Accéder au contenu principal

Rebâtir l’Union ou construire une nouvelle société ?



Au sortir de la guerre, l’objectif d’Abraham Lincoln n’est pas une quelconque transformation de l’économie et de la société du Sud, mais la restauration de l’Union. Pour ce faire, il élabore une politique d’amnistie générale. En échange d’un serment d’allégeance, les anciens Sudistes conservent leurs propriétés, sauf leurs esclaves. Ce compromis ne s’applique pas aux membres du gouvernement et de l’Etat-major confédéré. Ainsi, les élites du Sud peuvent de nouveau être associées aux instances politiques du pays. Le président énonce le plan de 10%, qui permet la réintégration dans l’Union des Etats rebelles dès lors qu’un dixième des électeurs ont prêté allégeance. Le Congrès ajoute l’octroi du droit de vote aux Noirs comme condition à la réintégration. Dans chaque Etat sudiste, des assemblées sont chargées d’abroger les ordonnances de Sécession, d’abolir l’esclavage et les dettes de guerre. Les nouvelles chambres élues ratifient le XIIIe amendement garantissant la liberté pour les Noirs. La politique d’amnistie de Lincoln ne fait pas l’unanimité au Nord. Les plus radicaux estiment cette politique trop timorée. Ils souhaitent un changement radical de la société sudiste.

L’assassinat de Lincoln bouleverse la situation. Son successeur Andrew Johnson est un ancien sénateur du Tennessee et ancien propriétaire d’esclaves. Il poursuit la politique indulgente de son prédécesseur. Selon lui, les citoyens du Sud n’ont pas vraiment désiré la sécession. Les élites les ont abusés. Le président souhaite ôter le contrôle politique à la vieille aristocratie de planteurs pour la transférer aux petits fermiers et artisans, et pour ce faire, il convient d’être conciliant à leur encontre. Il n'y a aucune réquisition, confiscation ou morcellement des plantations.
Dans la réalité, les élites politiques ne se renouvellent pas. Les chambres jouent avec le droit pour de nouveau asservir les Noirs. Elles votent des codes noirs qui les empêchent d’accéder à la propriété, de posséder des armes, d’exercer certaines professions intellectuelles et artistiques. Leur droit de vote est restreint pour des motifs censitaires ou d’illettrisme. Les propriétaires louent leurs terres aux anciens esclaves, qui continuent donc d’être dépendants des blancs.

Les citoyens du Nord s’indignent de cette situation. Ils pensent que la politique clémente de Johnson ruine les sacrifices endurés pendant la guerre. Les Républicains modérés rejoignent les radicaux. Le Congrès entre en conflit contre le président.
Afin d'empêcher toute discrimination raciale de la part des législatures du Sud, le Congrès vote deux mesures. La première donne naissance au Bureau des affranchis. Sa mission est de protéger et d’aider les esclaves libérés à se réinsérer et à faire respecter leurs droits. Très vite, les sudistes critiquent cette instance car ils craignent que l'émancipation des Noirs soit trop rapide. Le président soutient cette opposition. La seconde est l’adoption du XIVe  amendement à la Constitution, qui accorde et reconnait la citoyenneté et l'égalité des droits aux Noirs. Par conséquent, les Etats doivent réécrire leur constitution pour la faire correspondre à celle de l’Union en y incluant ce nouvel amendement. Seulement à partir de ce moment, ils seraient autorisés à réintégrer le Congrès. Le Président demande aux Etats du Sud de ne pas ratifier le texte, ce qui ralentit sa mise en œuvre. En mars 1867, le Congrès vote une loi de reconstruction. Dix Etats confédérés deviennent des districts militaires dirigés par un gouverneur militaire aux pouvoirs étendus. Le 22 février 1868 le Congrès initie, pour la première fois dans l'histoire des États-Unis, la procédure de destitution ("Empeachment"). La tentative faite pour destituer Johnson échoue et il conserve son poste jusqu'à la fin de son mandat.

