Enheduanna : la première auteure de l’histoire de l'Humanité

Dans mes nombreuses notes universitaires, précieusement conservées au fil des années, s’entremêlent beaucoup d’archéologie, beaucoup d’épigraphie, et des anecdotes griffonnées çà et là. En les relisant – ou plutôt en tentant de déchiffrer ce que j’avais pu écrire, tant j’écrivais vite et mal –, j’ai redécouvert un nom, seul : Enheduanna, accompagné de cette simple mention : « premier(e) auteur(e) au monde ». Et puis, plus rien. L’oubli. Remontons le temps jusqu'à cette époque fascinante, celle où l’Orient ancien, en Mésopotamie – le lieu où il fallait être – dominait le monde. Dans la chaleur obsédante d’un soleil de plomb et sous le regard éternel des cieux antiques, la Mésopotamie se déployait en un vaste écrin de terre nourricière, où le Tigre et l’Euphrate murmuraient des secrets millénaires aux cités de Sumer. C’est dans ce décor grandiose et fécond que naquit, ou du moins que s’illumina pour la postérité, la première voix littéraire dont le nom a traversé les âges.


L’histoire nous conte qu’au cœur de la cité sacrée d’Ur, sous l’ombre bienveillante d’un ziggourat qui semblait effleurer le firmament, vivait une prêtresse dont l’âme, à la fois vulnérable et farouche, allait marquer l’univers des lettres. Enheduanna était la fille de Sargon d’Akkad, le fondateur du premier empire connu de l’histoire, l’Empire d’Akkad, qui unifia les cités-États sumériennes sous son règne au XXIIIe siècle av. J.-C. Dans un monde où le pouvoir et l’écriture étaient généralement détenus par les hommes, son ascension est remarquable. Son père, conscient de l’importance du contrôle religieux dans l’unification de son empire, lui confia un rôle clé : grande prêtresse du dieu-lune Nanna (Sin) dans le temple principal d’Ur.


Cette nomination n’était pas un simple honneur : Enheduanna devenait un pilier du pouvoir akkadien, chargée de réconcilier les traditions sumériennes et akkadiennes par le biais de la religion. Mais cette position ne lui épargna pas les troubles politiques. Après la mort de Sargon, une rébellion éclata à Ur, menée par un certain Lugal-Ane, qui la chassa du pouvoir.


Dans L’Exaltation d’Inanna, elle évoque avec force cet épisode :

« Je suis expulsée de mon temple, je ne vis plus.
Je ne puis plus habiter auprès de ceux qui m’aiment,
et où que j’aille, le jour est changé en ténèbres. »
(Source : traduction inspirée de Annette Zgoll, spécialiste des hymnes sumériens)

Grâce au soutien du fils de Sargon, elle retrouva finalement sa place et son statut, témoignant de l’influence durable qu’elle exerçait, même en période de crise.


Dans l’Antiquité, l’écriture servait surtout à consigner des documents comptables ou des textes religieux anonymes. Pourtant, Enheduanna osa apposer son nom sur ses compositions, devenant ainsi la première personne dont nous connaissons l’identité à avoir écrit des textes littéraires. Les tablettes d’argile, laborieusement incisées de signes cunéiformes, racontent l’histoire de ses prières et de ses louanges destinées à Nanna et, surtout, à Inanna, la déesse de l’amour, de la guerre et de la justice. Parmi ses œuvres les plus célèbres figurent : L’Exaltation d’Inanna (Nin-me-sar-ra) : Un hymne exaltant la puissance de la déesse et évoquant la détresse de l’auteure après sa destitution. Et les Hymnes du Temple de Sumer et d’Akkad (attribués à Enheduanna) : Une série de textes consacrés aux principaux sanctuaires mésopotamiens.

Son écriture se distingue par une grande musicalité, un rythme incantatoire et une utilisation du "je", ce qui, à l’époque, était rare dans la littérature religieuse. Au fil des siècles, les œuvres d’Enheduanna ont continué d’être copiées par les scribes, signe de leur importance culturelle. Son impact ne s’arrête pas à la littérature mésopotamienne. Elle est l’une des premières figures connues à avoir donné à l’écriture un rôle personnel et introspectif, préfigurant ainsi les poètes et écrivains futurs. Ses hymnes ont influencé la littérature babylonienne et certains textes religieux ultérieurs. Les thèmes abordés – l’exil, la souffrance, la justice divine, la puissance du langage – restent intemporels et résonnent encore aujourd’hui.

D’ailleurs, L’existence d’Enheduanna n’est pas une simple légende contrairement à d’autres auteurs qui demeurent pour l’instant légendaires. Des découvertes archéologiques ont confirmé son rôle et son importance : Des tablettes cunéiformes contenant ses hymnes ont été mises au jour à Ur et Nippur, témoignant de la transmission de ses écrits bien après sa mort. Le disque d’Enheduanna, découvert à Ur par l’archéologue Leonard Woolley en 1927, représente une femme identifiée comme une grande prêtresse faisant une offrande. Son nom y est inscrit, confirmant son statut élevé. Ces éléments renforcent la place exceptionnelle qu’elle occupe dans l’histoire des lettres. Si Enheduanna est restée oubliée du grand public pendant des siècles, elle est aujourd’hui réhabilitée comme une pionnière de la littérature. De nombreux spécialistes, comme l’assyriologue Jean Bottéro, ont étudié ses œuvres et souligné leur importance.

Dans un monde où l’anonymat régnait en maître, Enheduanna fut la première à affirmer son individualité à travers l’écriture. Son nom, inscrit dans la glaise, est une déclaration d’indépendance face à l’effacement du temps. Lorsqu’on se demande quel est l’auteur le plus ancien dont nous connaissons le nom, le regard se tourne inévitablement vers cette prêtresse de l’aube, cette poétesse de la lumière : Enheduanna.


Pour aller plus loin:

Jean Bottéro, Naissance de Dieu : La Bible et l’historien, 1992.

Annette Zgoll, Der Hymnus Šulgi R, 1997.

Samuel Noah Kramer, L'Histoire commence à Sumer, 1956.

William W. Hallo et J. J. A. Van Dijk, The Exaltation of Inanna, 1968.


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