Sur les traces de Pausanias : voyager dans la Grèce antique avec le premier guide de l’Histoire

Il y a eu un auteur Grec qui a bercé mes années d’université. Quand mon professeur d’Histoire ancienne commençait à parler - sans enthousiasme - des monuments grecques laissés à la postérité, les pérégrinations de Pausanias revenaient sans cesse. Je vais tâcher de vous rendre ce voyage bien plus agréable. Imaginez. Le jour se lève lentement sur les terres sacrées de Béotie. Les premières lueurs caressent les collines, s’infiltrent entre les feuillages d’oliviers centenaires et dansent sur la poussière des chemins. Un homme marche, seul, les sandales battant doucement la terre rouge que née nombreux héros ont eux-même foulé. À sa ceinture, un rouleau, jauni par l’usage. Dans son esprit, une carte immense, vivante, peuplée de dieux, de héros, de statues oubliées. Il s’appelle Pausanias. Il ne cherche ni gloire ni conquête : il cherche à comprendre, à transmettre, à faire revivre un monde dont il sait déjà qu’il s’efface.

Nous sommes au IIe siècle de notre ère. La Grèce vit désormais sous domination romaine depuis longtemps. Ses temples se fissurent, ses théâtres se vident, ses oracles se taisent peu à peu. Mais ce monde qui s’éteint lentement, Pausanias veut le capturer avec ses mots. Originaire d’Asie Mineure, il entreprend un voyage immense à travers le territoire grec. Il traverse les montagnes, longe les fleuves, s’arrête dans les sanctuaires, interroge les anciens, observe les rites. Et de cette errance naîtra une œuvre magistrale, la Périégèse de la Grèce — une sorte de guide de voyage avant l’heure, mais infiniment plus : un recueil de mémoire, une cartographie de l’âme grecque. À Delphes, c’est une Grèce mystérieuse et sacrée qui s’offre à lui. Le sanctuaire, accroché aux pentes du mont Parnasse, baigne dans un silence presque solennel. La Voie Sacrée monte en serpentant parmi les trésors des cités grecques, statues et colonnes dressées comme des prières pétrifiées. L’air y est pur, chargé du parfum des lauriers et de l’encens. Là, il contemple le temple d’Apollon, simple mais puissant, que les pèlerins rejoignent depuis des siècles pour entendre l’oracle. Pausanias ne se contente pas de décrire les lieux : il écoute les pierres. Il nous transmet les rumeurs, les récits, les peurs ancestrales. Il évoque la Pythie, femme mystérieuse assise sur le trépied sacré, exhalant les paroles du dieu, souvent obscures, toujours redoutées. Le sanctuaire est encore vivant, mais Pausanias sent déjà le poids du temps. Il note ce qui disparaît, ce qui subsiste, ce que la mémoire garde ou rejette. Delphes, dans ses mots, devient un théâtre sacré où l’invisible côtoie l’éternel.

Plus au sud, dans la plaine chaude d’Élide, Pausanias découvre Olympie, cœur battant de l’ancienne Grèce, où l’on célébrait à la fois le corps et l’esprit. Ici, les Jeux Olympiques, même dans leur version romaine, gardent une aura sacrée. Il arpente les allées bordées de statues, les temples écrasés de soleil, les autels noircis par les flammes des sacrifices. Mais ce qui le frappe, c’est la statue de Zeus, monumentale, faite d’or et d’ivoire, œuvre du grand Phidias. Le dieu y trône majestueux, regard perdu vers l’éternité. Cette image, décrite avec une minutie presque mystique, traverse les siècles grâce à lui. Et autour du sanctuaire, les vestiges parlent d’exploits et de disciplines : le stade, l’hippodrome, le gymnase. Pausanias s’intéresse autant aux gestes des athlètes qu’aux cultes discrets rendus dans les bois sacrés. Il voit dans chaque pierre un écho, dans chaque course un souvenir.

Arrivé à Corinthe, il entre dans une cité qui mêle grandeur et abandon. Les rues y sont larges, les colonnades encore imposantes, mais le prestige s’est terni. Pourtant, la ville fascine. Perchée sur son isthme, elle relie les deux mers, carrefour de commerce, de cultures, de croyances. Pausanias gravit l’Acrocorinthe, immense citadelle qui domine les alentours, et décrit le temple d’Aphrodite, centre d’un culte puissant et sensuel. Il note la présence des hiérodules, ces prêtresses sacrées vouées au plaisir, vestiges d’un monde où le divin et la chair ne faisaient qu’un. À chaque carrefour, la ville offre des contrastes : temples élégants et tavernes animées, récits mythiques et réalités triviales. Là encore, il ne juge pas. Il décrit avec cette précision tendre, presque pudique, qui rend son regard si humain.

Puis vient Athènes. Même affaiblie, la cité rayonne. Elle est pour Pausanias ce qu’elle est pour nous : une ville monument, un rêve de pierre et de pensée. Il y marche longuement, attentif aux moindres détails. Il décrit l’Agora, encore vibrante, les statues des héros, les portiques des philosophes. Mais c’est sur l’Acropole que son cœur s’arrête. Le Parthénon domine l’horizon. Malgré les outrages du temps, les frises racontent encore les récits épiques, les métopes montrent la lutte des dieux, la victoire d’Athéna, la beauté d’une civilisation au sommet de son art. L’Erechthéion, avec ses célèbres caryatides, semble, sous sa plume, s’animer d’un souffle ancien. Il regarde cette ville comme on contemple une âme. Athènes n’est plus au pouvoir, mais elle reste éternelle.

Voyager ainsi, à pied ou à cheval, c’est une épreuve en soi. Pausanias parcourt des centaines de kilomètres sur des routes parfois dangereuses. Il loge chez les habitants, échange avec les prêtres, écoute les conteurs. Il note les coutumes, les rituels locaux, les noms oubliés de divinités secondaires. Il se baigne dans les fleuves sacrés, observe les offrandes sur les autels, s’arrête devant une inscription effacée par le temps. Ce n’est pas un touriste, mais un pèlerin de la mémoire. Il comprend que ce qu’il voit aujourd’hui pourrait disparaître demain. Et il écrit, pour que cela reste. Il n’est pourtant pas un observateur neutre. Il choisit, trie, commente. Il se méfie des récits trop merveilleux, se permet parfois l’ironie. Mais c’est cette subjectivité qui rend son œuvre si précieuse. Ce que Pausanias retient, ce n’est pas ce que l’histoire officielle veut transmettre, mais ce que les vivants racontent encore. Il fait confiance aux récits populaires, aux traditions orales, aux murmures des anciens sur les places ensoleillées. Il donne la parole à un peuple dont la voix, sans lui, se serait peut-être éteinte. Son œuvre, redécouverte des siècles plus tard, a guidé les explorateurs, inspiré les érudits, aidé les archéologues. Grâce à lui, des temples ont été localisés, des ruines identifiées. Il est une passerelle entre l’Antiquité et le présent, une boussole pour ceux qui cherchent encore les traces du passé dans le sol grec.


Source: Pausanias, Description de la Grèce, traduction intégrale d'Étienne Clavier, préface de William Pillot, Éditions Jérôme Millon, 2022


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