L’armée perdue de Cambyse II : la mystérieuse disparition dans le désert de l’Égypte antique

Armes perses ensablées dans le désert, traces de pas menant vers des survivants fuyant la tempête de sable – armée de Cambyse II
Armes perses ensablées dans le désert, vestiges d’une armée disparue en route vers l’oracle d’Amon.

Un roi offensé, cinquante mille soldats disparus, un désert impitoyable : suivez la marche funeste de l’armée perdue de Cambyse II vers l’oracle d’Amon.

L’étrange marche de Cambyse : quand le désert dévore une armée

Un souffle chaud s’élève du désert. Invisible et puissant, il plie les dunes comme des vagues figées dans le temps. En ce début d’année 525 av. J.-C., cinquante mille hommes avancent en silence. Venus d’Asie, bardés de fer, le regard dur, ils suivent un ordre royal : détruire l’oracle d’Amon, caché dans l’oasis de Siwah. Cambyse II, fils de Cyrus le Grand et maître de l’Égypte conquise, veut faire taire un dieu qui a refusé de le légitimer comme pharaon. Ce voyage est une punition, un acte de fureur contre les prêtres d’Amon, coupables d’avoir défié un roi.

Mais au lieu de la victoire promise, c’est l’oubli qui les attend. Le désert ne renvoie ni cris, ni corps, ni trophées. Juste un silence pesant, immobile. L’armée perse disparaît sans laisser de trace, comme avalée par l’horizon. Ce qui aurait dû être un exemple de puissance devient l’un des plus grands mystères de l’histoire antique. Deux mille cinq cents ans plus tard, le sable n’a pas encore tout dit. Chaque grain de sable semble porter l’écho de pas disparus, d’ordres criés dans le vide, de prières abandonnées au vent. Le désert, indifférent, a transformé un acte de guerre en énigme millénaire.

Le contexte : Cambyse, conquérant et roi offensé

En conquérant l’Égypte après la bataille de Péluse, Cambyse II étend l’empire perse jusqu’aux frontières libyennes. Mais le trône égyptien ne se gagne pas seulement par les armes : il exige l’assentiment divin. Or, à Siwah, l’oracle du dieu Amon — équivalent égyptien de Zeus-Ammon — refuse de reconnaître la légitimité du nouveau maître. Cet affront est insupportable pour un roi qui se veut fils des dieux et héritier des pharaons.

Furieux, Cambyse ordonne une expédition punitive. L’armée désignée, forte de milliers d’hommes — Hérodote parlera de 50 000 — reçoit pour mission de traverser le désert occidental pour raser le sanctuaire. C’est une décision politique, mais aussi symbolique. Détruire l’oracle, c’est soumettre l’Égypte toute entière. Pour Cambyse, il ne s’agit pas seulement de vaincre un peuple, mais d’éteindre sa spiritualité. L’élimination d’un oracle aussi sacré aurait marqué un basculement cosmique : la mort d’un dieu sous la volonté d’un homme.

Les soldats quittent Thèbes et se dirigent vers l’ouest. Ils franchissent l’oasis de Kharga, puis s’enfoncent dans une mer de sable où les repères s’effacent. Le désert Libyque est impitoyable, et nul ne sait alors que cette marche vers l’inconnu va devenir légende. Les chroniqueurs n'ont pas conservé le nom du général à la tête de l’expédition, mais sa mémoire s’est figée dans l’oubli, comme ses pas dans le sable. À mesure que la colonne s’enfonce, les cartes deviennent des esquisses, les repères, des mirages.

Hérodote et la voix du désert

C’est Hérodote, l’historien grec du Ve siècle av. J.-C., qui nous transmet la première version de cette disparition. Dans le livre III de ses Histoires, il rapporte que l’armée perse aurait été ensevelie vivante par une tempête de sable.

« Lorsqu’ils furent à mi-chemin, un vent du Sud d’une extrême violence se leva. Des colonnes de sable, soulevées par le vent, les ensevelirent entièrement. Ainsi, disparurent tous les hommes. »

L’image est puissante. Le désert, animé d’une volonté propre, se serait rebellé contre l’orgueil des hommes. Pour les Égyptiens, cette disparition ne pouvait être qu’un châtiment divin. Amon, offensé, aurait envoyé le simoun pour anéantir l’armée ennemie, protégeant son sanctuaire par une tempête céleste. La nature elle-même devient un instrument divin, un bras armé du sacré contre les envahisseurs profanes. Ce récit d’Hérodote, bien que teinté de dramatique, correspond étonnamment aux caprices climatiques bien réels du désert libyque.

L’épisode renforce le prestige des prêtres de Siwah et rappelle que même les plus grands rois ne sont rien face aux dieux du désert. Cette absence de preuve concrète donne à la légende une aura presque biblique, comme Sodome ou l’Arche. Le désert devient à la fois juge, bourreau et témoin muet d’une disparition sanctifiée. Mais cette explication mythique n’empêche pas les interrogations. Car comment une armée entière, même victime d’un cataclysme, a-t-elle pu ne laisser aucune trace visible ? Pas de campement, pas de stèles, pas d’objets ? La question hantera les voyageurs, les savants et les archéologues pendant des siècles.

Le retour des morts : découvertes modernes dans le désert égyptien

Une expédition inattendue

En 2009, deux chercheurs italiens, Angelo et Alfredo Castiglioni, explorent les confins du désert égyptien, près de la frontière libyenne. Leurs recherches, initialement axées sur des fragments de météorites, les mènent à une découverte troublante. Dans une zone particulièrement isolée, ils trouvent des restes humains, des os brisés par le temps, et des pointes de flèches en bronze, typiques de l’époque achéménide. À leurs côtés, des bracelets, des poignards et des fragments de tissu semblent trahir une origine perse.

