La fin du monopole atomique américain en 1949 résultait d'une série d'événements divers. Certains étaient liés à l'espionnage, d'autres au travail scientifique des Soviétiques. Cependant, tout avait commencé dès 1940.
Cette année-là, deux physiciens soviétiques, Flerov et Pertchak, découvrirent un phénomène inédit. On savait déjà que l'uranium se désintégrait sous l'action des neutrons et que, théoriquement, cette désintégration pouvait se propager en chaîne. Flerov et Pertchak démontrèrent que l'uranium pouvait aussi se désintégrer spontanément. Le phénomène était sans doute rare, mais l'apport de neutrons qu'il fournissait devait être suffisant, selon les deux physiciens, pour rendre possible une bombe atomique. Les Russes ne partaient pas de zéro ! Ils rédigèrent un rapport et commencèrent leurs travaux. Malgré la tragédie de l'invasion allemande et les désastres militaires, les recherches se poursuivirent. Elles aboutirent en 1941 à des expériences dans la région du Caucase. Ces expériences auraient été concluantes : la bombe atomique était donc réalisable.
Cependant, Staline s'opposa à sa construction.
Pourquoi ? On l'ignore. Peut-être pensa-t-il que la Russie n'avait pas les moyens, dans sa situation tragique, d'entreprendre un tel effort. Quoi qu'il en soit, on se tint prêt à construire cette bombe atomique à un moment plus favorable. Les physiciens soviétiques, eux, espéraient alors que les Américains en construiraient une au plus vite : ce serait bien la preuve qu'une telle arme était réalisable et alors pousserait Staline à déclencher le processus.
Aussi les Russes cherchèrent-ils, dès 1941, sans trop de discrétion, à apprendre où en était la question aux Etats-Unis. Ce fut d'abord assez facile. Après Pearl Harbour, beaucoup d'Américains considérèrent à juste titre la Russie comme leur meilleur allié, celui qui supportait pour l'instant tout le poids de la guerre contre Hitler. En effet, l’Angleterre survivait et la France était vaincue, malgré l’étincelle de la Résistance (1). Pour l'aider, il fallait tout faire et c'est ainsi qu'en 1943 Harry Hopkins, conseiller personnel du président Roosevelt, envoya aux Russes une plaquette de cuivre recouverte d'uranium 235 pur, ainsi que des renseignements sur les travaux en cours aux Etats-Unis. Face à l’ennemi, on collabore…
Du moins, c’est ce que l’on essaye de faire car… mystérieusement, un rideau de plomb tomba, séparant les recherches américaines du reste du monde, Soviétiques y compris.
La rupture dut se produire dans le courant de l'année 1943. Les Soviétiques réactivèrent alors leurs propres recherches, en même temps qu'ils mirent en place un réseau d'espionnage à partir du Canada pour surveiller les Américains.
La chute de ce rideau de plomb fut suivie d'une tragédie dont on connaît des versions contradictoires et sur laquelle la lumière est loin d'être faite. Il s'agit du cas Oppenheimer.
Né à New York en 1904, Jacob Oppenheimer étudia dans plusieurs universités (Harvard, Cambridge, Göttingen) avant de devenir lui-même professeur de physique à l'université de Californie dès 1929. Remarqué pour ses nombreux travaux sur la théorie quantique de l'atome, il fut finalement nommé directeur de recherches à Los Alamos, lieu de fabrication de la future première bombe atomique. Par la suite, il fut directeur de l'institut de Princeton et président de la Commission consultative sur l'énergie atomique. Il fut relevé de cette fonction en 1954. Il est finalement décédé le 19 février 1967.
Ce physicien était alors directeur des recherches du projet atomique américain, le général Groves en assurant la direction militaire. Pour certains, Robert Oppenheimer fut un martyr comparable à Galilée, seul détenant la vérité contre l’obscurantisme des autres, finalement un homme qu'on aura injustement chassé. Pour d'autres, il n'a été qu'un savant opportuniste prêt à tout, même au pire, pour passer au premier plan. Pour pouvoir conserver la direction du projet atomique, la rumeur expose qu’il aurait dénoncé son meilleur ami, sa femme et son frère au F.B.I. Son zèle fut tel qu’il n’a jamais été accusé d'avoir été un agent soviétique. Les fuites sur le programme, s'il y en eut en 1944, ne venaient sûrement pas de lui.
On sait ce qui arriva ensuite : la bombe atomique fut construite et deux exemplaires furent jetés sur Hiroshima et Nagasaki. En 1945, les Américains publièrent le fameux rapport Smyth qui contenait des renseignements très précis. Trente mille exemplaires de ce rapport traduit en russe furent immédiatement distribués à tous les techniciens et savants soviétiques. Ce rapport ne leur apprit peut-être rien de nouveau, mais les savants soviétiques pouvaient enfin se mettre sérieusement à la tâche. Le 29 août 1949, ils firent exploser leur première bombe. C'en était fini du monopole atomique américain !
