la population (déjà dès le milieu du 1er millénaire avant J-C, les habitants chinois étaient comptés).



Nous sommes en Chine, en 2 après J-C, à Changan (l'actuelle Xi'an), centre politique de la première dynastie des Han. Le départ pour l'agent recenseur est imminent. Les derniers sacs de vivres sont chargés dans les charrettes. Il s'installe sur son cheval et part pour une longue chevauchée à travers l'empire, de circonscription en circonscription, pour recueillir les registres dénombrant la population. Il est toujours bien reçu par les habitants des différentes villes qui l'invitent souvent à manger en leur demeure. Bien que des fois il aurait préféré avoir un repas plus élaboré que celui offert par un simple paysan, c’est l'occasion pour lui de voir le quotidien des catégories sociales chinoises les plus basses de la société et ainsi expliquer le résultat du recensement des habitants de l'empire qu'il est train de faire. Il apparaît clairement, selon ses analyses, que même dans les familles les plus modestes, l'usage des baguettes est devenu courant ; ceci contrairement à il y a quelques siècles (dans une période antérieure au IVe siècle avant J-C) où les mains, sources de maladie, étaient l'instrument principal pour consommer la nourriture, comme il a pu le lire dans les Traités des rites (1). Dans l'esprit de l'agent recenseur, qui dit amélioration des conditions sanitaires, dit prolongation de la durée de la vie et donc augmentation de la population. Cet argument semble être attesté à mesure qu'il avance dans son voyage : sans avoir consulté les registres qu'il recueille, il estime que les villes traversées sont vraiment denses en population.



Après quelques mois passés à parcourir le territoire, il remarque un contraste frappant dans le territoire chinois. Alors qu'il vient de quitter le nord de la Chine et après une traversée très pénible du fleuve Yangtze, il prend conscience du changement du paysage qui s'offre à yeux. A la place d'une région du nord verte, bien arrosée, basée sur la culture du millet et du blé, où la circulation est rendue difficile par la masse de la population, il trouve au sud du grand cours d'eau une région quasiment vide, occupée par des aborigènes restés indépendants. Dans cet ensemble désertique, il note quelques îlots plus peuplés où commencent à se développer la riziculture, notamment à Suzhou (ville très ancienne datant de 2500 ans en 2005). C'est dans cette zone qu'il tombe malade. Mais, cet « incident » est encore une fois pour lui le moyen d'argumenter en faveur d'une croissance démographique chinoise, en suivant le même schéma de pensée que pour les baguettes. L'agent recenseur bénéficie des vertus de la « médecine traditionnelle chinoise » basée sur l'équilibre harmonieux entre les fonctions de l'organisme. Dans son cas, le diagnostic est clair pour le médecin : son équilibre a été rompu par des « excès externes », c'est-à-dire la chaleur (40°) et l'humidité (une pluie battante qui a duré plusieurs jours sans discontinuée) du climat. Il est soigné très rapidement aux moyens de différents procédés thérapeutiques qui ont fait leurs preuves (moxibustion, acupuncture et pharmacothérapie), puis il poursuit son voyage.



Son périple s'achève et l'agent recenseur revient à Changan, avec les carrioles, non plus chargées de vivres, mais de registres dénombrant l'ensemble de la population de l'empire. Bien qu'il n'ait pas ouvert ces derniers, son voyage lui a permis déjà de se faire une idée du nombre d'habitants et de sa répartition. Pendant plusieurs jours, une myriades d'agents impériaux s'enferment dans leurs bureaux afin de procéder aux calculs. L'agent recenseur vient tous les matins, curieux de connaître le résultat. La porte du service de recensement s'ouvre enfin. Un des agents sort avec une feuille où l'on peut apercevoir, griffonné, des chiffres dans tous les sens. Mais un des chiffres ressort en gros sur le papier et, de là où il est, l'agent recenseur le perçoit clairement ; les yeux écarquillés d'incrédulité, il se dit intérieurement : « 59 594 978 habitants ! Presque 60 millions ! » (c'est l'équivalent de la taille de l'Empire romain des Antonin à son apogée au milieu du IIe siècle après J-C). Il lira un rapport plus détaillé, par la suite, intitulé « Le traité géographique » de l'Histoire des Han étayant ses impressions sur la répartition de la population : les 2/3 de la population se concentrent dans le nord de l'empire des Han, région agricole la plus productrice. L'équation, toujours la même, est facile à comprendre : des gens bien nourris ont une meilleure santé, vivent ainsi plus longtemps et sont donc plus nombreux. De surcroît, pour l'agent recenseur comme dans l'esprit de tout à chacun, si la population de l'ensemble de l'empire est devenue si nombreuse, c'est bien grâce à la dynastie des Han qui marque le retour de la paix intérieure et de la prospérité, après une longue période trouble.


On estime que les 60 millions de Chinois décomptés, en 2 après J-C, représenteraient entre le quart et le tiers de la population mondiale de l'époque ; ce qui correspond à une proportion, au niveau international, beaucoup plus importante qu'aujourd'hui où ils représentent tout de même plus du cinquième de la population.


(1) En comparaison, la fourchette, invention italienne du XIe siècle, est introduite en France par Catherine de Médicis, au XVIe siècle. Son emploi régulier est très lent : son usage devient courant au XVIIIe siècle. Au XVIIe siècle, Louis XIV lui-même refuse de l'utiliser, préférant manger avec les doigts.

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