Le parallèle avec le récit d’Hérodote est immédiat. Les Castiglioni annoncent avoir trouvé la fameuse armée perdue. La presse s’emballe, les caméras accourent. Le désert aurait enfin livré son secret. Les visages burinés par le vent, les frères Castiglioni avaient l’expérience des fouilles dans les régions extrêmes. Leur hypothèse repose sur la concentration d’objets perses dans une zone isolée, ce qui suggère une présence militaire inhabituelle.

Une prudence nécessaire

Mais l’enthousiasme est tempéré par les historiens et archéologues spécialisés. Si les objets retrouvés sont authentiques, ils ne permettent pas, à eux seuls, d’identifier avec certitude une armée entière. Plusieurs égyptologues, dont Henri Marchand et Salima Ikram, rappellent qu’il pourrait s’agir d’un petit groupe isolé — caravanier, pilleurs, marchands ou soldats perdus — sans lien direct avec l’expédition royale.

L’absence de camp militaire, de céramiques en grand nombre ou de tombes organisées rend l’interprétation délicate. De plus, les sables du désert déplacent et dispersent les objets sur des kilomètres. Ce que l’on découvre aujourd’hui n’est peut-être qu’un fragment de quelque chose de plus vaste, ou de totalement différent. La communauté scientifique appelle à la prudence, préférant parler de “possible trace d’un épisode militaire” plutôt que de solution définitive. Les analyses stratigraphiques ne confirment pas une déposition massive ni structurée de cadavres ou de matériel.

Une autre route ?

Parmi les hypothèses les plus crédibles, celle d’un itinéraire alternatif émerge. Plutôt que de passer par les oasis de Bahariya et Farafra — tenues par des Égyptiens hostiles — l’armée perse aurait pu choisir un itinéraire plus occidental, contournant les positions ennemies. Ce détour aurait évité les combats, mais au prix d’une traversée bien plus dangereuse, sans eau ni points de ravitaillement.

Les soldats, épuisés, privés de repères, auraient pu mourir progressivement, non d’un seul coup, mais par vagues. Certains auraient rebroussé chemin, d’autres seraient morts de soif, et les derniers auraient été pris dans une tempête de sable finale. Ce scénario hybride entre lente agonie et cataclysme soudain semble aujourd’hui l’un des plus plausibles. L’idée d’une stratégie de contournement, bien que risquée, s’inscrit dans la logique militaire perse, souvent audacieuse. Mais ce choix tactique, dans un territoire aussi hostile, aurait fait du désert un piège plus redoutable que n’importe quelle armée.

Alexandre le Grand face au prêtre d’Amon à Siwah, jeune femme égyptienne agenouillée en adoration dans un temple sacré
Alexandre le Grand face au prêtre d’Amon à Siwah, là où Cambyse avait échoué.

Siwah, le sanctuaire préservé

Lorsque Alexandre le Grand s’engage à son tour vers Siwah en 332 av. J.-C., il a, selon toute vraisemblance, connaissance du sort de l’armée de Cambyse. Son expédition est préparée avec minutie. Il évite les erreurs logistiques, s’assure du soutien des guides locaux et bénéficie d’une météo favorable. À l’arrivée, le dieu Amon l’accueille non comme un ennemi, mais comme un fils. L’oracle le proclame descendant de Zeus-Ammon, scellant ainsi sa légitimité sur l’Égypte.

Le contraste est saisissant. Là où Cambyse a échoué dans la violence, Alexandre triomphe par l’alliance symbolique. Le désert, qui avait puni l’orgueil du premier, ouvre ses bras au second. Et le sanctuaire de Siwah, lui, reste debout, gardien des secrets de sable. Alexandre avait compris que pour régner sur l’Égypte, il fallait d’abord conquérir son âme. En se présentant humblement devant Amon, il fit l’exact inverse de Cambyse : là où l’un exigeait, l’autre implorait.

Le désert, dernier narrateur

Aujourd’hui encore, les habitants de la région racontent que certaines nuits, lorsqu’aucune brise ne vient troubler l’air, on peut entendre des bruits sourds venus de l’ouest. Des pas lourds, comme ceux d’hommes en armes qui marchent sans fin. Certains parlent de mirages, d’autres de malédiction. Peut-être est-ce simplement le souvenir d’une armée dont l’histoire n’a pas voulu.

Ces récits populaires, bien qu’empreints de superstition, traduisent la profondeur du traumatisme collectif laissé par cette disparition. À travers les âges, l’armée de Cambyse n’est pas seulement une force perdue, mais une mémoire en errance. Le désert, vaste et muet, continue de veiller sur eux. Les archéologues fouillent, les satellites scrutent, les chercheurs débattent. Mais au fond, peut-être que le plus grand mystère de l’armée perdue de Cambyse réside dans ce qu’elle dit de nous : notre besoin de comprendre, notre peur de l’oubli, notre fascination pour les tragédies sans fin.

L’armée de Cambyse est devenue un miroir où se reflètent nos angoisses modernes : peur du néant, perte de sens, effacement de l’histoire. Elle nous rappelle que certaines pages du passé résistent à la lumière, et ne se lisent qu’à travers le voile du mythe.

Sources et lectures complémentaires

Poursuivez votre exploration des énigmes antiques et découvrez d'autres récits fascinants de l'Antiquité.

Retrouvez-nous sur : Logo Facebook Logo Instagram Logo X (Twitter) Logo Pinterest

Un message à nous envoyer :  lesitedelhistoire2@laposte.net

L'image d'illustration appartient au Site de l'Histoire. Si vous voulez l'utiliser, merci de bien vouloir demander l'autorisation par mail.

div>

Commentaires

Enregistrer un commentaire