Le siège de Larsa : Comment Hammurabi de Babylone a étendu son royaume en Mésopotamie

Hammurabi est une figure clé de la longue Histoire Mésopotamienne. Il marque une rupture nette avec l’ancien temps des cités et des élites suméro-akadiennes du IIIe millénaire et l’hégémonie babylonienne des IIe et Ier millénaires. En effet, si Babylone connut des périodes de dominations étrangères et des destructions au cours de sa riche histoire, elle resta comme le symbole de la puissance, de la richesse, de la beauté et de la culture jusqu’à nos jours.

C’est sous le règne d ‘Hammurabi (1792-1750) que la ville obtint ses lettres de noblesse. De tous ceux que connurent la ville sous son long et prolifique règne, un événement marqua l’avènement et l’hégémonie de Babylone sur le vieux pays mésopotamien. Cet événement, c’est la prise de la ville de Larsa en 1763 qui vit l’annexion de son royaume, qui était le plus grand de Mésopotamie, par Babylone. Comment Hammurabi a-t-il pu organiser une campagne militaire aussi importante ? Quelles en étaient les raisons et qu’elles en furent les conséquences pour la Mésopotamie ?

Les sources en présence.
Les sources de cette période sont trop peu nombreuses et sont cantonnées aux seules archives écrites sur les tablettes cunéiformes retrouvées lors des fouilles archéologiques des cités mésopotamiennes. La ville de Mari sur l’Euphrate, au nord-ouest de Babylone, est notre principale source d’information. Les lots d’archives retrouvés lors des excavations françaises des archéologues André Parrot, Jean Claude Margueron et aujourd’hui Pascal Butterlin, nous racontent assez fidèlement les événements qui se produisirent en Mésopotamie à l’époque d’Hammurabi. Malheureusement pour nous, ce même Hammurabi emporta avec lui la grande majorité des archives diplomatiques de la ville quand il envahit le royaume mariote en 1761. Mais « heureusement » pour nous, il détruisit la cité puis la brûla, pour une raison encore inconnue aujourd’hui, ce qui eut pour effet de figer la ville dans ses derniers instants et de cuire l’argile des tablettes, ce qui leur permirent de se conserver jusqu’à leur découverte. Paradoxalement, nous n’avons aucunes sources provenant de Babylone, car si la ville de Nabuchodonosor II a bien été fouillée, la ville de l’époque d’Hammurabi se trouve aujourd’hui sous la nappe phréatique. Quant à Larsa, tout porte à croire qu’Hammurabi ait ordonné la même razzia dans les archives de la ville. Enfin, la dernière source d’information primordiale qui nous soit parvenue est le nom des années de règne du souverain babylonien, qui par tradition prenait un événement marquant de l’année précédente pour nommé la suivante. 

Situation géopolitique.
Lors des fouilles de Mari, une lettre, parmi des milliers d’autres, s’est révélée une découverte primordiale pour la compréhension de la géopolitique du début du XVIIIe siècle avant notre ère. Elle fut écrite  probablement vers 1770 et destinée à rallier les tribus nomades au roi de Mari :
« Il n’y a pas un roi qui soit puissant à lui seul. 10 à 15 rois suivent Hammurabi, roi de Babylone ; Autant suivent Rim-Sin, roi de Larsa, Ibal-pi-El, roi d’Eshnunna et Ammut-pi-El, roi de Qatna, mais 20 rois suivent Yarim-Lim, roi de Yamhad. »
Il était fini le temps des grandes puissances sudistes sumériennes et akkadiennes comme Uruk, Ur, Lagash, Kish et Agadé. Seule Larsa faisait figure d’exception et avait réuni sous sa coupe l’ensemble du pays sumérien après une lutte acharnée  avec sa grande rivale Isin au XIXe siècle. Babylone, en Mésopotamie centrale, fut pendant cette période un petit royaume qui sortait de l’ombre, mais à l’avènement d’Hammurabi elle était devenue une forte puissance qui s’était beaucoup étendue.
Les grands royaumes en ce temps se situaient surtout au nord. Shamshi-Addu (1813-1781) avait réuni un grand royaume, dit de Haute-Mésopotamie, des portes de l’Anatolie en passant par l’Assyrie jusqu’au royaume d’Eshnunna. Mari était une des trois capitales gouvernées conjointement par le roi et ses deux fils. A la mort du souverain, le royaume se disloqua et Mari retourna à Zimri-Lim, descendant de la précédente famille régnante des Lim. Eshnunna enfin, au carrefour des routes commerciales dans la vallée de la Diyala, fut un grand et riche royaume jusqu’à sa prise par le sukkal (empereur) d’Elam (Iran) dont elle eut bien du mal à se relever.
A l’aube de l’affrontement entre Babylone et Larsa, les grandes puissances en présence étaient Larsa au sud, Babylone en Mésopotamie centrale, Mari et Alep plus au nord, et Eshnunna et l’empire d’Elam à l’est.