Comment les Russes ont-ils réussi en 4 ans à créer leur propre bombe ? La science ? certes ! de la chance ? il en faut ! de l'espionnage ? Surtout !
Un jour de mai 1945, un jeune homme appelé Igor Gouzenko demanda asile politique au gouvernement canadien. Ce Gouzenko était chiffreur de documents à l'ambassade soviétique au Canada et dépendait de l’armée. Les câbles relatifs à l'espionnage russe en Amérique du Nord passaient tous entre ses mains. Il en avait apporté plusieurs exemplaires avec lui pour prouver sa bonne foi.
Au début de 1946, des arrestations basées sur ses révélations se multiplièrent. Parmi les suspects appréhendés se trouvait un savant anglais, Alan Nunn May. Il avait travaillé à Montréal dans les laboratoires qui étudiaient l'énergie nucléaire, mais non la bombe elle-même. Toutefois, il avait visité à plusieurs reprises les laboratoires de Chicago qui, eux, travaillaient sur le projet atomique.
Le 1er mai 1946, Alan Nunn May reconnaissait avoir communiqué aux Russes deux échantillons d'uranium 235 pur et un rapport complet sur leur utilisation. Ce rapport contenait au moins deux renseignements qu'ignoraient les Soviétiques : les quantités d'uranium 235 et de plutonium produites par les Américains au moment d'Hiroshima.
En février 1950, les Anglais à leur tour arrêtaient un nouvel agent russe. Klauss Emil Fuchs, qui travaillait au Centre atomique de Harwell. Ce réfugié allemand avait collaboré aux projets atomiques anglais depuis 1941 et avait fait partie de la mission anglaise de liaison avec les laboratoires américains, de décembre 1943 à juin 1946. Il était directement impliqué dans le projet Manhattan. Sa sédition était toute politique : il admirait le communisme et travaillait pour le NKVD (Commissariat du Peuple aux Affaires intérieures). Il fut condamné, emprisonné, puis libéré après 9 ans de prison. Il retourna en RDA travailler pour le compte des Soviétiques.
L’affaire était grave et bouleversa les USA car Fuchs ne pouvait avoir agi seul. La conclusion s’imposait : il y avait donc des traîtres en Amérique. L'opinion publique réclama des têtes.
Ainsi démarra la carrière du fameux chasseur de communistes, le sénateur américain Joseph R. McCarthy. L’enquête avança vite et le 23 mai 1950, on annonçait que le complice de Fuchs avait été arrêté.
C'était un chimiste de l'hôpital de Philadelphie et se nommait Harry Gold. Fuchs, qui l'avait vu, l'avait décrit à son interrogateur, et le F.B.I. n'avait eu aucun mal à le retrouver. Gold n'était pas un innocent. Déjà, avant la guerre, il avait fait de l'espionnage industriel pour les Russes. En particulier, il leur avait fourni les formules extrêmement complexes des bains utilisés par la société Kodak pour développer les films en couleur.
A partir de Gold, on remonta la filière jusqu'à deux autres agents, Alfred Dean Slack, qui avait communiqué la formule de certains explosifs, et David Greenglass, qui pendant la guerre avait fait partie des gardiens militaires de la base atomique de Los Alamos. Le 3 juin 1945, il avait rencontré Harry Gold et lui avait fourni des renseignements atomiques. C'est alors que commença la tragédie de l'espionnage atomique, car on arrêta aussi le beau-frère de Greenglass, Julius Rosenberg, et sa femme Ethel.
La condamnation à mort des Rosenberg provoqua une vague de protestation dans le monde entier, mais l'Amérique ne pouvait plus reculer. Le Maccarthysme, bien qu’exagéré, était à son pic et si les preuves n’étaient pas parfaites… les intuitions étaient fortes. Il fallait faire un exemple et, en 1953, le couple fut exécuté. Jusqu'au dernier moment, certains espérèrent une grâce présidentielle. Mais rien ne vint.
Avant de passer sur la chaise électrique, Ethel Rosenberg nota simplement sur son bloc : « Je meurs avec honneur et dignité, sachant que l'Histoire nous rendra justice. »
On a longtemps cru qu’elle parlait de leur innocence car… à la chute de l’URSS les archives et les autobiographies révélèrent ce que beaucoup réfutaient : les époux Rosenberg étaient bien des espions. Alors quelle justice ? Surement celle d’avoir été consacrés, en silence et dans le secret, comme ceux qui permirent à l’URSS, et aujourd’hui la Russie, d’être une puissance nucléaire.
(1) Retrouvez l'histoire de l'appel du 18 juin en cliquant: ici
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