Au début des années 1870, des profiteurs sans scrupules envahissent le Sud. Ces aventuriers opportunistes du Nord viennent tenter de participer à la vie politique et prendre le pouvoir local. Ils dressent les Noirs contre les Blancs, en exploitant la naïveté des anciens esclaves et font élire des hommes de paille noirs à leur dévotion. Tirant parti de l'occupation militaire, ils s'installent aux commandes, rachètent les propriétés dévaluées et volent l'argent public.
Ces excès provoquent un vif ressentiment chez les Sudistes tant vis-à-vis du Nord que des Noirs. Des anciens officiers confédérés fondent le Ku-Klux-Klan. Il se donne pour mission d'administrer l' "Empire Invisible", c'est à dire les États du Sud. Rapidement il fait régner la terreur par des comportements racistes et violents allant jusqu’au meurtre. Bien qu'interdit, il compte jusqu'à un demi-million de sympathisants. Ces derniers brutalisent ou tuent pour empêcher les Noirs de faire usage de leurs droits civiques et établir un régime de ségrégation raciale.
Il devient évident que les dures lois et les rancœurs tenaces à l'encontre des anciens confédérés n'aident pas à résoudre les problèmes du Sud. En conséquence, le Congrès vote en mai 1872, une loi d'amnistie générale. Les anciens sudistes portent au pouvoir des Démocrates. En 1878, le Président Rutherford Hayes retire les troupes armées. La fin des années 1870 et le début des années 1880 voit les droits accordés aux Afro-Américains remis en cause par l'adoption des lois Jim Crow qui créent une ségrégation raciale. Par ailleurs, les différentes réformes agraires qui devaient distribuer la terre aux affranchis sont abandonnées, ce qui renforce la pratique du métayage.


L’objectif premier de la guerre est réalisé. Dès 1869, l’ensemble des Etats confédérés ont réintégré l’Union. Néanmoins, le gouvernement fédéral n’a pas été capable de réunir et de réconcilier l’ensemble de la nation et par extension de garantir les droits civiques des anciens esclaves noirs. En effet, les mentalités dans le Sud n’ont pas changé. Le sentiment anti-noir demeure partagé. Les citoyens accordent davantage leur confiance aux institutions locales qu’aux fédérales. La défaite et l’exploitation économique par des investisseurs nordistes font perdurer l’amertume des Sudistes vis-à-vis de leurs compatriotes du Nord. Les politiques du Sud trouvent des moyens pour préserver la suprématie de la race blanche et dénier aux Noirs leurs droits sans transgresser formellement les lois fédérales. C’est la naissance de la société ségrégationniste. La reconstruction économique n’a pas permis l'égalité raciale.

Sources

Texte
- PORTES Jacques, Histoire des Etats-Unis de 1776 à nos jours, Armand Colin, Paris, 2013, pp83 à 98.
- ROBERT Frédéric (dir), Le Sud après la guerre de Sécession : de la Reconstruction à la reségrégation (1865-1896), Ellipse CAPES, Paris, 2009, 217p.
- FONER Eric, « Il y a 150 ans : après la guerre civile la reconstruction », article publié 4 avril 2015 sur Alencontre.org
Image

Commentaires

Enregistrer un commentaire

Les articles les plus consultés

Lilith, la première femme de la Bible et d'Adam

Avez-vous d é j à lu la Bible? En entier? Peu l'ont fait! Au moins la Gen è se alors! La Gen è se? Mais si, le d é but, l'intro' ! Lorsque Dieu cr é e le ciel, la terre, les ê tres vivants et enfin l'homme Adam! Enfin, Adam et È ve... Vous connaissez cette histoire et souvent peu le reste. Lorsque je discute de la Bible avec des amis ou des é l è ves - pas toujours ignorants du fait religieux - je remarque souvent un ab î me d'ignorance de l'histoire biblique comme si on passait directement d'Adam à J é sus. Ah si: les gens connaissent aussi Abraham et Mo ï se. J'ai toujours aim é le d é but des histoires. La Bible ne fait pas exception. Je ne sais pas combien de fois j'ai pu lire et relire la Gen è se. Et puis un jour, un passage m'a turlupin é . Le sixi è me jour, Dieu d é cida de remplir la terre d'animaux, d'oiseaux et de bestioles. Puis, il est é crit: Chapitre 1: 26 Dieu dit : « Faisons l ’ homme à notre image, se

