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Jérusalem : la ville divisée



En 1948, lorsqu’Israël proclame son indépendance, la ligne de cessez-le-feu, surnommée la ligne verte, coupe Jérusalem en deux, à l’Ouest les Israéliens, à l’Est les Jordaniens. Dans la vieille ville, les Palestiniens et les Jordaniens incendient une trentaine de synagogues. Les Palestiniens protestent contre la destruction du quartier des Maghrébins et l’expulsion de 3.000 Arabes qui avaient élu domicile dans l’ancien quartier juif.
La communauté internationale ne reconnait pas Jérusalem comme capitale d’Israël. Cependant dans les faits, elle jouit de toutes les prérogatives de capitale politique, administrative et culturelle. Elle profite pleinement de son nouveau statut. Ainsi, Jérusalem Ouest, proclamée capitale d’Israël, bénéficie d’un investissement massif et continu de la part des autorités israéliennes. Tout a été fait pour accélérer son développement. En 1950, la Knesset (le parlement) et les Ministères s’y installent. En 1953, l’université hébraïque est inaugurée. En 1961, le prestigieux hôpital Hadassah ouvre ses portes. En 1965, c’est au tour du musée d’Israël d’ouvrir ses portes. Ces nouveaux investissements publics sont érigés à l’écart de la ligne de front, à 2 km à l’ouest de la vieille ville, ce qui contribue à dévitaliser encore plus l’ancien centre-ville situé à Jérusalem Est. A l’inverse, la monarchie jordanienne fait tout pour brider le développement de la partie orientale de la ville sainte. Le pouvoir la considère comme une menace potentielle pour la stabilité du régime. En 1962, un mur est construit sur la ligne verte. Deux ans plus tard, l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP) tient son congrès fondateur à Jérusalem. La Jordanie s’inquiète des risques de soulèvements qui pourraient embraser la ville revendiquée par les Palestiniens.

Le 5 juin 1967, la Guerre des Six Jours est déclenchée dans la précipitation pour faire face à la menace de l’armée égyptienne. Le but de la guerre est de réduire les capacités militaires égyptiennes. Israël demande au roi Hussein de Jordanie de ne pas intervenir. Ce dernier ignore ces invectives et déclenche des ripostes. La bataille de Jérusalem ne dure que trois jours du lundi 5 au mercredi 7 juin.
Aucune stratégie d’expulsion n’a été planifiée par l’armée israélienne.

Quelques années après la conquête, la municipalité de la Jérusalem réunifiée se réduit à l’ancienne équipe de Jérusalem Ouest. Lors des élections municipales de 1969, aucun Palestinien ne se porte candidat. Les habitants de Jérusalem Est boycottent l’élection. Une résistance souterraine se met en place contre l’occupation israélienne. La société civile palestinienne se mobilise pour mettre en échec les tentatives de normalisation impulsées par la municipalité israélienne. Le Front populaire de libération de la Palestine (FPLP) fondé en 1967, et l’OLP organisent les premières opérations armées à Jérusalem, avec un attentant à la bombe déjoué de justesse, puis avec l’attaque d’un autobus et des voitures piégées. Le 3 juillet 1969, l’ONU adopte la résolution 267, qui condamne les expropriations, démolitions et confiscations de bâtiments à Jérusalem. L’arrivée de la droite au pouvoir en 1977 marque un tournant favorable à la colonisation des territoires occupés y compris à Jérusalem Est. Dans une logique pleinement assumée de confrontation avec les résidents palestiniens, une ceinture de colonies est créée pour encercler les quartiers palestiniens et empêcher leur développement. Tous les outils juridiques sont exploités pour éviter l’expansion des quartiers palestiniens et favoriser celle des colonies.
Face à l’échec de la réunification, la droite israélienne considère que la conquête de Jérusalem Est reste à mener. En août 1980, le général Danny Matt annonce une politique de la main de fer dans les territoires occupés. Des syndicalistes palestiniens sont arrêtés, des journaux fermés, des organisations politiques dissoutes. Ces actions conduisent à la première intifada en 1987. Aujourd’hui, la ligne verte n’est plus visible dans le paysage. En 2002, un mur de séparation est édifié à l’extérieur de l’agglomération sur les bordures du périmètre municipal tel qu’il est défini par le gouvernement israélien.

Les habitants sont capables de déceler immédiatement s’ils se trouvent dans un quartier palestinien ou israélien. Plusieurs indices permettent de faire la différence : la langue, les produits vendus, la qualité d’entretien de l’espace public, le style vestimentaire, les pratiques des habitants. Les différences s’observent aussi dans des détails comme les sacs plastiques distribués dans les commerces. Ils sont noirs et épais à l’Est, fins et roses ou bleus à l’Ouest. Les services collectifs sont en partie séparés. Par exemple, la distribution de l’eau est assurée par deux compagnies distinctes, l’une israélienne et l’autre palestinienne. Les enfants ne fréquentent pas les mêmes écoles. De nombreux Palestiniens et Israéliens sont habillés à l’occidentale. Néanmoins les femmes portent des tenues différentes en fonction de leur appartenance religieuse. L’horizon sonore diffère. Les imams appellent à la prière. Dans les quartiers juifs, un calme absolu règne les jours de shabbat, la circulation étant interdite ce jour-là. La frontière se marque par la présence de la police israélienne, vêtue de bleu, et de l’armée palestinienne, vêtue en kaki. Les Israéliens et les Palestiniens évitent de s’aventurer dans les espaces habités par la population adverse. La mixité est peu souhaitée par les deux communautés. La coexistence dans certains quartiers est perçue comme imposée et donc mal vécue.

Jérusalem est bien coupée en deux. Les Palestiniens, qui comptent pour 40% de la population ne participent pas aux scrutins nationaux et locaux. Moins de 15% du budget municipal leur est consacré. Bien qu’elle ait été proclamée capitale une et indivisible d’Israël, elle est la moins juive des grandes villes israéliennes, car 40% de sa population est musulmane. Capitale revendiquée par un Etat existant, Israël, et par un Etat en devenir, la Palestine, Jérusalem voit les affrontements armés se multiplier dans ses rues. Les attentats palestiniens sont suivis par une répression toujours plus brutale de l’armée israélienne.

Sources
Texte : « Jérusalem : la ville divisée 1967-2017 », L’Histoire, n°436, juin 2017, pp 33-59.
Image : lexpress.fr

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