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Agnès Sorel, celle qui enchanta le Royaume de France et le Coeur du Roi Charles VII

Charles VII le Victorieux avait atteint la quarantaine. Seul roi d’un royaume qui boutait enfin l’ennemi anglais, il présentait enfin en sa personne quelques marques d’une transformation morale.

 

L’amour ?

 

Ces transformations ne l’avaient pourtant pas embelli. Le roi de France restait ce personnage dégingandé aux genoux cagneux, aux traits ingrats et moroses. Mais l’homme avait pris plus d'assurance et la voix plus de majesté. Le corps aminci révélait le cavalier enfin rompu aux exercices des camps, comme le visage dénonçait une sensualité devenue tyrannique. Le regard, généralement voilé, mélancolique et défiant, semblait presque redoutable lorsqu'il fixait sa froide lueur sur quelque étranger surpris.

 

Au demeurant, le roi conservait sa douceur, son affabilité. Aucun prince ne montrait moins de morgue, aucun n'était si facilement accessible. De l'aversion pour les figures inconnues subsistait seule une phobie des hommes en disgrâce. Volontiers enclin à pardonner les offenses, Charles ne les oubliait jamais et ne pouvait se décider à revoir un coupable.

 

Le Roi était historien, « grand et bon latiniste ». Il ne cessait d'enrichir ses bibliothèques, surtout celle de Mehun-sur-Yèvre, et le poète Alain Chartier pouvait proclamer devant lui :

- Un roi sans lettres est un âne couronné.

Curieux de sciences, Charles s'entourait de médecins et, au grand regret de Jean de Gerson, d’astrologues affabulateurs.

 

Il avait enfin l'étoffe d'un grand roi.

 

Les arts ne lui étaient pas indifférents. On vantait la musique de sa chapelle et les sons de la harpe le charmaient souvent pendant la veillée. D'admirables orfèvres recevaient ses commandes. Henri Mellein, Conrad de Vulcop étaient peintres de la cour. Peu avant son voyage en Italie le jeune Jean Fouquet avait obtenu l'honneur de fixer l'image royale. II avait composé un portrait réaliste, retraçant les petits yeux soulignés de lourdes poches, le long nez valoisien dominant une bouche épaisse, la mâchoire résolue, les mains dévotes. Le portrait le plus réaliste que l’on ait de lui. 


 Mais Charles n'était pas seulement ce pieux et taciturne seigneur en robe de velours fourrée. II excellait à l'équitation, à la paume, au tir à l'arbalète. Tout le monde à la cour connaissait la manière dont il savait manier l'épée. Un autre de ses talents paraissait au jeu d'échecs démontrant sa patience et sa ruse.

 

Son existence gardait une apparence sévère. Dans les multiples châteaux qui marquaient les étapes de ses voyages trois salles suffisaient à la Cour : une pour le monarque, une pour les banquets, une pour les gardes et les serviteurs. Nous sommes bien loin des courtisans de Versailles ! Aux grandes fêtes, Pâques, Pentecôte, Toussaint, Noël, princes de sang et grands vassaux venaient vers leur suzerain en fastueux cortèges.

 

C'étaient, pendant quelques jours, des bals, des joutes, des festins. Puis l'hôtel royal retrouvait son austérité. Le Roi, mal vêtu, mal accompagné, repartait sur un petit cheval. 

 

Marie d’Anjou, la Reine, éternellement enceinte, éternellement en noir, restait à Tours, à Ambroise, priait, filait, surveillait la faible santé de ses enfants. Elle était une reine sans attraits et sans grâce. Marie supportait mal le poids des années. Bien qu'elle fût enceinte une treizième fois, les mauvaises langues la déclaraient « hors du bruit » et, néanmoins, son cœur pur et timide débordait d'amour comme aux premiers jours de son mariage.

 

Infortunée souveraine, elle était condamnée au calvaire d’une épouse dédaignée. Son terrible ainé, le futur Louis XI, l'effrayait, ses cadets, à peine grandis, se couchaient dans la tombe, Jean en 1425, Philippe en 1436, Jacques et Marguerite en 1438, Marie en 1439, Catherine, fiancée au fils de Philippe le Bon, et Radegonde, promise à l'archiduc Sigismond d'Autriche, n'allaient pas tarder à les suivre.

Désireuse d'échapper à tant de fantômes, Marie s'était fait construire un nouveau château à Montils-lès-Tours. Le Roi s'éprit vivement de ce domaine ravissant qu'il préféra bientôt à toutes ses autres demeures, mais la pauvre princesse n'y gagna pas plus l’amour du roi. Marie ignorait les frivolités propres à adoucir les rigueurs de l'étiquette. 

