Les premières écoles en Mésopotamie. Charlemagne n'a pas inventé l'école

Et oui, France Gall s'est trompée: celui qui a eu cette idée folle d'inventer l'école n'est pas Charlemagne avec sa barbe fleurie!

A un moment où l’école, les professeurs et le système éducatif n’ont jamais été autant décriés et remis en cause, il est toujours intéressant de regarder ce que « eux avant nous » ont fait pour transmettre leurs savoirs. Aussi, il n’est pas de meilleur exemple que les Sumériens, « eux » qui ont eu la géniale invention d'échafauder un moyen de retranscrire leurs idées, leurs verbes e leurs histoire sur des supports en dur. Ils inventèrent un système éducatif simple, porté par des professionnels qui enseignaient la magie des mots en imposant des exercices longs et harassants, mais qui avaient pour finalité de former une classe de lettrés, socialement élevée et qui ne serait pas en manque de travail. Tout ce discours tient en une seule question : comment était l’école au temps de Sumer ?

Ecriture et école :

L’un ne va pas sans l’autre. Le grand spécialiste des textes mésopotamiens S.N.Kramer insistait déjà sur ce point lorsqu’il écrivait dans son ouvrage L’Histoire commence à Sumer, « l’école est sortie tout droit de l’écriture ». Les plus anciennes traces de l’écriture nous proviennent de la cité d’Uruk dans le sud de l’Irak actuel, qui correspondait à l’ancien pays de Sumer, et datent des environs 3200 av. notre ère. Les lettrés sumériens, des scribes, écrivaient alors sur des tablettes faites d’argile avec des pictogrammes ou idéogrammes, une écriture simpliste qui avait pour base un signe distinctif qui se rapportait à un objet ou un produit particulier.

L’écriture eut comme support la tablette faite d’argile. Bien qu’humble à ses débuts, l’écriture évolua au fils des siècles, tout comme son système d’apprentissage. En effet, dans tous les lots de tablettes les plus anciennes de l’humanité que nous ayons retrouvés, certaines comportaient des listes de mots « pictographiques » à apprendre par cœur. Ces listes nous révèlent que les scribes qui participèrent à l’élaboration de l’écriture, inventèrent simultanément un moyen de transmettre leur savoir par l’intermédiaire de formations suivies et d’exercices ; autrement dit l’école, organisme voué à enseigner l’écriture, était née.

Nous continuons notre approche de l'école sumérienne. Pour cette seconde partie voyons, tel une fiche de rectorat, comment se présente l'école ainsi que son personnel. Le constat est qu’à cette époque le sureffectif n’était pas un problème, ni le manque de personnels… normal les élèves étaient disciplinés !

L’organisation de l’école :

- L’établissement

L’école était nommée « la maison des tablettes » et ce n’est qu’à partir de la seconde moitié du IIIe millénaire, alors que l’écriture en Mésopotamie était en phase de modernisation – c’est le passage du pictogramme au cunéiforme – que nous sommes en mesure de véridiquement discerner des bâtiments voués à l’enseignement dans la plupart des cités sumériennes. A Nippur, capitale religieuse, c’est un quartier entier où habitaient et travaillaient scribes et étudiants qui a été déterré. Les salles de classes étaient composées de plusieurs rangées de bancs en briques où pouvaient s’asseoir une à quatre personnes. L’absence de tables est expliquée par le fait que les élèves devaient travailler sur leurs genoux. A l’intérieur de cette salle devaient se trouver des étagères où étaient posées des tablettes d’argiles vierges prêtes à l ‘emploi, ainsi que des textes à étudier.


- Le corps enseignant

Les enseignants de l’époque n’avaient rien à envier à nos professeurs d’université. En effet, beaucoup vivaient de leur rente d’enseignant et consacraient leur vie entière à la transmission de leur savoir ainsi qu’à l’étude lors de leurs temps libres. A la tête de l‘établissement se trouvait le chef d’établissement, l’ummia – « le père de l’école » – qui était également enseignant. Celui-ci était assisté dans sa tâche par un professeur assistant – « le grand frère » – sûrement un ancien élève de l’école, qui avait pour rôle de contrôler la calligraphie des signes et de les faire réciter. Au sein des enseignants, on trouvait également des spécialistes comme « le chargé de dessin » (calligraphie, art plastique ?) et « le chargé du sumérien » (grammaire, conjugaison ?). Des surveillants ainsi qu’un très austère « chargé du fouet » encadraient les soubresauts des étudiants et assuraient la discipline de l’école.