Les prémices du conflit.
C’est de la guerre qu’est né le conflit entre Babylone et Larsa. Avant de se tourner au sud, vers le puissant royaume de Rim-Sin, Hammurabi dut faire face aux redoutables armées du sukkal d’Elam Siwapalarhuhpak et à ses velléités expansionnistes sur la Mésopotamie. Pour lui faire face, Hammurabi ne put se tourner que vers Mari et Larsa, car le royaume d’Eshnunna, porte d’entrée de la Mésopotamie, était, quant à lui, déjà tombé entre les mains de l’ennemi élamite. Hammurabi conclut une alliance à la hâte avec Zimri-Lim de Mari. L’affrontement décisif eut lieu à Opis où les troupes babylano-mariotes étaient assiégées par les troupes élamites. Ce fut pendant le siège qu’Hammurabi appela plusieurs fois à l’aide le roi de Larsa, qui prétextant une possible attaque de son royaume par ces mêmes élamites, n’enverra jamais de troupes. Il faut insister sur l’enjeu de ce siège d’Opis : si la ville chutait, c’était toute la Mésopotamie qui tombait sous la domination du sukkal d’Elam.
Finalement, la ville résista et les troupes ennemies rentrèrent au pays d’Elam. Hamurabi s’autoproclama alors grand vainqueur de ce conflit, omettant de citer le précieux allié mariote.

Les motifs du conflit avec Larsa.
Après le départ des troupes élamites, Hammurabi espéra annexer le royaume d’Eshnunna en s’y faisant proclamer roi, mais ce fut un échec. Résigné, le roi de Babylone renoua des relations diplomatiques avec le sukkal d’Elam, et ce dernier répondit favorablement aux sollicitations babyloniennes. Après le revers eshnunnéen, Hammurabi tourna ses forces vers le royaume de Rim-Sin qui l’avait trahi. De l’aveu même d’Hammurabi, dans une lettre qu’il adressa à Zimri-Lim, l’attitude du roi de Larsa était ambivalente : feignant de retenir ses troupes sur ses terres à cause d’une possible attaque des troupes élamites contre celles-ci, Rim-Sin profita de l’absence des troupes babyloniennes retenues à Opis pour mener plusieurs incursions dans le territoire babylonien, qui se traduisirent pas des pillages et des déportations de population. Après la rupture des relations diplomatiques, Hammurabi décida d’attaquer le royaume de Larsa à l’aide des troupes militaires provenant de Mari.
Avant de partir en campagne, Hammurabi vérifia que les dieux lui donneraient leur approbation. La mobilisation des troupes babyloniennes s’est donc accompagnée de consultations oraculaires des dieux Marduk et Shamash. La consultation de Marduk, dieu poliade de Babylone, est indiscutable et justifiée, mais la consultation du dieu Shamash nous renseigne sur l’état d’esprit d’Hammurabi. Shamash était le dieu du soleil. Etre de lumière, il apportait la vérité aux hommes et c’est tout logiquement que les anciens mésopotamiens le considéraient comme dieu de la Justice.
Shamash était un dieu important pour Hammurabi, d’ailleurs sa représentation trône devant lui pour l’éternité tout en haut de son code de loi. Ce dieu était également vénéré à Sippar, ville incorporée au royaume de Babylone mais aussi à Larsa. L’affrontement qui s’annonçait alors, ressemblait donc tout autant à une guerre sainte qu’à une guerre de représailles où Hammurabi et le dieu Shamash réclamaient que justice soit faite contre Rim-Sin.

Le tournant : la prise de Mashkan-shapir.
Une fois les affaires liturgiques terminées, les soldats mirent le cap vers le sud et plus particulièrement vers Mashkan-shapir, ville fortifiée et verrou septentrional du royaume de Larsa. Hammurabi, roi patient, montra sa grande habilité diplomatique en obtenant la reddition de la ville sans combattre. Ainsi, tel un pasteur, il alla prêcher la clémence pour la ville dans cette guerre sainte contre Larsa « qui a méprisé le serment de Shamash et Marduk ». Mashkan-shapir était gouvernée par Sinmuballit, frère de Rim-Sin, qui commandait près de 3000 soldats. C’est finalement confiant – « d’ici trois à quatre jours, la ville de Mashkan-shapir sera conquise. » – et sans violence qu’Hammurabi obtint la reddition par la négociation.
La prise de Mashkan-shapir fut un tournant terrible pour Larsa car elle renforça la coalition. Nous apprenons ainsi par une lettre de Mari que l’armée ennemie avait fusionné avec celle d’Hammurabi : « Et l’armée du Yamutbal s’est couchée sur la couche de l’armée de Hammurabi ». La route de Larsa était à présent ouverte et bientôt les villes de Nippur, capital religieuse, et Isin, ancienne grande puissance et rivale de Larsa, tombèrent entre les mains babyloniennes.