 

Charles, avec une ardeur croissante, cherchait la diversion des plaisirs brûlants et secrets. La volupté, toutefois, ne suffisait plus à le combler. L'homme parvenu à l'âge mûr sans avoir rencontré l'amour, le roi victorieux des Anglais, après de si rudes tempêtes, ressentait violemment le besoin d'être heureux.

 

A Nancy, en 1443, quand il vit Agnès Sorel - elle avait 21 ans - il sut qu'il avait découvert la pierre brute. Cette enfant serait la récompense des misères et des souffrances de sa jeunesse, le prix de sa victoire. La pierre devait être polie.

 

Charles connut donc la plus grande félicité de sa vie. Le Roi semblait transfiguré. Charles laissa un temps la politique et la diplomatie. L’atmosphère fut un moment celle d'une Cour d'amour. Jamais la poésie n'avait été à pareille fête. La Reine quitta le roi et se rendit à Tours. Seule, elle y mit au monde sa huitième fille, Madeleine.

 

Cet événement n'émut guère le Roi, captif de sa nouvelle passion, au point d'en oublier sa prudence. En effet, il exposa son amour à tout le monde. Ce fut une première - et même LA première - car pas un descendant de Saint Louis n'avait encore osé montrer publiquement un adultère.


Le château de Beauté, « le plus bel et joli et le mieux assis qu'il fût en l’Île-de-France », avait été bâti par Charles V près du Bois de Vincennes. Le sage monarque, las des pompes officielles, aimait se réfugier dans la tour carrée à trois étages qui dominait les méandres de la Marne. II y avait rangé sa chère bibliothèque. Le charmant logis devint le complice de Charles VII et d'Agnès et en 1444, le roi en fit don à celle qu'on appelait désormais « la plus belle femme jeune qui fut en icellui temps (en ce temps-là) possible de voir ». Elle devint pour ses contemporains et restera à jamais « la Dame de Beauté ».

 

Telle nous l'admirons en ses portraits, qu'elle porte la couronne de la Vierge de Melun ou le manteau d'hermine dont elle se pare au château de Mouchy. Charles fut l'esclave de cette ingénuité provocante. Pour le roi, elle assuma sans trembler le rôle, alors inouï, de maîtresse royale. Elle aurait pu n'être que l'héroïne d'un roman. Mais le destin lui réservait une autre tâche.

 

Victime de sa légende, Agnès Sorel a inspiré une foule d'écrivains. Chroniqueurs, historiens, conteurs et poètes, si dédaigneux envers la vieille reine, pourtant légitime, et qui ont, sans hésiter, disserté à l'envi sur la jolie pécheresse. La fable s'est plu à lui modeler un visage d'héroïne. Même le futur François Ier l'a chantée.

 

Un procureur du XVIIIe siècle l'a proclamée solennellement bienfaitrice de la France. D'aigres censeurs l'ont traitée de ribaude et d'aventurière. Très vite Agnès Sorel fut victime de sa légende. Tout en elle était mystérieux, son âge, son origine, le début de sa faveur, son influence sur le roi, son influence vestimentaire et bientôt sa mort. Pendant des générations, les auteurs épris de vérité cherchèrent vainement à concilier leurs vues. Les textes qu'ils invoquaient étaient toujours les mêmes, leurs conclusions toujours différentes. 

 

Alors revenons un peu en arrière. La Dame de Beauté vit le jour vers 1422 en Picardie. Elle entra jeune à la cour d’Isabelle de Lorraine, épouse du roi René d’Anjou, beau-frère du roi. Jusque-là, rien d’extraordinaire. 

 

Arrive alors Pierre de Brézé, sénéchal d'Anjou et de Poitou, qui lui, rêvait de placer Charles VII à la tête de l'Europe. Agnès Sorel avait ravi le sénéchal par sa beauté. Lorsqu'il la connut mieux, elle l'enchanta par son intelligence, sa flamme. Cette jeune fille de vingt ans aimait la gloire. Admirant la prestance du chevalier, elle écouta volontiers ses paroles fleuries, comprit sa leçon. Brézé la mènerait à travers les embûches de la cour, il serait son conseiller, son défenseur. En échange, elle userait pour lui de tout son crédit.

 

Là-dessus, un nouveau personnage surgit. Celui-là apportait les joyaux, les fourrures, les étoffes, les mille parures propres à tourner la tête d'une femme. L'or coulait en pactole de ses mains magiciennes. Il mettait sa fortune au service de la favorite pourvu que celle-ci aidât à la multiplier.

