Napoléon : le dieu de la guerre


 

Napoléon Bonaparte, ce nom est synonyme de grandes batailles. Le général corse, l’empereur des Français, a bouleversé les frontières de l’Europe par sa volonté et a fait trembler les puissances européennes grâce à sa grande armée. Notre expert en histoire militaire, Jean-Jacques Lerageux, va nous expliquer les raisons du succès des armées françaises. Si pour vous les principales batailles de l’épopée napoléonienne évoquent davantage des noms d’avenue ou de stations de métro, vous trouverez après cet exposé un court résumé de chacune d’elles.

 

- Bonjour, Jean-Jacques. Alors en quoi Napoléon peut-il être considéré comme un dieu de la guerre comme le stipule le titre de cet article ?

- Napoléon conçoit la guerre comme un outil pour imposer ses conditions aux autres Etats. Son objectif consiste à anéantir le plus gros de l’armée adverse dans un temps court et lors d’une grande bataille. Indiscutablement, il excelle dans le domaine militaire. Il se distingue par un style mobile, offensif et impitoyable. Mises à part à trois occasions, il est toujours à l’offensive lors d’une bataille. Il recherche la supériorité numérique sur un point précis, afin de disperser l’ennemi. Cette tactique suppose que ses soldats se déplacent rapidement. Napoléon garde ses plans secrets au maximum. Il repère en personne les positions ennemies et la topographie. Regroupant tous les pouvoirs dans sa personne, il décide de tout, à charge à son état-major d’appliquer ses plans à la lettre.
De plus, il est conscient que le moral et l’opinion des troupes comptent pour la moitié du résultat d’une bataille. Il fait sentir à ses soldats qu’ils sont des acteurs de l’épopée napoléonienne. Il les récompense et reconnait les mérites de chacun. Il entretient des rapports chaleureux avec eux. Dans son dispositif, la garde impériale occupe une place à part. Il s’agit de soldats triés sur le volet ayant participé au moins à deux campagnes et effectué quatre ans de service. Son effectif passe 8000 à 11000 hommes. La vieille garde assure la sécurité de l’empereur. La jeune garde est une armée de réserve que Napoléon utilise lors des batailles en extrême recours.

Néanmoins, le talent de Napoléon n’explique pas tout. Ses victoires reposent également sur un appareil militaire performant, notamment lié aux transformations entreprises sous l’Ancien Régime. En effet, le maréchal de Broglie rédige un traité sur la théorie des divisions autonomes interarmées, ce qui permet de réduire le problème de la logistique et d’augmenter le nombre d’opérations en simultanée. En 1772, Guibert met en place une combinaison de bataille spécifique mêlant lignes et colonnes augmentant ainsi la réactivité et la rapidité des troupes. Au niveau de l’armement, la France se situe au même état d’avancement que ces voisins anglais et prussiens. Les officiers ont fait leur armes sous le règne de Louis XVI ou durant la Révolution. Un homme pouvait gagner des galons sur le champ de bataille ou en sortant des écoles militaires. Les possibilités de promotions sont meilleures que dans les autres armées européennes.Parallèlement, la France connait un boom démographique durant les dernières décennies du XVIIIe siècle. Le pays compte 26 millions d’habitants en 1792, ce qui en fait le deuxième pays le plus peuplé d’Europe derrière la Russie. Par conséquent, la France dispose de moyens humains importants.
La République instaure le citoyen-soldat se battant pour son pays (1). En effet, la France républicaine se bat pour sa survie. En ce sens, elle mobilise toute son économie au service de la guerre. La notion de Nation se développe donc avec la Révolution Française. Elle favorise la levée d’armées colossales. Les progrès de la Révolution industrielle permettent de les équiper. L’augmentation des effectifs change les stratégies employées. Les soldats étant plus faciles à remplacer, les officiers d’état-major n’hésitent pas à lancer des attaques frontales. Par ailleurs, il devient impossible pour des armées aussi grandes de vivre sur le pays. Il convient d’améliorer la logistique d’intendance et de disperser plus rapidement ses troupes. Jusqu’en 1807, la France possède l’avantage sur les autres empires européens qui demeurent traditionnels dans leurs armées.

- Tout change donc à partir de 1807 ?

