Napoléon, plongé dans ses réflexions au petit matin dans son bureau éclairé à la bougie, médite sur le chemin parcouru. Le sauveur de la Révolution française, le héros d'Italie, se trouve à un carrefour de l'histoire. L’abbé Sieyès depuis plusieurs semaines souffle sur les braises de ses ressentiments. Les échecs du Directoire, marqués par la corruption, l'inflation galopante, et les défaites militaires, contrastent cruellement avec les victoires qu'il a apportées à la nation. Il considère son devoir envers la France, non seulement de protéger les acquis de la Révolution, mais de corriger ses dérives. Pour lui, renverser le Directoire n'est pas un acte d'ambition personnelle, mais un impératif pour rétablir l'ordre, la stabilité et la grandeur de la France. C'est ce mélange complexe de devoir patriotique et de volonté de puissance qui le pousse vers l'inévitable – un changement radical de gouvernance.
À l'aube du 18 Brumaire an VIII, le 9 novembre 1799, dans la pénombre de son bureau, alors que Paris sommeille encore, Napoléon Bonaparte est assis, immobile, devant des cartes étalées et des rapports militaires. La lueur vacillante des bougies dessine des ombres sur son visage concentré, reflétant l'ampleur des pensées qui assaillent son esprit. Sauveur de la République à Toulon, artisan de la gloire française en Italie, il sent le poids de son héritage et la dérive d'un pays qu'il a juré de servir. Le Directoire, autrefois symbole d'espoir après la Terreur, s'est enlisé dans l'inefficacité et la corruption, érodant les idéaux pour lesquels tant se sont battus. Les murmures de ses généraux et conseillers politiques dans la pièce voisine ne perturbent pas sa réflexion. Ils attendent ses ordres, prêts à agir dès l'aube pour orchestrer l'insurrection qui va transformer le destin de la France. Mais dans ce silence avant la tempête, Napoléon se questionne. Est-il le défenseur de la République ou celui qui va imposer sa volonté à la nation ? Les frontières entre sauveur et conquérant s'estompent tandis que l'aube approche, annonçant un jour où il va soit créer un nouvel espoir pour la France, soit commencer son propre chemin vers l'empire.
Vers huit heures du matin, dans l'enceinte solennelle du Conseil des Anciens, le cœur battant de la République palpite sous le poids d'une décision cruciale. Les murmures s'intensifient alors qu'un décret, lourd de conséquences, est voté pour transférer les corps législatifs à Saint-Cloud, loin du peuple de Paris et de son influence. En effet, on prétexte une rébellion Jacobine, toujours prompt à faire tomber la République. Napoléon, investi de la mission d'exécuter ce décret, se dresse devant les membres du conseil et les militaires assemblés. Sa voix s'élève, imprégnée d'une conviction révolutionnaire, il parle de liberté, de victoire et de paix, s'engageant à sauvegarder la République contre les ennemis internes et externes. C'est un moment d'oratoire puissant, où chaque mot prononcé par Bonaparte est un coup porté contre l'incertitude et pour l'avenir d'une France unie sous sa direction éclairée. Le discours fait mouche: la majorité à cru à l’entourloupe.
Dans le jardin des Tuileries, une atmosphère chargée d'anticipation et de tension enveloppe l'endroit. Les feuilles bruissent, murmurant les prémisses d'un changement imminent. Napoléon Bonaparte, flanqué de ses généraux fidèles, marche avec une détermination farouche. Ses yeux croisent ceux de Botot, le secrétaire de Paul Barras, et dans un éclair de défi, il lui lance une interrogation qui tranche le silence matinal comme une lame affûtée : « Qu'avez-vous fait de cette France que je vous avais laissée si brillante ? » Sa voix, portée par une indignation contenue, fait écho aux murs chargés d'histoire du jardin. C'est plus qu'une question ; c'est un jugement, le reflet d'une désillusion profonde face à un gouvernement qu'il perçoit comme défaillant, une accusation voilée contre ceux qu'il tient pour responsables de l'obscurcissement de la grandeur française. Pour Napoléon, c'est l'heure de reprendre en main le destin d'une nation qui, à ses yeux, vacille sur les bords du précipice.
Pendant que la journée avance, Napoléon, en stratège avisé, orchestre méticuleusement le déploiement de ses troupes. Il envoie ses hommes aux points névralgiques de la capitale: aux abords des assemblées législatives, aux carrefours clés, aux ponts et aux places importantes. Les soldats, silhouettes bleues et rouges, se positionnent avec une précision qui évoque les pièces d'un échiquier sur le point de basculer. Leur présence est discrète mais déterminante, dissuadant tout mouvement d'insurrection. Les Parisiens, habitués à l'effervescence de la Révolution, remarquent ce calme inhabituel, cette tension qui s'étire comme un arc prêt à libérer sa flèche. C'est une attente palpable, un silence avant la tempête, car tous sentent, sans pouvoir l'expliquer, que l'histoire est en train de s'écrire sous leurs yeux.