Siège et chute de Larsa.
Hammurabi et ses alliés, forts de plus de 40 000 hommes, mirent donc le siège devant Larsa. D’après les lettres de correspondances en notre possession, il se serait déroulé au moins sur six mois. Ainsi, malgré la chute de Mashkan-shapir, la capitale, Larsa, sembla avoir encore de quoi résister. Le siège et les manœuvres militaires nous sont assez bien connus grâce à la correspondance privilégiée entre Zimri-Lim et son général Zimri-Addu commandant des troupes mariotes envoyées sur place. 
Larsa était puissamment gardée et ceinte de murailles infranchissables datant du grand roi Gungunum (1932-1906) et sans cesse entretenues depuis. Hammurabi fit construire des tours et pilonner les portes et les murs à coup de béliers. Une lettre raconte aussi les travaux de terrassements entrepris par les armées assiégeantes pour construire une rampe pour accéder en haut des murailles. Finalement, ce ne furent ni la négociation et ni les armes qui firent chuter Larsa, mais voyons à présent les raisons de la chute, non pas uniquement de la ville, mais du plus puissant royaume de Mésopotamie.

Les raisons d’une chute.
Six mois de siège auront eu raison de Larsa qui tomba enfin. Une lettre destinée à Zimri-Lim annonce la bonne nouvelle : « La lance du méchant et de l’ennemi s’est brisée. La ville de Larsa a été prise ». On ne connaît pas les véritables raisons de la chute de la ville mais, dans le prologue de son code de loi, Hammurabi se présente comme « celui qui a épargné Larsa ». Aussi, dans la même lettre qui annonçait la chute de Larsa au roi de Mari, le correspondant assure « il n’y a eu ni dommage, ni perte à remplacer. Les armées de mon seigneur vont bien. ». Ses deux indices impliquent qu’il n’y a vraisemblablement pas eu d’offensive mais que les portes se sont ouvertes et ainsi, comme une lettre nous le conte sobrement : « Les troupes babyloniennes sont entrées dans Larsa, puis elles ont pris la place-forte (palais). C’est au matin que tous les hommes sont entrés. Quant à Rim-Sin, on l’a fait sortir vivant. »
Alors, faut-il voir en Rim-Sin un roi déjà âgé, seul et affaibli par son affrontement avec le royaume d’Isin ? Certainement pas. La guerre avec Isin était finie depuis près de 30 ans  et le roi était secondé, comme cela nous a été prouvé par la présence de son frère, Sinmuballit, à Mashkan-shapir.
L’explication qui paraît être la plus plausible est que la ville n’avait plus assez de réserves de nourriture et de grains. L’année 33 du règne d’Hammurabi nous indique également que Larsa a pu souffrir d’un manque d’approvisionnement en eau, puisque le roi affirme avoir réparé et fait construire de nouveaux canaux. Une disette datant de 1781 atteste un déficit en eau provenant des canaux d’irrigation alimentés par le Tigre et l’Euphrate. On comprend alors que Larsa, manquant d’eau et de nourriture, assiégée par une coalition puissante et sans la moindre aide extérieure, ait été obligée de capituler et de laissé rentrer l’ennemi.

Annexion du royaume de Larsa.
La ville entre ses mains, Hammurabi ne dérogea pourtant pas à son attitude prudente et patiente. Il accorda tout d’abord une certaine autonomie à la ville, perceptible par le fait qu’il ne l’ait pas détruite et qu’il ne décréta pas le corpus des années babyloniennes, comme cela avait été le cas à Isin ou Nippur, mais un nouveau corpus de noms d’années qui eut, comme point de départ, la prise de la ville.
Cette attitude conciliante ne dura guère. Rim-Sin, son entourage ainsi que tous ses biens, furent déportés à Babylone, les remparts de Gungunum furent démantelés, empêchant ainsi toute tentative de révolte, et très tôt le droit babylonien s’imposa.
L’Emutbalum fut également divisé en deux régions : la première, « supérieure », au nord avec Mashkan-shapir comme chef-lieu, la seconde, « inférieure », au sud, avec tout logiquement Larsa comme capitale. Hammurabi regardait d’un œil attentif la région de Larsa et on en a pour preuve qu’il la plaça sous l’autorité de Sin-iddinam, qui fut son secrétaire particulier.

