Michelin,
l’une des plus entreprises françaises à la plus grande renommée tant sur le
plan national qu’à l’international. Cet empire industriel et financier est
l’œuvre de deux frères clermontois, aussi doué pour l’innovation que pour la
communication. Tout débute par un courrier.
1885 :
le SOS d’une tante en détresse
Les
frères Édouard et André Michelin reçoivent une lettre de leur tante Élisabeth.
Le ton est alarmant. Elle concerne l’usine fondée à Clermont-Ferrand par leur
grand-père Aristide Barbier et Édouard Daubree. Celle-ci exploite le
caoutchouc, une nouvelle matière, pour fabriquer des tuyaux, des courroies et
balles de jeux. Mais les affaires vont très mal et l’usine menace de fermer.
Leur tante les appelle au secours pour tenter de la sauver. André possède les
capacités pour relever le défi. C’est un ingénieur, issu de l’école centrale,
directeur d’une usine d’objets métalliques à Paris. En revanche, Édouard a fait
des études de droit et suit actuellement les Beaux-Arts. Les deux frères
rentrent dans leur ville natale. Ils comprennent que pour remettre l’usine à
flot, il faut trouver une nouvelle idée. Ils mettent au point un patin de frein
en caoutchouc qui réduit le bruit de frottement. C’est un succès ! L’usine
est sauvée ! Cette invention existe encore de nos jours. Observez les
roues de votre vélo. Vous les verrez, ces patins de freins en caoutchouc.
1891 :
Charles Terront remporte Paris-Brest avec des pneus Michelin !
Un
matin de printemps, un cycliste toque à la porte des ateliers Michelin pour
réparer son pneu crevé. Quelques années auparavant l’Écossais Dunlop a mis au
point une chambre à air enveloppée dans une bande de tissu collée à la jante,
pour améliorer le confort sur la route. Néanmoins en cas de crevaison, il faut
décoller le tissu, réparer la chambre, recoller le tissu et attendre que la
colle sèche avant de pouvoir repartir, ce qui nécessite plusieurs heures.
Édouard cherche un moyen d’améliorer le système pour faciliter la réparation. Il met au
point une gaine protectrice de caoutchouc fixée à la jante par des vis. Le
caoutchouc est plus résistant que le tissu. En cas de crevaison, il suffit de
dévisser pour accéder à la chambre à air, puis de revisser. C’est l’affaire de
quelques minutes. Édouard fait breveter son invention. Pour en faire la
publicité, André engage le coureur cycliste Charles Terront pour la course
Paris-Brest-Paris. Il sera le seul à s’élancer avec le nouveau système de pneu
Michelin. Le 6 septembre 1891, Terront remporte la course avec une avance de 8
heures sur le dauphin. Le gain de temps lors des réparations de crevaison n’est
pas étranger à cette victoire. Sur sa lancée, André crée la course Michelin,
une course cycliste reliant Paris à Clermont-Ferrand. Les commandes ne tardent
pas à affluer aux ateliers. Après le vélo, les frères Michelin s’attaquent aux
fiacres en développant un pneu, alliant confort et solidité, adapté à ce type de
véhicule.
1895 : Le
procès Dunlop-Michelin
Dunlop
attaque Michelin en justice pour la paternité du pneu. Édouard engage comme
avocat un ancien ami de fac, un certain Raymond Poincaré, oui, oui, le futur
président de la République. La défense trouve une invention d’un système de
pneumatique d’un Américain appelé Thomson, réalisée quelques décennies plus tôt
mais restée sans suite. Par conséquent, Dunlop n’a pas inventé le pneu.
L’affaire se conclut par un non-lieu. Eh oui Michelin boit l’obstacle, fidèle à
sa devise latine Nunc est Bibendum (c’est maintenant qu’il faut boire).
1898 :
Naissance de Bibendum
Bibendum.
Le nom du personnage qui va devenir l’égérie du groupe Michelin à partir de
1898. Lors d’un salon, André s’amuse à imaginer un bonhomme face à une tour de
pneus. L’idée germe dans le cerveau d’Edouard. Il fait appel à l’illustrateur
Marcus Rossillon, dit O’Galop. Le Bibendum est né. Son corps se compose d’une
accumulation de pneus. A l’époque les pneus sont blancs car ils ne sont pas
encore recouverts de fibres de carbone couleur noire.
Les
années d’avant-guerre : à la conquête de l’automobile
Les
frères Michelin s’attaquent au nouveau moyen de locomotion de la fin du XIXe
siècle : l’automobile. Ils participent avec leur propre voiture équipée de
pneus en caoutchouc à la première course automobile française
Paris-Bordeaux-Paris. Ils terminent à la dernière place, mais l’essentiel
réside dans la preuve que les pneus ont tenu. Le pari est gagné. Les voitures
s’équipent en pneus, tant pour les hommes du quotidien que pour les coureurs
sportifs.
Néanmoins
pour vendre des pneus, il faut que les gens roulent et pour que les gens
roulent, outre la possession d’une automobile, il faut leur donner envie de
rouler. Pour ce faire, André met au point un petit guide permettant de dénicher
les restaurants, les hôtels, les garages, les épiciers. C’est la naissance du
légendaire guide Michelin ! D’abord gratuit, il devient payant à partir de
1920. Le guide s’adapte à la concurrence et aux besoins. Par exemple, il classe
les restaurants avec des étoiles allant de 1 à 3. De nos jours, avoir des
étoiles aux guides Michelin est toujours recherché par les restaurateurs.