 

Jacques Cœur était depuis trois ans Argentier du Roi, c'est-à-dire responsable du trésor royal. Il tenait, en outre, une sorte de magasin dans lequel les membres de l'hôtel royal s'approvisionnaient en vêtements de parade, en meubles et en bijoux. L'ambitieux marchand avait des vues larges et audacieuses. Il voulait métamorphoser ce pays misérable ravagée par cette guerre qu’on appellerait un jour la Guerre de Cent ans, cette noblesse grossière et, par le grand commerce, introduire avec la prospérité le goût du luxe, des arts, de la vie délicate. Il imaginait ses galères déversant sur le royaume les trésors orientaux, Paris devenant une seconde Byzance. Quelle gloire, quels profits recueillerait l'homme capable de susciter aux bords de la Seine la Renaissance déjà visible en Italie ! Ce plan, toutefois, risquait de se heurter à bien des résistances. Pour vaincre la timidité du Roi, détruire les routines, braver les préjugés, la baguette d'or d'un sorcier n'était pas assez, il fallait le sourire d'une fée.

 

Comme elle avait compris Brézé, Agnès Sorel comprit Jacques Cœur. Coquette et fière de sa beauté, elle fut ravie d'être l'image d'une France nouvelle non plus dévote, morose et guindée, mais hardie, voluptueuse, resplendissante. Elle devait devenir une égérie du renouveau glamour du royaume. 

 

Quelques semaines après la rencontre de Charles et d'Agnès parut, à l'instigation de Jacques Cœur, la Grande Ordonnance de Saumur. Désormais, grâce à cette ordonnance, l’État, si longtemps pillé, posséderait enfin des finances saines. La route était barrée aux épidémies, aux famines, l'industrie prenait son essor, les échanges commerciaux avec l'étranger allaient faire affluer des biens inconnus. Agnès a-t-elle été l’investigatrice de l’acceptation du roi ?

 

A vrai dire, quelques esprits chagrins s'effarouchèrent de voir l'homme qui prêtait à la couronne comme banquier ou fournisseur, chargé, comme ministre, de se rembourser lui-même. Leur voix resta sans écho et Jacques Cœur, confiant en son étoile, entreprit d'édifier sa fameuse maison de Bourges où brillerait l'héroïque devise : « A cœurs vaillants rien d’impossible ! »

 

Ainsi naquit l'alliance du Sénéchal et de l'Argentier. Tous deux, parfaitement secondés par des alliés sûrs, tenaient en main la favorite. La favorite, elle, gouvernait le Roi. Un tel système fut le bonheur de la France. 

 

Le Roi se moquait des sermonneurs et des ragots. Tout allait pour le mieux : le Dauphin avait triomphé des Anglais à Dieppe et Agnès était enceinte. Charles, ému, s'attendrissait de voir naître cet enfant de l'amour en même temps que la paix.

 

Agnès Sorel venait de mettre au monde une fille qui allait bientôt se nommer Marie de Valois. La maternité la paraît d'un nouveau charme. Charles n'admettait plus de cacher sa passion, ni de subir des séparations, des obstacles. Mademoiselle de Beauté entra dans la Maison de la Reine.

 

Pas un instant on ne put l'y confondre avec les dévotes guindées qui entouraient la triste Marie. Singulière suivante pourvue de « tous états et services royaux » et chez laquelle on admirait « meilleure tapisserie, meilleur linge et couvertures, meilleure vaisselle, meilleurs bagues et joyaux, meilleure cuisine et meilleur tout ! »

 

Jacques Cœur voyait naître cette cour dépensière, assoiffée de luxe et de plaisirs, que n'avaient encore jamais connue les Capétiens. Charles, sans doute, aurait pu être un médiocre sire pour dominer pareille assemblée, mais l’amour le transfigurait, éclairait ses traits ingrats, et ce timide devenait, la quarantaine sonnée, « mondain, hardi, galant ». Agnès lui apportait la douce chaleur d'un bonheur qu'il n'espérait pas. Aussi, nous dit le pape Pie II: « à table, au lit, au Conseil, elle était toujours auprès de lui ».

