Plusieurs centaines d'iles et d'ilots constituent l'archipel des Philippines qui fut l'un des objectifs principaux des Japonais lorsqu'ils entrèrent en guerre contre les Etats-Unis à la fin de l'année 1941.
Ils s'étaient lancés à la conquête du sud-est asiatique afin d'élargir leur espace vital et d'avoir accès aux champs pétrolifères qui leur étaient indispensables pour survivre depuis que le Président Roosevelt avait déclaré leur pays en état de blocus. Ainsi débarquèrent-ils dans les possessions néerlandaises et américaines. La conquête des Philippines ne fut pas chose aisée et l'ile de Corregidor ne se rendit que toutes munitions et approvisionnements épuisés.
Puis des années passèrent et la fortune des armes changea de camp. Le Japon était vaincu.
Un jour - on ne sait pas exactement quand - le sous-lieutenant Hiroo Onoda, qui était très vraisemblablement officier de renseignements dans son bataillon d'infanterie, reçut l'ordre impératif de son supérieur le plus direct, le commandant Yoshimi Taniguchi, de rester sur place, dans l'ile de Loubang « même si l'armée japonaise était détruite », de servir l'Empereur jusqu'à la mort (1) et de continuer la mission qui lui avait été confiée, c'est-à-dire de « renseigner » sur l'avance ennemie. Bientôt, toutes liaisons furent interrompues. Un Européen aurait sans doute cherché à en savoir plus long et si le moment n'était pas venu de déposer les armes puisque aussi bien la mission était terminée. Pas le sous-lieutenant Onada! Il resta sur place, armé de son sabre, qui lui avait été remis à sa sortie de l'école militaire, d'un fusil modèle 1899 avec munitions, et muni de sa radio rudimentaire.
II avait aussi deux soldats pour compagnons dans cette aventure qui s'ouvrait devant eux et dont ils ne soupçonnaient pas la durée. Le tintamarre des combats s'éloignait, le silence régnait désormais dans la forêt. II fallait à présent vivre et « résister ».
Ils se nourrissaient comme ils le pouvaient, de bananes, de racines et faisaient quelquefois le coup de feu contre des paysans dont ils pillaient les fermettes pour se procurer du ravitaillement. Pour Onoda, ces gens étaient des ennemis. On dit qu'il tua ainsi, au cours d'expéditions, une trentaine de paysans. Naturellement, sa présence avait été décelée par les Philippins, mais l'homme demeurait insaisissable. II était « quelque part dans la forêt ». L'un de ses compagnons avait finalement été tué en 1972, l'autre était mort des diverses privations...
Le 20 février 1974, Onoda fut découvert, bien par hasard, par un campeur, un touriste japonais, qui, tenu un moment en respect par le fusil encore approvisionné, noua conversation avec l'officier : toujours revêtu de son uniforme! Le touriste lui révéla que la guerre était finie depuis près de trente ans et qu'il ne restait plus qu'à déposer les armes désormais inutiles. Onoda fut surpris et surtout circonspect... En tout cas, il réfléchit et décréta qu'il se rendrait lorsqu'il recevrait un ordre écrit de son supérieur le commandant Taniguchi.
Discipliné jusqu'au bout.
Puis il regagna sa forêt après avoir toutefois fixé un lieu de rendez-vous pour plus tard.
On rechercha donc - les autorités philippines ayant été dûment averties par le campeur - le commandant en question. On le découvrit. Il s'était recyclé comme beaucoup d’anciens soldats: il était devenu un paisible libraire dans une petite ville de province, au sud de Tokyo. Les autorités japonaises s'étant émues à leur tour et la nouvelle ayant fait le tour du monde, une expédition fut organisée et le libraire dépêché dans l'ile de Loubang.
Ainsi, Onoda revit son chef de bataillon qui, comme lui, avait vieilli, mais ils se reconnurent parfaitement. Onoda avait maintenant plus de cinquante ans, le commandant vingt de plus. Il sortit de la forêt en uniforme, coiffé de la casquette de l'armée impériale, armé de son fusil et de son sabre convenablement « briqués », propre, impeccable. Cela se passa le samedi 9 mars 1974, à la nuit tombée.
Taniguchi remit à son subordonné l'ordre écrit de se rendre. Le document disait, dans le langage militaire de la dernière guerre, que Sa Majesté l'Empereur avait donné l'ordre à l'armée japonaise de « cesser les opérations ».
II fallut encore toute une nuit de palabres entre les deux officiers, sous une tente dressée au fond de la jungle, puis une réunion avec le frère du lieutenant, pour décider Onada à revenir au Japon.
On apprit encore que le gouvernement des Philippines avait mis, naguère, une force armée de deux cents hommes à sa recherche. En vain. On avait alors fait venir du Japon son père, un vieillard de 85 ans qui avait appelé son fils à tous échos, lui avait laissé des messages qu'il n'avait sans doute pas lus...
L'aventure était terminée. Le dimanche 10 mars, Onoda a rendu son sabre au président des Philippines de l’époque, Ferdinand Marcos, au cours d'une cérémonie télévisée. Le Président le lui a aussitôt rendu. Le vieux soldat s'inclina très bas, à l'ancienne manière. Puis il alla s'incliner aussi devant le monument aux morts japonais tombés dans l'ile, entre deux haies de soldats présentant les armes...
Les médecins de l'armée de l'Air philippine et son propre frère, le docteur Tosho Onoda, directeur de l'hôpital Koseil, à Tokyo, examinèrent l'ex-lieutenant et le jugèrent « en bon état ». Au cours des trente ans de sa vie sauvage dans l'ile de Loubang, il n'avait eu la fièvre qu'à deux reprises. A part cela, quelques rhumes de cerveaux... C'est bien naturel.
Il a été rapatrié au Japon et était désormais un homme de 52 ans que ses parents ont accueilli à Tokyo. La presse parla longuement de lui et en fit un héros dans son pays, un brave soldat.
Le japon était habitué à ce genre de jusqu’au-boutisme. En 1972, un autre jusqu'au-boutiste, le sergent Yokai, avait été l'objet d'une aventure analogue.
Il est mort paisiblement en 2014 à 91 ans et est resté toute sa vie un nationaliste acharné.
Combien d’autres ont vécu de semblables mésaventures, morts seuls, pour l’Empereur, dans les forêts des Philippines, ou de Bornéo, retranchés dans une existence opiniâtre ?
On ne le saura sans doute - certainement même - jamais.
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