La journée avance et le transfert orchestré au palais Bourbon déplace le centre de gravité politique vers Saint-Cloud. Les députés, accompagnés de familles et de conseillers, se pressent dans l'enceinte, prêts pour le théâtre du coup d'État. À l'intérieur du château, les salles sont aménagées pour accueillir les délibérations d'une journée historique.
Dans l'obscurité enveloppante de la nuit du 18 au 19 Brumaire, l'hôtel de Breteuil bourdonne comme un essaim prêt à l'envol. Les lumières vacillantes des chandelles dessinent les silhouettes concentrées des conspirateurs. Talleyrand, Fouché, et leurs complices se penchent sur des piles de papiers, des cartes de Paris, et des listes de noms. Chaque mot, chaque ordre est minutieusement choisi pour sa capacité à inspirer les troupes, à mobiliser les soutiens, et à légitimer leur cause. Le destin de la France se tisse dans le secret de cette chambre, où chaque décision, chaque plan, est imprégné de l'urgence d'un empire en devenir.
Le lendemain, le 19 Brumaire, le 10 novembre.
À midi trente, le général Bonaparte franchit le seuil du château de Saint-Cloud, théâtre imminent d'une journée qui va marquer à jamais le destin de la France. L'atmosphère est chargée d'une tension palpable, un mélange de crainte et d'espoir. Les partisans de Bonaparte, soldats et citoyens confondus, l'acclament avec ferveur, voyant en lui la promesse d'un renouveau. À l'opposé, les murmures inquiets des opposants s'élèvent, craignant l'établissement d'une dictature sous le masque d'un sauveur. C'est dans ce tumulte de sentiments contradictoires que Napoléon avance, conscient que chaque pas le rapproche non seulement du pouvoir, mais aussi d'une responsabilité immense envers une nation fracturée en quête d'unité et de direction.
Dans la moiteur de l'Orangerie, la tension est à son comble. Sous la présidence de Lucien Bonaparte, le Conseil des Cinq-Cents, divisé, est sur le point de basculer dans l'hystérie. Les députés jacobins, ardents défenseurs des idéaux révolutionnaires, se dressent en rempart contre ce qu'ils perçoivent comme une menace imminente à la démocratie. À grands cris de "Point de dictature !" ils réaffirment leur attachement à la Constitution de l'an III. Beaucoup appelle à faire fusiller le général, mais l’armée reste fidèle. Napoléon, figure centrale de ce tumulte, fait face à l'orage des passions politiques. Il tente de se frayer un chemin au milieu de cette mer agitée d'hommes, où chaque refus, chaque rejet, forge l'acier de sa résolution à changer le cours de la République. Son discours, peu inspiré et inaudible est un échec. Un ami le conseil: « Sortons, général, vous ne savez plus ce que vous dites. ». Bonaparte est évacué.
Dans le froid pénétrant de la soirée, Napoléon se dresse devant ses soldats rassemblés, son visage éclairé par les torches vacillantes qui projettent les ombres dansantes de la troupe sur les murs de pierre. Sa voix s'élève, ferme et assurée, transperçant le silence de l'expectative. "Soldats," commence-t-il, "vous qui m'avez loyalement servi et avec qui j'ai partagé le feu de nombreuses batailles, le moment est venu de défendre ce pour quoi nous avons tant combattu." Il rappelle à chaque homme leur serment à la République, non pour ses dirigeants défaillants, mais pour l'idéal qu'elle représente. "Suivez-moi pour redonner à la France la stabilité et l'éclat qu'elle mérite. Avec vous, bravoure et fidélité, nous allons écrire un nouveau chapitre de notre histoire." Son appel, vibrant d'une promesse de renouveau, se veut l'étendard sous lequel il souhaite rassembler ses troupes pour le grand dessein qu'il envisage.
Dans l'enceinte de l'Orangerie, après le départ précipité de Lucien Bonaparte, l'air était saturé d'un mélange d'effroi et de résolution. Les députés, tels des navires pris dans une tempête, étaient secoués par les roulements de tambour et les acclamations pour Bonaparte qui s'infiltraient à travers les murs épais. Soudain, les portes s'ouvrirent avec fracas, et les soldats, baïonnettes prêtes, s’engouffrèrent avec la force irrépressible d'une marée montante. Victor-Emmanuel Leclerc, figure imposante et ombre familiale de Napoléon, prononça un avertissement voilé, invitant les représentants à se disperser pour leur propre sécurité.
Face à la résistance dissipée des députés, la voix tonitruante de Joachim Murat fendit l'air comme un coup de canon : « Foutez-moi tout ce monde dehors ! ». Les députés, emportés par le courant de soldats imperturbables, se retrouvèrent expulsés avec une efficacité brutale. Pendant ce temps, dans les coulisses du pouvoir, Fouché, le secrétaire général de la police, tissait sa toile, assurant que les députés ne puissent trouver refuge dans Paris et y rallumer la flamme de la dissidence. C'était la fin d'une époque et le début d'une nouvelle ère, sculptée non par la plume et l'encre, mais par l'épée et la détermination.
Il ne restera plus qu’à dissoudre le Directoire et adopter un nouveau régime politique: la Commission Consulaire Consultative avec un Premier Consul prenant les décisions… et devinez qui ce sera?
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