Sykes-Picot : L’accord secret qui a changé le destin du Moyen-Orient

Dans une pièce feutrée d’une Europe en guerre, deux hommes penchés sur une carte redessinent le destin d’un monde en ruine. Mark Sykes, aristocrate britannique à l’allure sévère, trace une ligne d’un geste sûr. François Georges-Picot, diplomate français méticuleux, hoche la tête et ajoute une courbe. À chaque mouvement de leur plume, des montagnes sont traversées, des rivières ignorées, des peuples séparés. Ce soir de mai 1916, loin du fracas des champs de bataille, se joue un épisode déterminant de l’histoire du Moyen-Orient. Ils ne le savent pas encore, mais leurs lignes noires vont semer des graines de tensions et de conflits qui résonneront bien après eux, au cœur des révoltes et des luttes du siècle à venir.


Nous sommes en 1916. La Première Guerre mondiale a déjà plongé l’Europe dans le chaos, mais un autre front se profile au sud. L’Empire ottoman, l’un des plus vieux empires du monde, vacille. Ce colosse aux pieds d’argile, allié des puissances centrales, semble condamné à une chute inévitable. Ses terres, si vastes et si riches, suscitent l’appétit des grandes puissances européennes. Pour la France et la Grande-Bretagne, ces terres du Moyen-Orient ne sont pas seulement une opportunité territoriale : elles sont une promesse de richesses inouïes. Le pétrole, ce nouvel or noir, attise les convoitises, tout comme le contrôle des routes stratégiques vers l’Inde. Ces ressources sont le futur, et le futur appartient à ceux qui s’en empareront.


Dans ce contexte, Londres et Paris s’accordent pour partager à l’avance le gâteau ottoman. Il faut agir vite. Ce qu’il reste de cet empire moribond est à prendre, et chaque camp veut s’assurer la meilleure part avant que la guerre ne se termine.


Allons dans les coulisses. 


Dans une pièce tamisée, éclairée par une lumière vacillante, une carte s’étale sur une table. Elle représente le Moyen-Orient, mais pour Sykes et Picot, elle n’est qu’un canevas. Leurs yeux ne voient ni villages, ni tribus, ni communautés tissées par des siècles de coexistence. Ils voient des zones, des territoires, des ressources. La plume tremble un instant, puis une ligne est tracée. Elle traverse le désert, longe des collines, coupe des vallées. Sur cette carte, voici ce qu’ils décident :

  • La zone bleue (contrôle direct français) comprendra la Syrie, le Liban et une partie de la Turquie actuelle.
  • La zone rouge (contrôle direct britannique) inclura l’Irak, riche en pétrole, ainsi que la Palestine et ses ports stratégiques.
  • La Palestine, terre des lieux saints, sera sous une administration internationale, un compromis fragile pour éviter les conflits.

Les communautés locales ? Les aspirations des Arabes à une indépendance promise ? Les droits des Kurdes, des Arméniens ou des Assyriens ? Tout cela est balayé par l’encre noire qui s’étend sur le papier.


Tandis que Sykes et Picot redessinent le Moyen-Orient dans leur coin, un autre jeu se joue dans les vastes déserts d’Arabie. Là-bas, le Chérif Hussein de La Mecque, leader respecté des Arabes, correspond avec les Britanniques. Dans ces lettres chaleureuses, Londres promet monts et merveilles : un grand royaume arabe unifié si Hussein se révolte contre les Ottomans. Fasciné par ce rêve d’indépendance, le Chérif Hussein mobilise ses forces. La révolte arabe naît. Aux côtés des tribus bédouines, un homme singulier, T.E. Lawrence, œuvre comme intermédiaire et tacticien. Son rôle sera plus tard immortalisé, mais lui aussi ignore l’ampleur de la duplicité à l’œuvre. Car au même moment, en secret, les promesses faites à Hussein sont foulées aux pieds. Sykes et Picot, en conspirant pour se partager la région, condamnent déjà ce rêve arabe. La révolte réussira à fragiliser les Ottomans, mais lorsque les accords Sykes-Picot seront révélés, le choc sera immense.


C’est en 1917 que le scandale éclate. Les Bolcheviks, ayant pris le pouvoir en Russie, mettent la main sur les archives diplomatiques tsaristes. Parmi les documents, les accords Sykes-Picot, signés également par la Russie, tombent entre leurs mains. Avec un goût pour la provocation, ils publient tout. L’effet est immédiat. Les Arabes, qui se battaient encore dans l’espoir d’un grand État indépendant, découvrent qu’ils ont été dupés. À la lumière de ces révélations, les lignes tracées sur cette carte de 1916 prennent un autre visage : celui de la trahison.


Après la guerre, les accords Sykes-Picot, bien qu’ajustés lors des conférences internationales, deviennent la base des mandats confiés par la Société des Nations. La France prend le contrôle de la Syrie et du Liban. La Grande-Bretagne s’empare de l’Irak, de la Palestine et de la Transjordanie.

Mais ces frontières, arbitraires, sèment des divisions profondes :

  • Les Kurdes : divisés entre plusieurs États, ils perdent tout espoir d’un pays.
  • La Palestine : promise comme zone internationale, elle devient le foyer de conflits entre Juifs et Arabes, exacerbés par la Déclaration Balfour.
  • L’Irak et la Syrie : des États artificiels où cohabitent des groupes ethniques et religieux antagonistes.

Les tensions issues de ces découpages éclatent encore aujourd’hui dans des conflits qui trouvent leur origine dans ces décisions coloniales.


Les accords Sykes-Picot incarnent à eux seuls l’arrogance des puissances occidentales de l’époque. Deux hommes, depuis leurs bureaux confortables, ont redéfini une région sans consulter ceux qui y vivaient. Mais plus qu’une simple erreur, ces accords représentent un choix : celui de l’avidité au détriment de la justice. Pourtant, réduire les conflits actuels du Moyen-Orient à cet unique pacte serait simpliste. Si Sykes-Picot a semé les premières graines du désordre, les décennies qui ont suivi, avec leurs guerres, révolutions, et interventions étrangères, ont aussi façonné ce chaos. En traçant leurs lignes sur une carte, Sykes et Picot ne pouvaient imaginer que leur pacte deviendrait un mythe. Ils ne voyaient pas les millions de vies qui seraient touchées, les générations qui souffriraient de leurs choix. Et pourtant, leur héritage est là, à chaque frontière contestée, à chaque conflit régional.


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