- Oui. Le système trouve ses limites dans les années 1807-1809. A partir de 1807, l’armée se transforme. Les soldats du début sont morts, démobilisés, ou ont pris des galons. Toujours plus nombreuses, les nouvelles recrues ne sont pas formées correctement compte tenu des guerres incessantes. Napoléon tente de pallier ce manque en développant l’artillerie. Cependant, l’industrie française n’est pas assez développée pour répondre à la demande. Les effectifs sont palliés en partie par la conscription. Elle touche 7% de la population. Il est possible de payer pour être exempté. L’armée française recrute également des étrangers. Au total, 720 000 étrangers servent dans l’armée française entre 1805 et 1815. Lors de la bataille de Friedland, ils seront plus nombreux que les contingents de nationalité française.
De plus, Napoléon ne réussit jamais à résoudre le problème du ravitaillement engendré par des contingents si importants. Misant sur la rapidité de mouvement et d’exécution, il ne souhaite pas s’encombrer de chariots de ravitaillement. Vivre sur le pays est uniquement possible dans des régions fertiles et bien exploitées. De plus, cette pratique engendre un ressentiment des populations locales, sans parler des problèmes d’indiscipline d’une troupe se croyant tout permis. Par ailleurs, l’empire français a atteint son extension territoriale maximum en 1809 : de l’Espagne à la frontière russe. Plus le territoire s’agrandit, plus les fronts d’opérations se multiplient. Napoléon ne peut plus tout contrôler tout seul. Il doit déléguer à des officiers qui ne comprennent pas, n’ont pas la même vision, ou le même talent que l’empereur. Enfin, Napoléon n’a pas assez compris qu’une victoire militaire n’apporte pas forcément la paix. Les vaincus attendent d’être en capacité de renier le traité imposé. Les territoires occupés se rebellent comme en Espagne et en Allemagne. De plus, Napoléon a ligué contre lui toutes les puissances européennes, qui séparément n’auraient pu le vaincre. Elles prennent exemple sur la France pour moderniser leurs armées.
En conclusion, je dirais que l’armée napoléonienne ne pouvait gagner uniquement parce qu’elle est le fruit de la Révolution française et dirigée par un militaire charismatique et talentueux.

- Sauf contre des lapins (2).

- Pardon ? Que dîtes-vous ?

- Rien, rien. Merci Jean-Jacques pour ces passionnantes explications. Comme promis, voici la liste des principales batailles. Je vous laisse vous en imprégner pour briller en société et quant à moi, je vous dis à bientôt.

Synthèse des principales batailles

ARCOLE, 15-17 novembre 1796, Lombardie - Italie
Victoire de la France contre l’Autriche
Fait suite à la bataille de Rivoli de janvier 1797 ayant débouché sur le traité de Campoformio le 17 octobre. L’Autriche a cédé la Belgique à la France et reconnait la domination française sur la rive gauche du Rhin. Elle reconnait aussi l’indépendance des républiques italiennes. En échange, elle conserve le contrôle de la Vénétie (3). La campagne d’Italie change la face de l’Europe et propulse le général Bonaparte sur le devant de la scène militaire et politique.

Bataille des Pyramides, 21 juillet 1798, Égypte
Victoire de la France contre l’Égypte
L’objectif de la France est de s’implanter en Méditerranée orientale pour perturber le commerce britannique et portugais. Napoléon balaie sans difficulté l’armée égyptienne. Il compte à peine une trentaine de morts. Néanmoins, le 1er août l’amiral Nelson détruit la flotte française à Aboukir. Les Turcs marchent sur l’Égypte. Napoléon est battu à Acre, mais stoppe l’avancée ottomane à Aboukir. Il regagne la France. Sans le soutien du gouvernement, avec une armée épuisée, la France se retirera complètement d’Égypte en 1801.

MARENGO, 14 juin 1800, Piémont – Italie
Victoire de la France contre l’Autriche
Napoléon a failli perdre son armée sans l’arrivée du maréchal Desaix venu en renfort. Napoléon apprend une leçon. Plus jamais, il ne dispersera le gros de ses troupes et il conservera toujours une réserve importante. Après cette bataille, les Autrichiens signent un armistice sur le front italien, mais la guerre se poursuit en Allemagne. Le 2 décembre 1802, le général Moreau bat l’archiduc Jean à Hohenlinden forçant Vienne à signer la paix.

TRAFALGAR, 21 octobre 1805, Gibraltar
Défaite de la France contre le Royaume-Uni
L’objectif de Napoléon est de couper l’accès à la Méditerranée aux Britanniques et de les empêcher de venir en aide aux insurgés espagnols et napolitains. Avec cette victoire, durant laquelle l’amiral Nelson trouve la mort, Londres affirme sa suprématie sur les mers.

AUSTERLITZ, 02 décembre 1805, Nord de Vienne – Autriche
Victoire de la France contre l’Autriche et la Russie
Napoléon chasse l’armée adverse. Cette bataille calme les ardeurs de la Prusse souhaitant s’allier avec l’Autriche. Les Russes reculent. L’Autriche se résout à signer une paix désavantageuse.