 

Pendant ce temps, Brézé vaquait aux soins du gouvernement. Récemment nommé comte d'Evreux, il avait achevé de conquérir sur la favorite un ascendant propre à justifier les médisances des envieux. Charles ne voyant que par les yeux d'Agnès et de ce fait la puissance du sénéchal semblait absolue. C'est à Dunois qu'il demanda de représenter le sang royal dans un Conseil désormais à sa dévotion. Quelques noms pour la postérité : Jacques Cœur – évidemment -, Jean Bureau, Etienne Chevalier, Guillaume Cousinot, Jouvenel des Ursins, Guillaume d'Estouteville, Tancarville, Blainville, Beauvau, Gérard Machet. Cette poignée de nobliaux, de clercs, de juristes, de marchands, de maîtres de comptes allait faire du Royaume de France le premier royaume d'Occident.

 

Les Grands, au sang noble, s'indignèrent de voir gouverner de tels roturiers, sans noblesse, protégés par le crédit d'une femme galante. L'Europe en fut surprise. Charles laissa crier, ravi de cette merveilleuse coïncidence entre les intérêts de sa couronne et ceux de son amour. Les meilleures années de sa vie devenaient ainsi les meilleures années de son règne.

 

Avec une promptitude extraordinaire la France, à peine échappée du tombeau de la Guerre et des querelles dynastiques, recouvrait sa vigueur, sa prospérité. Plus d'anarchie, de pillages, de finances en détresse. Tout naissait ou renaissait, l'armée, l'artillerie, la police, la comptabilité publique, les universités, la justice, l'administration, l'agriculture, le commerce. Charles pouvait s'abandonner sans remords sur le sein délicat que sa belle maîtresse laissait échapper sur les représentations la figurant.

 

La Dame de Beauté était l'astre autour duquel tout gravitait. « En Chrétienté n'y avait princesse qui, hautement parée, put se tenir d'avoir un tel état. » Des Flandres à l'Italie, d'Allemagne à Byzance, il n'était bruit que de ses toilettes, de ses brocarts façonnés d'or, de ses traînes, de ses joyaux venus d'Orient, de ses hennins « monstrueux », de ses innombrables suivantes, elles-mêmes semblables à autant de sultanes. Une véritable influenceuse de l’époque !

 

Agnès avait accompli une série de révolutions : elle se parait de chemises en toile fine ; elle mettait des colliers de perles ; elle faisait tailler ses diamants ; elle épilait ses sourcils ; enfin, grande nouveauté, elle découvrait ses épaules et sa gorge.

 

Ces innovations, dont il nous est difficile d'imaginer le retentissement, bouleversèrent les modes, le commerce et les mœurs. Le beau sein dévoilé parut aux âmes pieuses un emblème du péché et un symbole du démon. Les prédicateurs tonnèrent contre les habillements « déplaisants à Dieu et au monde ». Les gardiens des traditions dénoncèrent l'affreux exemple, la corruption d'une noblesse « donnée à la vanité pour son dehors » et qui « transgressait les termes de sa vocation de vertu ».

 

Cela n'empêcha rien. Chaque élégante voulut imiter la favorite et les cavaliers prétendirent se montrer dignes de leurs compagnes. Un luxe inconnu, une prodigalité effrénée gagnèrent jusqu'à la bourgeoisie. Les coiffures s'enflèrent sans mesure, les robes, scandaleusement décolletées, furent collantes au buste, bridées sur le ventre et, par-derrière, d'une ampleur et d'une longueur stupéfiantes.

 

Elles étaient bordées de fourrures, rehaussées de ceintures orfévrées, de lourds colliers, de cabochons énormes. Le plumage des hommes rivalisait d'éclat avec elles et cette somptuosité s'étendait aux livrées, aux meubles, aux vaisselles, aux équipages. La Renaissance tant attendue arrivait !

 

Jacques Cœur triomphait. Ses vaisseaux apportaient aux Français émerveillés les fourrures, les soies, les pierreries, et encore les épices, les parfums, le sucre, les bois, les métaux précieux. Tout, grâce à lui, se transformait. Un âge rude et monacal descendait au tombeau, tandis que se levait l'aube d'une civilisation neuve. La jeune femme rayonnait, le Roi était joyeux, le sénéchal et ses amis restaient les maîtres incontestés du gouvernement. Une prospérité inespérée leur apporta la meilleure des consécrations. 

 

Voici arrivé le moment fatidique où Agnès Sorel se morfondait à Loches, où l’avait laissée son amant. Avec une impatience accentuée par sa grossesse, elle brûlait de retrouver le roi.

