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La recluse de Mouzon (08 – Ardennes)

 


Mouzon - An de grâce 1197

Agenouillée sur les pavés de la nef de l’abbatiale de Mouzon, Mathilde, dame de Villemontry, se recueille. Face à elle dos à l’autel, l’évêque bénit ses vêtements, puis entame son sermon autour des moines assistant à cette cérémonie de l’enfermement. Mathilde entame un tournant dans son existence. Elle s’apprête à vivre en recluse pour le restant de sa vie. Elle s’est préparée pour ce moment. En effet, vivre en recluse signifie s’abandonner totalement à Dieu, le rechercher, entrer en contact avec lui à travers la solitude et la méditation. Mais vivre en recluse, c’est également devenir dépendant d’un tiers vis-à-vis des besoins vitaux. En ce sens, elle a légué à l’abbatiale « tout ce qu’elle a dans la grosse et menue dîme d’Euilly et Villemontry », afin que les clercs pourvoient à sa nourriture. Le changement de ton du prélat la tire de son introspection.

- Dame Mathilde, faites-vous en votre âme et conscience et sans aucune contrainte le vœu de consacrer le restant de votre existence à la connaissance de Dieu recluse en les murs de cette abbatiale ?

- Oui, dit-elle.

Sa réponse est claire, tout comme les conséquences de celle-ci. Mathilde a conscience que seule la mort mettra à terme à son enferment. Néanmoins, le pape et l’évêque pourront y surseoir. Sa décision n’a rien d’étonnant dans ce XIIe siècle bercé de ferveur religieuse (fondation de grands ordres religieux (cisterciens, dominicains), croisades, construction de cathédrales et d’abbayes). Des personnes similaires à Mathilde recouvrent toute l’Europe, imitant les ermites des premiers temps du christianisme. Devant un tel phénomène, l’Eglise ne pouvait rester indifférente, ne serait-ce que pour éviter les désordres moraux ou les déviations dans le domaine de la foi. Aussi voit-on apparaitre pour ces reclus laïques des règles, dont la plus connue est celle d’Aelred de Rielvaux vers 1150. L’évêque bénit Mathilde, puis la conduit au reclusoir. Elle pénètre dans un petit habitacle voûté de 2 mètres de long, 1 mètre de large et d’une hauteur de 2 mètres, qui se situe à 30 centimètres en dessous du pavage de la chapelle. Alors que résonnent les cloches, des laïcs murent la porte plongeant la majeure partie de la pièce dans l’obscurité. L’évêque appose son sceau. A travers une fenêtre de 60 cm de haut donnant sur l’autel de l’abbatiale, Mathilde regarde les moines quitter la nef. Une fois seule, elle prend possession de son nouveau logement. En fait, cette cellule ne constitue qu’une partie. L’ensemble comporte trois pièces : le reclusoir, une chambre et un parloir. Il est austère, mais n’a rien à voir avec une geôle. La lumière arrive par une ouverture tournée vers le ciel. Un modeste moyen de chauffage au bois existe. Désormais, la prière et la méditation scanderont la vie de Mathilde. Bien vivante en recluse, elle jouera un rôle actif dans la société. Par ses prières, elle contribuera au pardon des pêchés de ses concitoyens. Elle intercédera auprès des saints pour obtenir une guérison ou le repos d’un défunt. Elle assistera à tous les offices depuis son reclusoir qui donne sur l’autel. Aux personnes la visitant, elle prodiguera de pieux conseils et des paroles de consolation. En échange, elle pourra vivre de la charité publique, ou de rentes constituées par la générosité d’un prince ou de la municipalité. Surtout, elle pourra continuer à voir son fils ayant pris l’habit monastique à l’abbaye de Mouzon.

On ignore combien de temps Mathilde vécut recluse dans l’abbaye. Seule certitude, elle ne quitta plus l’abbaye jusqu’à son trépas. Elle pourrait reposer sous une pierre tombale dans la première chapelle Nord du déambulatoire. Bien que l’inscription très effacée ne permette pas de l’affirmer, la pierre gravée représente une religieuse. De plus, les quelques lettres encore visibles, ainsi que les motifs d’ornementation, appartiennent au XIIIe siècle.

Mathilde suscita au moins une seconde vocation, puisque les textes mentionnent une autre recluse à Mouzon en cette année 1197. Il s’agit de Messanilla, fille d’Hugues le Loup. Son reclusoir ne se situe pas dans l’abbatial, mais dans un bâtiment séparé du monastère.

 Le phénomène des reclus s’estompe au XIVe siècle. Les vocations se raréfient par manque de ferveur religieuse. Dès lors ces petites constructions sont transformées en chapelle ou en sacristie. Par conséquent, on trouve très peu de vestiges de reclusoirs en France. C’est la raison pour laquelle le réclusoir de Mouzon mérite qu’on s’y attarde.

  

Sources

Texte : L’Abbé Parent « La cellule de recluse de l’abbatiale de Mouzon » 6p. Office de tourisme de Mouzon.

Image : Photographie de l’entrée du reclusoir prise dans l’abbatiale de Mouzon en juillet 2021.

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