IENA, 14 octobre 1806, Thuringe - Allemagne
Victoire de la France contre la Prusse
Napoléon écrase l’armée de Frédéric-Guillaume III. L’armée française est supérieure tant sur les effectifs que sur le matériel.

FRIEDLAND, 19 juin 1807, Pologne
Victoire de la France contre la Russie
Cette victoire contribue à briser la 7e coalition. Elle remonte le moral ébranlé par la bataille d’Eylan et l’hiver polonais. Elle inaugure une tactique nouvelle : la préparation par l’artillerie de l’assaut de l’infanterie. La Russie signe la paix. La Prusse est démantelée.

WAGRAM, 05 et 06 juillet 1809, Autriche
Victoire de la France contre l’Autriche
Pour la troisième fois, l’Autriche déclare la guerre à la France. Elle espère profiter des déboires français en Espagne et au Portugal pour remporter une victoire. Cette dernière pourrait décider la Russie et la Prusse à s’allier avec elle. L’archiduc Charles a battu Napoléon à Aspen et Essling sur les rives du Danube, mettant un coup d’arrêt à la progression française. Il espère que la prochaine bataille les repoussera. Cependant, Napoléon réussit à s’implanter sur l’autre rive, puis à battre les Autrichiens. Le 11 juillet non soutenu par les autres Etats, l’empereur autrichien signe un armistice.

VITTORIA, 21 juin 1813, Espagne
Défaite de la France contre le Royaume-Uni et le Portugal
Depuis plusieurs années, la France subit une importante guérilla de la part des Espagnols. Les Portugais, avec le soutien des Britanniques, résistent à l’avancée des Français (4). Occupé sur les fronts orientaux, Napoléon s’intéresse guère à la question espagnole, à charge à Joseph Bonaparte de régler le problème. En dehors de ces capacités personnelles, il ne dispose pas des moyens nécessaires. Les Britanniques utilisent le Portugal pour ouvrir un second front en Europe. Ils établissent une base arrière à Lisbonne. Ensuite, Wellington lance une contre-offensive, grignotant le terrain. La défaite française en Espagne galvanise les ennemis de Napoléon. Une nouvelle coalition se forme en Europe centrale. Début avril 1814, les Britanniques atteignent Toulouse.

LA MOSKOVA, 07 septembre 1812, Russie (5) (6)
Victoire de la France contre la Russie
La Russie craint l’expansion française. Le blocus de l’Angleterre entache son économie. De son côté, la France craint que les Russes s’allient aux Ottomans pour envahir la Pologne qui constitue un Etat tampon. Le non-respect du blocus fournit le casus-belli. Les Russes se retirent sur leurs terres. Une première bataille se déroule à Smolensk. A la Moskova sans tenir compte des conseils de Davout, Napoléon s’entête à lancer des attaques frontales contre les fortifications. Au prix de lourdes pertes, le centre cède. Cependant, l’empereur refuse d’engager la garde impériale pour porter le coup de grâce. Les Russes s’échappent, laissant Moscou aux mains des Français. Napoléon est trop éloigné de ses bases arrière. Il est contraint de se replier. Face à l’hiver et aux harcèlements ennemis, le retour au pays s’apparente à une débandade.

LEIPZIG, 16-19 octobre 1813, Allemagne
Défaite de la France et la Pologne contre la coalition Russie, Autriche, Prusse, Suède
Il s’agit d’une série de batailles sanglantes qui met aux prises 330.000 coalisés contre 190.000 franco-polonais. Napoléon échoue à garder les coalisés divisés qui menacent de l’encercler. Ces derniers repoussent l’armée française jusqu’au Rhin. L’année suivante, ils franchiront la frontière.

WATERLOO, 18 juin 1815, Belgique (7)
Défaite de la France contre le Royaume-Uni, la Prusse et l’Autriche
Après un premier exil, Napoléon est revenu en France et a repris le pouvoir. L’Europe s’unit à nouveau pour chasser l’Ogre. Napoléon perd l’ultime bataille qui aurait pu le maintenir au pouvoir.

 

1) Voir l’article sur Valmy

2) Voir l’article sur Napoléon affrontant des lapins

3) Voir l’article sur l’histoire de l’Italie

4) Voir l’article sur l’histoire du Portugal

5) Voir l’article sur la campagne de Russie

6) Voir l’article sur la bataille de la Moskova

7) Voir l’article sur la bataille de Waterloo


Sources

Texte : ROTHENBERG Guntehr, Atlas des guerres napoléoniennes, Paris, 2000, 213p

Image : Jacques-Louis DAVID, Bonaparte franchissant le Grand-Saint-Bernard, 1801, 260 × 221 cm, Château de Rueill-Malmaison (https://fr.wikipedia.org/wiki/Bonaparte_franchissant_le_Grand-Saint-Bernard)

 

 

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