Le donjon de Crest (26 – Drôme)

 


Aux dernières vacances de la Toussaint, je me suis rendu dans la région Auvergne Rhône-Alpes en espérant trouver le soleil qui manquait cruellement au Nord de la Loire. Une amie de la région m’a parlé de l’imposant donjon de Crest, qui avec une hauteur de 53 mètres, est l’un des plus hauts de France. Toujours en quête de monuments historiques et conduit par l’envie de partager ici mes découvertes, je me suis rendu sur place. Bien que le chemin soit aménagé, il m’a fallu prendre mon courage à deux mains pour rejoindre l’entrée. En effet, la tour s’élève sur une crête rocheuse formant un rempart naturel. Celle-ci surplombe la Drôme et constitue un point d’observation. D’ailleurs, le nom de la commune de Crest est dérivé du mot « crête ».

Après avoir franchi l’accueil puis l’entrée du donjon munie de sa herse et ses massives portes de bois, je grimpe un large escalier de bois conduisant à un palier desservant plusieurs salles. Certaines d’entre-elles sont aménagées en salle de banquet médiéval. Des panneaux et des maquettes expliquent l’histoire du lieu. Le premier édifice date du début du XIIe siècle. Il est établi par la famille Arnaud, seigneurs du Vivarais. En 1145, le comte cède le château à l’évêque de Die pour financier sa participation à la croisade. Cependant, la ville demeure sous la juridiction du comte de Valentinois. Cette situation engendre un conflit politique entre les deux seigneurs durant trois siècles. Ainsi, l’évêque et le comte édifient sur le même site deux châteaux, dont les enceintes sont séparées que de quelques mètres. L’évêque possède le château haut. En 1267, le comte Aymard III réussit à s’approprier l’ensemble. Il transforme le château supérieur en une énorme tour qui sera achevée en 1394. En 1483, le comté est intégré à la province du Dauphiné faisant partie du domaine royal. La tour sert de lieu de réception et de stockage. Une garnison y réside afin de surveiller les environs. Elle commence à servir de prison à compter de la fin du XVe siècle. En 1633, Louis XIII ordonne la destruction du château de peur qu’il tombe aux mains des protestants. Après négociations avec les édiles, seule la tour est conservée. Dix ans plus tard, le roi donne au prince de Monaco le duché de Valentinois. Par ce geste, il le remercie de son aide dans la guerre franco-espagnole et le dédommage des pertes subies. La famille Grimaldi devient seigneur de Crest jusqu’à la Révolution. La France garde la jouissance de la Tour à charge à la ville d’assurer les frais d’entretien et de fonctionnement. En 1754, on construit une rampe d’accès donnant sur la ville, comptant cinq tronçons de marche en pas d’ânes. Il s’agit de celle que j’ai moi-même empruntée. En réalité, le donjon se compose de trois tours reliées par d’épaisses courtines, dont l’une constitue un énorme bouclier. L’espace entre les tours formaient une cour à ciel ouvert, avant d’être recouverte d’une toiture abritant les escaliers et les paliers desservant les différentes salles.

Je visite les immenses cellules offrant des reconstitutions, comme celle de cette famille de protestants. En effet au milieu du XVIIe siècle, le donjon sert exclusivement de prison pour des victimes de lettres de cachets, des administrateurs locaux fautifs et des protestants suite à la révocation de l’Édit de Nantes en 1685. La garde des prisonniers est confiée à des militaires. A partir de 1711, des invalides de guerre assurent cette mission. Les évasions sont rares. On en dénombre sept pour le XVIIIe siècle. La plupart du temps, elles se soldent par un échec. L’unique accès passe par le logement des gardes. Il faut donc tenter la sortie par les fenêtres qui sont hautes perchées et munies de barreaux. L’évasion la plus spectaculaire est celle de Philippe Rivoix, 70 ans, le 29 novembre 1759. Après 12 ans d’emprisonnement, il empile tout son mobilier pour atteindre la fenêtre en hauteur, puis il fond le plomb des barreaux. Ensuite, il descend le long du mur avec une échelle de draps. Hélas, celle-ci est trop courte et il fait une chute mortelle de 10 mètres. En 1789, il reste cinq prisonniers. A partir de 1793, la prison est réhabilitée pour enfermer les détenus de droits communs, les prêtres réfractaires et les ennemis de la Nation. La population carcérale ne cesse d’augmenter. Cependant, le budget alloué à l’entretien et au fonctionnement de la tour est insuffisant. La population carcérale explose en 1851, suite aux révoltes dans la Drôme en contestation au coup d’état de Napoléon III. Cette année, la tour accueille 450 prisonniers. Les murs des prisons sont recouverts de graffitis. Les prisonniers y gravent leurs noms et les dates de détentions. Certains dessinent, comme par exemple cette scène de dragonnade véritable bande dessinée, ou des soldats en uniforme napoléonien.

Après avoir gravi les trois étages de la tour, je me retrouve sur le toit terrasse, qui présente la particularité d’être recouverte. En effet, un toit de tuiles à deux versants a été installé au XIVe siècle, afin de remédier aux problèmes d’infiltration d’eau. Je grimpe deux autres escaliers, dont l’un très étroit, pour atteindre le sommet. Je profite du paysage brumeux de cette fin d’après-midi, avant d’effectuer le parcours en sens inverse. Je découvre l’histoire récente du monument. En 1871, l’État souhaite se débarrasser de la tour. La commune de Crest refuse de l’acheter, compte-tenu du coût onéreux de la restauration. Le 29 juillet 1878, Maurice Chabrières, trésorier payeur général du Rhône, l’achète et entreprend une restauration. La tour reste dans la famille jusqu’au 10 août 1988, date à laquelle Pierre Chabrières la revend à la ville de Crest pour un million de francs. La municipalité crée une régie et une association pour la gestion et l’entretien. Le monument accueille du public à partir de 1993, dont je fais maintenant partie.

 

Sources

Texte :

-    - Visite guidée du donjon effectuée en novembre 2024

-   - HUOT Claude et SERRE Robert, La tour de Crest : forteresse et prison, Piégrane, Crest, 2005 72p.

Image : https://www.tourdecrest.fr/

 

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