À l'aube du 10 janvier 49 av. J.-C., le monde s'éveille doucement, baigné d'une lumière pâle et argentée. La brume matinale s'accroche aux collines douces du nord de l'Italie, s'enroulant autour des arbres et des broussailles comme une écharpe éthérée. Le cours d'eau qui serpente à travers ce paysage est le Rubicon, modeste par sa taille mais colossal par son importance. Ses eaux, d'un bleu-gris perle sous le voile de l'aube, bruissent doucement contre les berges, ignorant leur rôle imminent dans l'histoire de Rome.
Jules César, le général romain, est là, drapé dans la pourpre généralissime qui se confond avec les teintes naissantes du jour. Sa silhouette se découpe, majestueuse et solitaire, contre l'horizon brumeux. Il observe le flot rapide de la rivière, ses pensées aussi tumultueuses que les remous devant lui. Ses légions, des guerriers endurcis, des vétérans des batailles gauloises et des intempéries des Alpes, se tiennent en silence, une mer d'acier et de détermination sous le ciel qui s'éclaircit.
Pour César, le Rubicon est bien plus qu'une frontière physique; c'est l'ultime frontière de son audace. Franchir cette rivière signifie défier ouvertement le Sénat, cet organe de la République qui a ordonné sa reddition. C'est faire un choix entre l'annihilation politique ou la guerre, entre la fin de son ascension ou le début de sa domination. Alors que le jour naissant commence à dissiper la brume, César se tourne vers ses hommes. Ces visages burinés par le vent et le combat sont tendus, mais leurs yeux brûlent d'une foi inébranlable en leur général. César les regarde, l'un après l'autre, voyant non pas des soldats, mais des frères d'armes, des compagnons de chaque instant. Mais il hésite encore.
Les chroniques anciennes, peuplées de signes et de présages, rapportent des récits où le voile entre le monde des hommes et celui des dieux semble s'amincir. Suétone, dans ses écrits, offre un témoignage énigmatique du moment où le destin de Rome semble suspendu à un fil aussi fin que celui d'une mélodie flottant dans l'air. Il raconte qu'alors que César, figé sur le rivage, s'enfonce dans un abîme de réflexions, une apparition surnaturelle surgit. Comme échappée des pages d'une épopée homérique, un être d'une grandeur et d'une beauté à couper le souffle se manifeste, comme descendu du firmament. Sa présence est telle que l'air autour de lui semble vibrer d'une énergie divine. Et dans ses mains, il tient une flûte, instrument des dieux, source de charmes et de maléfices. Lorsqu'il porte l'instrument à ses lèvres, les notes qui s'en échappent sont d'une douceur et d'une pureté transcendante, une harmonie qui semble tisser les fils du destin. Bergers et soldats, attirés par la musique céleste, s'approchent, comme envoûtés. Parmi eux, des musiciens de l'armée de César, dont l'habitude est de sonner la charge ou la retraite, se trouvent là, leurs instruments de guerre en main, mais réduits au silence par la mélodie enchanteresse.
Alors, dans un geste aussi audacieux que symbolique, le mystérieux flûtiste s'empare de la trompette d'un soldat. Sans un mot, il traverse le Rubicon, l'instrument guerrier à ses lèvres, et souffle une marche belliqueuse qui s'élève au-dessus des eaux, un appel martial qui résonne comme un défi aux cieux. C'est un son clair et puissant, un appel à l'action qui semble porter le vent de l'histoire lui-même. Cette musique guerrière, jouée par une figure quasi-divine, est interprétée par les hommes de César comme un augure, un signe que les dieux eux-mêmes sanctionnent leur passage.
César, observant la scène, sent l'hésitation s'évaporer de son âme, comme si la mélodie a tranché les derniers liens de ses doutes. Alors sa main se lève, tranche d'ombre contre le ciel clair, et sa voix, ferme et assurée, brise le silence : « Alea Jacta est ». Les dés sont jetés.
Ce pas franchi par César est d'une légèreté trompeuse, semblable au battement d'aile d'un papillon qui précipite une tempête. En traversant le Rubicon, César ne se contente pas de défier le Sénat ; il défie le destin, il redéfinit l'avenir de Rome. Son geste audacieux fait de lui, non plus le défenseur de la République, mais le fauteur de guerre, le précurseur d'un nouvel empire. Ce pas est lourd de conséquences, résonnant à travers l'écho des siècles, un pas qui transforme une république en empire.
Il n'y a plus de retour possible pour César. Chaque pas en avant est un pas de plus vers la confrontation avec Pompée, son rival, autrefois allié, à présent symbole d'une République en péril. Le Sénat, dans son désespoir, a placé ses espérances en Pompée, mais la guerre civile s'abat sur Rome comme une ombre funeste.
La nouvelle de son acte se propage avec la rapidité d'un feu de forêt, atteignant Rome et y semant une tempête de peur et de spéculation. Dans le Forum, lieu où la voix de la République a toujours dominé, une cacophonie de crainte et de colère s'élève désormais. Les sénateurs, les consuls, les tribuns – tous sont pris d'une frénésie d'indignation. César, le conquérant, le libérateur, est-il devenu César le traître, l'usurpateur, l'ennemi de Rome ?
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