L'espionnage



L'espionnage est l'un des plus vieux métiers du monde, dont les plus anciennes traces se situent en Mésopotamie et en Egypte. Des hommes sont chargés de recueillir des renseignements sur des rivaux ou des alliés incertains, d'infiltrer le territoire ennemi pour jauger de ses forces, ou mener des opérations de désinformation et de corruption de notables. On les appelle "les yeux et les oreilles du roi". Ils apparaissent indirectement dans les textes. Il est écrit "que le roi a été informé de" ou "le roi ayant appris que". Il faut attendre l'empire assyrien au -VIIIe siècle pour qu'apparaisse un terme désignant les espions sous le vocable de "patrouilleurs" et "langues". Les premiers sont des militaires auxquels le roi confie des missions particulières à l'extérieur du royaume. Les seconds sont des étrangers (prisonniers, déserteurs, réfugiés) qui retournent dans leur pays d'origine pour espionner. Néanmoins, il n'existe pas de services exclusivement voués à l'espionnage.
La Chine et l'Inde produisent les deux premiers manuels théoriques d'espionnage : L'Art de la guerre de Sun Tzu et L'Arthashâstra de Kautilya. Les deux ouvrages sont des recueils de recettes générales à l'attention des princes. Ils décrivent les personnes pouvant exercer ce genre de missions : militaires, marchands, prostituées, mendiants, comédiens, domestiques. Sun Tzu se fait l'écho du taoïsme qui dit que tout évolue en permanence. Il faut donc sans cesse s'informer pour évaluer les rapports de force avant de prendre sa décision. En Inde, le bouddhisme prônant la non-violence, il faut tout mettre en œuvre pour éviter le conflit armé quitte à avoir recours à la corruption.
Les Grecs ont une tout autre vision. Pour eux, la ruse est quelque chose d'indigne. Il convient d'affronter son adversaire face à face. L'espionnage est une pratique barbare dont usent les Perses. Les Grecs mènent entre eux des guerres conformes à l'éthique, cependant, lorsqu'ils affrontent des barbares, ils n'hésitent pas à recourir à ces pratiques jugées viles. Dans le but de protéger sa cité, trahir et désinformer l'ennemi barbare est une action civique. Les Romains n'hésitent pas à recourir aux espions même s'ils s'en défendent. Auguste instaure un service de renseignement, dont les agents sont chargés de surveiller la population et d'empêcher les conjurations politiques.

Au Moyen-âge, la plupart des espions ne sont pas des professionnels. Il s'agit de marchands, de religieux, de femmes, qui transportent le courrier, surveillent les alentours et sondent la population. Ils sont davantage motivés par l'appât du gain que par des convictions politiques. Ils sont payés à la mission exécutée. Les espions transmettent de fausses indications ou facilitent la prise de villes et de châteaux par la trahison et la corruption. Les peines de ceux démasqués varient entre l'exécution et le bannissement en fonction de leur mission et des preuves.
Louis XV instaure Le Secret du Roi, premier véritable service bureaucratique qui effectue une diplomatie parallèle. Ses membres ne reçoivent leurs ordres que du roi. Le ministre des Affaires Etrangères n'est pas au courant de ce qui s'y passe. Ce double jeu permet à la France d'avoir une politique de rechange. Louis XV dirige personnellement, contrairement à la politique officielle décidée à la majorité de son conseil. Le roi aménage à Versailles son cabinet des dépêches pour lire les rapports de ses bons amis comme ils sont appelés. Ces derniers sont des nobles et des roturiers choisis pour leur savoir-faire, leur goût de l'aventure ou leurs connaissances juridiques. Prêts à courir tous les risques, ils sont fiers d'appartenir à cette communauté restreinte d'élus du roi. Payés sur la cassette personnelle du monarque, celui-ci ne les reconnait pas en cas de problème. L'action du Secret du roi demeure peu importante faute de moyens humains, militaires et financiers. Néanmoins, Louis XV est au courant de tout ce qui se passe dans les cours européennes. Louis XVI dissout cette institution.

Au milieu du XIXe siècle, le jeu des alliances européen mouvant impose la nécessité d'un service de renseignement structuré et important. Les journalistes intègrent le rang des espions. Par exemple durant la guerre franco-prussienne, l'Allemand August Baron Schluga vom Rastenfeld côtoie tous les salons parisiens et informe Bismarck des mouvements de troupes françaises. L'espionnage gagne la place publique. Les journaux, les romans installent les fantasmes du "grand jeu" selon l'expression du romancier Rudyard Kipling dans Kim. Les services secrets britanniques (MI5 et MI6) voient le jour en 1909 pour surveiller la menace allemande. Lorsqu'éclate la Première guerre mondiale, toutes les grandes puissances possèdent des organisations civiles et militaires dédiées à l'espionnage, qui bénéficie des avancées technologiques. Les communications par ondes radio se généralisent accompagnée de la cryptographie et des écoutes. Le renseignement image se développe avec la photographie aérienne, puis satellite. Après 1945, les armes nucléaires rendent impossible un conflit direct entre les Etats-Unis et l'Union soviétique, qui vont s'affronter par espions interposés. La CIA voit le jour en 1947. Même s'ils ne sont pas infaillibles, les appareils de renseignement sont aujourd'hui considérés comme l'une des grandes forces de protection des Etats, après la police et l'armée.

Voir notre article sur l'espion soviétique Richard Sorge

Sources
Texte : "L'espionnage : 4000 ans de manipulation" in Les Cahiers de Sciences et Vie, n°161, mai 2016, pp24-86.
Image : huffingtonpost.fr

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