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Anne duchesse de Bretagne et reine de France


C’est au château de Blois que la reine Claude de France a bien voulu nous accorder une audience pour nous parler de sa mère Anne de Bretagne.

Ma mère est née le 25 janvier 1477 à Nantes. Mon grand-père, François (il s'agit de François II duc de Bretagne) est mort le 9 septembre 1488, des suites des blessures qu'il a reçues à la bataille de Saint-Aubin-du-Cormier contre les armées du roi Louis de France (il s'agit de Louis XI). Ainsi, ma mère s'est retrouvée duchesse à l'âge de 11 ans.

Ses proches conseillers souhaitaient la marier à Maximilien d'Autriche, le fils de l'empereur germanique, dans le but de se constituer une protection efficace contre la France. De plus, la Bretagne aurait pu bénéficier de l'autonomie dont jouissent les Etats au sein de l'Empire. Le prince a accepté la demande, mais trop accaparé par des révoltes, il n'est jamais venu rencontrer sa nouvelle femme. Il s'est fait représenter par un émissaire lors de son mariage à Rennes le 19 décembre 1490.
L'alliance escomptée est rapidement tombée à l'eau. Maximilien n'a pas bougé lorsque l'armée française a envahi la Bretagne. Fort de sa victoire, le nouveau roi Charles (il s'agit de Charles VIII) a exigé d'épouser ma mère. Il justifiait sa demande en insistant sur le fait que le premier mariage n'avait pas été consommé. Comme toute résistance était impossible et qu'il s'agissait de la seule solution pacifique pour régler le conflit, ma mère a cédé. Le mariage est célébré à Rennes le 19 novembre 1491. Le contrat de mariage est à l'avantage du roi de France. Ma mère a dû céder tous ses droits sur le duché. Si le roi Charles décédait le premier, elle devait épouser son successeur, mais en contrepartie, elle pourrait redevenir duchesse de Bretagne. Ensuite, elle a été sacrée le 8 février 1492. C'était la première fois qu'une reine de France était sacrée. Par cet acte, le roi Charles entérinait le rattachement du duché au royaume. Il montrait surtout au prince Maximilien qu'il était le seul et l'unique mari de ma mère.
Le 7 juillet, le roi Charles a reconduit tous les privilèges dont ont bénéficié les Bretons. Par exemple, il n'y a pas de prélèvements fiscaux sans l'accord des Etats ou les Bretons ne peuvent être jugés que par des Bretons. En revanche, il a supprimé la chancellerie, c'est-à-dire que plus aucune ordonnance n'est signée au nom des ducs de Bretagne. Les décisions sont prises par le conseil du roi sans le consentement de la noblesse bretonne. Les revenus du duché sont réaffectés sur l'ensemble du royaume. Ma mère a vu son cher duché annexé par la France sans avoir son mot à dire. Le 7 avril 1498, le roi Charles meurt après s'être cogné la tête contre le linteau d'une porte du château d'Amboise. Ma mère épouse Louis, le cousin de l'ancien roi (il devient roi sous le nom de Louis XII) et par la même occasion duchesse de Bretagne. Le mariage est célébré à Nantes le 7 janvier 1499.

Le roi Louis a toujours été séduit par le charme de ma mère et ce depuis sa plus tendre enfance. Je dois avouer qu'elle a utilisé cet avantage pour parvenir à ses fins. Quand ceci n'était pas suffisant, elle agitait le spectre de la révolte en Bretagne. Elle a fait annuler le contrat de mariage. Avec le nouveau contrat de mariage, ma mère jouissait à nouveau des droits sur le duché et de ses revenus. Elle a rétabli la chancellerie bretonne et faisait battre monnaie à son effigie. Malgré son mariage, le roi Louis n'était pas duc de Bretagne. Il ne pouvait rien entreprendre sans l'accord des Etats. Résidant en grande partie à Blois, elle se comportait en reine et en duchesse. Elle a réuni autour de sa personne une véritable cour composée de nobles et d'intellectuels bretons. Elle adorait le luth, la poésie, le mobilier luxueux et les tournois.
Elle souhaitait me marier à Charles de Habsbourg (l'empereur Charles Quint), qui est le petit fils de son premier époux. Elle espérait ainsi que la Bretagne soit à tout jamais protégée du risque d'annexion par la France. Comme très souvent, le roi Louis cède à la reine. Une promesse d'alliance a été signée le 22 septembre 1504. Le mariage ne pouvait pas être célébré, car nous n'étions encore que des enfants. Seulement l'année suivante, la situation a changé. Le roi a annulé cette promesse désastreuse pour la France. Ses conseillers et lui projetaient de me marier à François d'Angoulême son cousin (le futur François Ier). Pour montrer son désaccord et effrayer le roi, ma mère a piqué une sacrée colère et quitté la cour. De retour à Nantes, elle a réuni les Etats. Elle gouvernait en montrant que c'était elle la reine en Bretagne. Cependant sa stratégie d'intimidation n'a pas fonctionné. Le roi demeurait inflexible. Craignant de perdre son influence à la cour et qu'un complot se trame contre elle, elle s'est résignée à regagner la cour.
Elle est morte le 9 janvier 1514, à 37 ans, à cause de calculs rénaux, faisant de moi la nouvelle duchesse de Bretagne. Comme convenu, j'ai épousé François le 18 mai à Saint-Germain-en-Laye, qui est devenu roi en 1515. J'ai cédé mes droits sur le duché à mon royal époux.

La Bretagne sera définitivement rattachée à la France par l'Edit d'Union de 1532. Le roi Henri II, fils de François Ier, sera le dernier duc de Bretagne.

Sources
Texte :
- Philippe TOURAL : "Anne de Bretagne : la duchesse insoumise", Historia, n°835-836, juillet-août 2016, pp49-53.
- Joël CORNETTE : Histoire de la Bretagne et des Bretons, Seuil, Paris, 2015, pp110-123.

Image : http://alacroiseedesaberslannilis.e-monsite.com/medias/images/anne-de-bretagne-1.jpg?fx=r_660_660

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