En
1908, Michelin fonde le bureau des itinéraires. On communique par téléphone
notre lieu de départ, notre destination et les dates du voyage. L’opérateur
confectionne notre parcours. Hé ! Ce ne serait pas l’ancêtre du site
internet « via Michelin » qui fait toujours autorité ?
Ensuite,
les frères Michelin se disent que ce serait bien si le voyageur peut se repérer
tout seul. Ils mettent au point des cartes routières. Il y a encore forcément
chez vous ou dans votre voiture une carte ou un atlas Michelin.
Et
même avec une carte, ce n’est pas toujours facile de se repérer hein ? Un
panneau indicateur c’est bien hein ? Oui. Sauf qu’au début du XXe siècle,
ils n’existent pas encore et ce sont les Michelin qui vont les fabriquer et
obtenir l’autorisation du gouvernement de les installer sur le territoire.
Comme ils sont en Auvergne, ils les fabriquent en pierre de volcan. C’est du
solide. Ils ne craignent ni l’usure du temps, ni l’usure des intempéries.
Question
transport, Michelin s’attaque au train en construisant une locomotive et des
wagons adapté au pneu. C’est la fameuse Micheline, dont le nom sert maintenant à
désigner un train vieillissant.
Taylorisme,
paternalisme, patriotisme et colonialisme : Michelin à l’image du début du
XXe siècle
Michelin
s’exporte à l’étranger : en Italie pour concurrencer Pirelli, en
Grande-Bretagne pour concurrencer Dunlop, en Allemagne pour concurrencer
Continental et surtout aux États-Unis pour concurrencer Goodyear. L’entreprise
adopte les méthodes de production américaines issues du taylorisme et du
fordisme. En 1925, Michelin décide d'établir deux plantations d’hévéas au Vietnam.
L’entreprise profite du système colonial français pour s'enrichir aux dépens du
prolétariat indigène. En 1930, la plus grande des plantations appartenant à
Michelin est le site d'un soulèvement d'ouvriers dirigé par Tran Tu Binh.
André
Michelin s’intéresse également à l’aviation. Après tout, un avion aussi a des
roues. Il offre 100.000 francs (400.000 euros) pour le premier aviateur qui
reliera Paris à Clermont-Ferrand en se posant sur le Puy de Dôme. Durant la
Grande guerre, les usines Michelin fabriquent des avions pour l’armée
française.
Les
frères Michelin font œuvre de paternalisme. Toutes les infrastructures de la
vie quotidienne des 18.000 ouvriers sont prises en charge par l’entreprise. En
échange, ceux-ci doivent travailler et être fidèles à l’entreprise. Pas
question de contestations sociales. Il n’existe pas de syndicats dans l’usine
avant les Accords de Matignon de 1936. La cité ouvrière de la Plaine fondée en
1924 comprend des logements de bonne qualité, des écoles, une maternité, une
piscine, des installations sportives. Marcel Michelin, fils d’André, gère
l’ASM, l’Association Sportive Michelin, qui deviendra l’Association Sportive
Montferrandaise pour se conforter au règlement national interdisant les marques
dans les noms de club. L’ASM compte encore aujourd’hui parmi l’élite du rugby
français.
L’héritage des
frères Michelin
André
décède en 1931 à l’âge de 78 ans. Édouard appelle son fils Pierre pour le
seconder. Ce dernier décède en 1937 dans un accident de la route. Édouard rend
l’âme à son tour en 1940 au moment où les Allemands réquisitionnent les usines.
Les Alliés les bombardent en 1945. La même année, Marcel Michelin décède à
Buchenwald suite à son arrestation pour fait de résistance.
Après
la guerre, Michelin se relance grâce à deux produits majeurs. Le premier est le
pneu radial qui dure plus longtemps et diminue la consommation de carburant. Le
second est la célébrissime 2CV de Citroën, dont Michelin est actionnaire
majoritaire depuis 1934. En 1955, le petit-fils d’Édouard, François Michelin
reprend les rênes de l’usine. Avant cela, il a suivi des études de
mathématiques, puis a travaillé pendant deux ans en production et dans les
services commerciaux et recherche pour apprendre le métier. Il fera de Michelin
le premier producteur mondial de pneumatiques durant les années 1960 et 1970.
Dans les années 1990, l’entreprise rencontre des difficultés financières dues à
la concurrence internationale. Elle se focalise sur la recherche et
développement. Le sport mécanique (F1, rallye, 24h du Mans) permet à
l’entreprise de tester ses innovations. En 1999, Edouard Michelin succède à son
père. Il annonce des suppressions de postes, des délocalisations en Asie et une
plus grande importance de l’actionnariat. En 2006, il décède dans le naufrage
de son bateau au large des côtes bretonnes. C’est le dernier membre de la
famille à la tête du groupe.
Le
musée inauguré en 2009 retrace l’extraordinaire aventure de la famille
Michelin. La ville de Clermont-Ferrand a été fortement marquée par Michelin,
les cités ouvrières, les usines, les rampes d’essai, les noms de rues, le stade
Marcel Michelin du club de rugby. Michelin, dont le siège social demeure à
Clermont-Ferrand, emploie toujours 12.000 personnes dans le département. Édouard et André Michelin auront marqué de leur empreinte le paysage du siècle
des inventeurs à celui des entrepreneurs. Pionniers dans de nombreux domaines
allant de la chimie à la cartographie, ils ont laissé derrière eux un héritage
qui perdure encore aujourd’hui.
Sources :
- Texte : Visite du Musée Michelin de Clermont-Ferrand effectuée en août 2023
- Image : - image d’illustration réalisée par intelligence artificielle
- Les frères Michelin : https://buclermont.hypotheses.org/2666
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