Conséquences de la chute de Larsa.
Alors qu’au commencement de son règne, la région Syro-Mésopotamienne comptait un grand nombre de royaumes tous très puissants, la fin de son règne voit Hammurabi régner sur l’ensemble de cet ensemble géographique. Larsa était le dernier royaume en Mésopotamie à pouvoir lui faire face. Lorsqu’elle sombra en 1763, Hammurabi s’autoproclama du titre de roi de Sumer et d’Akkad, porté pour la première fois par le grand Sargon d’Akkad, près de 5-6 siècles avant lui. Il prit aussi le titre de « roi qui fait coexister en paix les quatre régions » correspondant à l’ensemble du monde mésopotamien d’alors.
L’annexion du royaume de Larsa est le commencement d’une ère nouvelle. Non seulement Babylone devint le centre de toute la région mais Marduk, dieu poliade de la cité, devint la divinité prédominante dans le panthéon mésopotamien, succédant à Enlil honoré à Nippur. Enfin, Mari, pourtant l’alliée de toujours, Eshnunna, qu’il a longtemps convoitée et la lointaine Alep en Syrie tomberont entre les mains d’Hammurabi. Le pays de Sumer et d’Akkad pouvait disparaître et laisser place à la Babylonie.

Lettres.
De Hammurabi à Zimri-Lim :
« Maintenant, le Larséen (Rim-Sin) a mécontenté mon pays à force de pillage. Depuis que les grands dieux ont arraché de ce pays la griffe de l’Elamite, j’ai accordé de nombreuses faveurs au Larséen, mais il ne m’a pas récompensé par un seul bienfait. »
« Maintenant, je me suis plaint à Shamash et Marduk et ils m’ont sans cesse répondu « oui » : je n’ai pas effectué cette attaque sans l’accord de la divinité. »

Lettre d’un général mariote à Zimri-Lim :
« Come il venait de conquérir Mashkan-shapir, tout le pays du Yamutbal a crié à Hammurabi : « Longue vie à mon seigneur ! » Et l’armée du Yamutbal s’est couchée sur la couche de l’armée de Hammurabi. Hamurabi a pris la tête de ses armées et à mis le siège devant Larsa. »
« Alors que, déjà auparavant, j’avais vu l‘ardeur des Bédouins, en aucune occasion je ne leur avais vu une telle ardeur. Aujourd’hui, le dieu de mon seigneur est allé au devant des armées de mon seigneur ; la lance du méchant et de l’ennemi s’est brisée. La ville de Larsa a été prise. Il n’y a eu ni dommage, ni perte à remplacer. Les armées de mon seigneur vont bien ; que mon seigneur ne se fasse pas de souci. Nous allons bien ; que mon seigneur se réjouisse ! »

Nom d’année du règne d’Hammurabi :
31ème année : « Hamurabi, le roi, avec l’aide des dieux An et Enlil, alla à la tête de ses troupes et, grâce au pouvoir suprême que les grands dieux lui avaient donné, s’empara du pays d’Emutbalum et de son roi Rim-Sin. »
33ème année : « Hamurabi, le roi, creusa le canal (nommé) « Hammurabi apporte l’abondance au peuple bien-aimé des dieux An et Enlil » ; il fournit une eau pérenne de prospérité à Nippur, Eridu, Ur, Larsa, Uruk et Isin. »

Prologue du code Hammurabi :
« Champion des rois, combattant insoutenable, je suis celui qui a octroyé la vie à la ville de Mashkan-shapir… »
 
Glossaire.
Emutbalum ou Yamutbal : Tribu installée près de la ville de Mashkan-shapir et ayant donné son nom à la région environnante. Ce nom finit par désigner l’ancien royaume de Larsa après sa conquête par Hammurabi.
Marduk : Dieu poliade de Babylone, qui devient le dieu principal du panthéon mésopotamien à partir du IIe millénaire et dont le temple était l’Esagil (« temple au sommet élevé »).
Paléo-babylonienne (Période) : Période de quatre siècles qui sépare la chute de la troisième dynastie d’Ur en 2004 et celle de la première dynastie de Babylone en 1595.
Sukkal : Titre porté par les empereurs d’Elam (Iran) au début du IIe millénaire.
Shamash : Dieu du soleil, de la justice et de la divination. Ses deux temples majeurs, que l’on appel Ebabbar, se trouvaient à Sippar et à Larsa.



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