- Les élèves

Les élèves semblent tous avoir été des enfants issus des rangs sociaux les plus élevés. Ils étaient fils de gouverneurs, diplomates, intendants ou riches commerçants. Les listes de noms d’élèves retrouvées ne font mention d’aucunes femmes, ni chez les élèves ni dans le corps enseignant, ce qui tend à prouver que les femmes n’avaient pas accès à l’enseignement. La vie que les élèves menaient pendant leur apprentissage était plutôt rude et contraignante. Dans les salles de classes, dès l’aube, ils suivaient leurs cours toute la journée jusqu’au coucher.

La pédagogie scolaire :

Nous ne savons que trop peu de choses pour discerner clairement l’étendue du programme d’apprentissage dans l’école sumérienne, sinon que les enseignants devaient accompagner leurs exercices de commentaires et d’explications oraux. Les archéologues ont déterré des milliers de tablettes de types « scolaires », qui indiquent que l’apprentissage se déroulait sous le signe de la pratique quotidienne du recopiage des signes sur des tablettes. Après quelques cours où ils apprenaient la forme grammaticale des phrases, les élèves recopiaient des tablettes comportant d’interminables listes administratives, ce qui avait pour effet de leur faire apprendre les signes par cœur. Cette pratique démontre bien sur quel fondement idéologique était basée l’utilisation de l’écriture. Avant de porter de magnifiques œuvres poétiques et littéraires comme l’épopée de Gilgamesh, l’écriture a été un moyen pratique pour compiler et garder en mémoire des données administratives et économiques.

Une journée de cours traditionnelle devait se dérouler de la sorte : Le matin l’élève étudiait la tablette qu’il avait préparée la veille jusqu’à ce que « le grand frère » la lui fasse peut-être réciter. Une fois terminé, ce dernier préparait une nouvelle tablette que l’élève se mettait aussitôt à recopier et étudier…ainsi de suite chaque jour, les tablettes comportant de plus en plus de signes et la difficulté s’accentuant. La formation prenait plusieurs années mais, une fois le « diplôme » obtenu, les nouveaux scribes se mettaient au service d’un établissement ou devenaient eux-mêmes enseignants.

Très important en guise de conclusion pour cette dernière partie consacrée à la première école de l'humanité, le programme scolaire!

Le programme scolaire et les matières enseignées :

Plus intéressant encore que ces milliers de « cahiers » de recopiages, nous possédons en outre des allusions et des évocations des scribes/enseignants dans le contenu de plusieurs tablettes, qui nous renseignent ainsi sur les plus anciens programmes scolaires de l’humanité et à ses finalités. A ses débuts, l’école sumérienne n’avait pour vocation que de former une élite professionnelle de scribes qui travailleraient dans les bureaux d’affaires, de gestions et d’administrations des temples et des palais.

Vers la moitié du III millénaire, la langue sumérienne se perfectionna, puis la langue akkadienne, qui s’en inspirait, apparue avec le grand empire de Sargon d’Akkad. Plus tard, à la fin du IIIe millénaire, qui coïncide avec la fin de l’histoire sumérienne, la langue akkadienne se divisa en deux idiomes, le babylonien au sud et l’assyrien au nord. Tous ces bouleversements s’accompagnèrent d’une refonte du système éducatif. Peu à peu l’écriture devint un formidable moyen de culture. En effet, les mythes anciens et les histoires des peuples, qui se transmettaient jusqu’alors par la voie de l’oralité, furent retranscrits par écrit. L’école devint alors un établissement où les grandes œuvres furent d’abord couchées sur les tablettes, puis recopiées pour être enfin diffusées et étudiées pour notre plus grand bonheur, nous qui pouvons aujourd’hui à notre tour les lire. Les sumériens étaient également de grands scientifiques qui étudiaient autant les astres que la terre, les mathématiques que la géométrie. Aussi l’écrit apporta le moyen de traiter des théories et d’établir des plans architecturaux en vue de grandes constructions.

La profession de scribes s’en trouva par là même transformée. Le scribe, qui n’était jusqu’alors que comptable, ou dans le meilleur cas diplomate ou secrétaire du palais, pouvait être à présent littéraire ou scientifique, spécialisé dans un domaine particulier. Par ce biais, l’école élargit sa palette de matières à enseigner et contribua ainsi au rayonnement intellectuel et scientifique de Sumer au cours du IIIe millénaire.

L’école sumérienne nous paraît étonnamment moderne avec son organisation et son personnel. Ce qui diffère avec l’école d’aujourd’hui est le mode d’enseignement et les finalités de l’apprentissage que recevaient les élèves. En effet, si les cours étaient difficiles et la discipline excessivement sévère, les élèves en sortaient avec une formation qui leur permettait d’aspirer aux plus hautes fonctions. Enfin, l’école sumérienne a connu de profonds bouleversements idéologiques et pédagogiques. D’une simple école de formation de fonctionnaires voués aux administrations des grands pôles économiques des cités, elle est devenue au fil du temps une l’école vouée à l’étude des sciences et de la littérature.

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