 

Apparemment, elle craignait aussi qu'au hasard de leurs conquêtes, le Roi et Brézé eussent succombé aux attraits d'une sirène inconnue. Un beau jour, elle n'y tint plus et, malgré sa grossesse avancée, malgré les routes effroyables, malgré le scandale, décida de gagner la Normandie. En chemin, elle apprit la chute de Harfleur, la reddition du Havre dont la population avait obligé ses maudits Anglais à repasser la Manche. Charles, qui s'était dépensé durant le siège de Harfleur comme un simple homme d'armes, se trouvait à l'abbaye de Jumièges afin d'y célébrer le jour de l'an et de goûter quelque repos.

 

Il le pouvait car c'est la voix même de sa maîtresse qui lui prêchait l'héroïsme :

- Pensez-vous, lui dit la douce Agnès, être un roi sans affaires ? Nenni. Les grands rois ont de grandes affaires. Vous trouverez encore assez où exploiter votre corps et les vertus des belles dames quand vous voudrez.

Avant d’ajouter :

- Menez-nous en la guerre ! Vous en serez plus vaillant et toute votre compagnie !

 

La favorite le rejoignit le 5 janvier 1450.

 

La stupéfaction du Roi fut extrême, mais moindre sans doute que sa joie et son embarras. Le quartier général de l'armée était une abbaye ! II fallait ménager les susceptibilités de l'opinion, toujours indignée contre le « grand péché » du souverain. Agnès, en manière d'excuse, parla de conspiration. Elle avait voulu avertir son cher seigneur de certains bruits qu'elle avait surpris, le mettre en garde. Charles n'eut pas besoin d'ajouter foi à ce conte pour absoudre l'imprudente. II la fit loger en un château voisin et coula auprès d'elle quelques semaines heureuses : la récompense du guerrier.

 

Hélas ! Le froid, la fatigue du voyage et quelques parasites avaient durement éprouvé la Dame de Beauté. Le 9 février, elle fut prise d'un « flux de ventre », et, en un moment, arriva au seuil de l'agonie. La jeune femme montra devant la mort une fermeté et une résignation singulières. Elle dicta ses dernières volontés, désigna trois exécuteurs testamentaires, Jacques Cœur, le grand commis Etienne Chevalier et son médecin Robert Poitevin, puis reçut les derniers sacrements en invoquant la Vierge et Marie-Madeleine. 

 

Ses amis la croyaient déjà inanimée quand elle prononça dans un dernier souffle ces mots amers :

- C'est peu de chose, et orde (souillée), et fétide que notre fragilité !

 

Agnès Sorel expira. Elle n'avait pas vingt-huit ans et laissa au roi trois filles et une dernière, malheureusement mort-née, quelques jours avant son expiration.

 

Ainsi frappé au comble de la prospérité, le Victorieux comprit qu'il n'en était pas encore quitte avec le malheur. Son désespoir s'aggrava de l'étonnement causé par une fin si brusque et des sourdes rumeurs qui l'entourèrent. La favorite, qui chuchotaient aux ennemis du Dauphin, était-elle victime du poison ? Le prince n'avait-il pas juré de frapper ceux « qui le mettaient hors de sa maison » ? Le futur Louis XI qui allait créer tant de tourment à son père avait-il pu ordonner un tel meurtre ?

 

Aujourd’hui nous savons. Pas de meurtre mais bien un poison. Un poison sous forme de breuvage que le bon médecin Robert Poitevin lui faisait avaler pour expurger Agnès des œufs d’Ascaris (ver intestinal) qui infestait son tube digestif. Elle n’y a pas survécu. Poitevin semblait être, dans cette affaire, Médecin malgré lui.

 

Charles ne portait pas seulement le deuil de ses amours. Son équilibre, son ardeur, son goût de vivre se trouvaient atteints du même coup. Agnès lui avait construit un univers où il était pleinement souverain. Elle, partie, sa vue se brouillait et des incertitudes, longtemps endormies, élevaient de nouveau leurs voix dangereuses. Le Roi, sans courage pour continuer la campagne, quitta la Normandie huit jours après la mort de sa maîtresse. En partant, il ordonna l'érection à Jumièges d'un monument aujourd'hui restauré. La statue en marbre blanc de la favorite s'y agenouillait sur une haute dalle de marbre noir et offrait son cœur à la Vierge.

 

L'inscription portait :

« Hic jacet in tumba mitis simplexque columba ». (« Dans cette tombe repose une douce et simple colombe »)

 

Dans le chœur de la collégiale Notre-Dame de Loches fut élevé le tombeau. La Dame de Beauté, représentée en albâtre, reposait, les mains jointes, vêtue d'une de ses robes de féerie. Deux angelots soutenaient son coussin de chevet, deux agneaux, symboles de sa douceur, dormaient à ses pieds.


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