Alexandre le Grand homosexuel ? Le doute Hephaestion

Il est un fait, sur la possible homosexualité d’Alexandre, qu’il faut relever immédiatement. De toute sa vie, aucun acteur privilégié, c’est à dire proche du conquérant – et ils sont nombreux -  n’a jamais affirmé ou constaté de visu le voir pratiquer une relation sexuelle avec un autre homme. Cependant aucun non plus n’affirme qu’il n’en a jamais eue. La seule énigme tourne autour du seul et même homme avec qui il partage très souvent son quotidien: H é phaestion. Savoir si ces deux hommes ont un jour ou l’autre sauté cette fragile frontière qui sépare la grande amitié de l’amour restera pour l’éternité en suspens… du moins pour le moment ! Il faut s’attarder un instant sur l’ami intime d’Alexandre, celui qui lui sera toujours fidèle. H é phaestion naît à Pella, la même année qu’Alexandre. Fils d'Amyntas, un aristocrate macédonien, il reçoit également la même éducation que lui auprès du philosophe Aristote dans son adolescence. Il est un homme fort et beau. Certaines anecdo

Cléopâtre, son tapis et Jules César : Une Histoire d'Amour Épique et Mystérieuse qui a Bouleversé l'Empire Romain

Les amours passionnées entre la célèbre reine égyptienne Cléopâtre et le tout-puissant et charismatique Jules César forment un épisode à la fois mystérieux et envoûtant de l'histoire. Leur relation est digne des ébats charnels des dieux de l'Olympe. Au sein de leur amour naît un enfant légendaire et secret, Césarion, conférant à la reine une place singulière dans l'histoire et une renommée qui fait jaser du sénat romain jusqu'aux recoins les plus sombres de l'empire. Cléopâtre, descendante de Ptolémée Ier, général et compagnon d'Alexandre le Grand, est d'origine grecque, mais elle se distingue par son amour pour son peuple et son désir ardent de faire reconnaître l'Égypte comme la grande civilisation du monde méditerranéen, au même titre que Rome. Polyglotte, elle parle la langue de son peuple, une particularité sans précédent parmi les descendants de la dynastie des Ptolémées, qui règnent sur le trône depuis trois siècles.

Pasteur et la découverte du vaccin contre la rage

En 1879, Louis Pasteur, surnommé par René Dubos le « Franc-tireur de la science », a découvert le principe du vaccin et ceci grâce aux vacances d’été que celui-ci s’est octroyé. Tout grand esprit a besoin de repos. Le choléra des poules fait alors rage, depuis le printemps. Après plusieurs mois d’expériences infructueuses, Pasteur décide de se reposer et part rejoindre sa femme ainsi que toute sa famille dans sa maison de campagne. De retour dans son laboratoire, très détendu après ses congés estivaux, il reprend avec une grande motivation ses recherches, suivant le même procédé que celui établi jusque-là. Il inocule la bactérie du choléra sur des poules. Et il attend : une heure, deux heures. Aucune poule ne meurt. L’aiguille de l’horloge tourne et tourne pendant des heures, tout comme Pasteur dans son laboratoire. Rien ne se passe. Les poules sont toujours aussi pimpantes. Le chimiste de formation, loin d’être novice en matière d’expériences scientifiques, réfléchit : « Mais que

Hitler et Mussolini : quand l’élève dépasse le maître

En 1922, Benito Mussolini à la tête du parti fasciste italien, marche sur Rome et s’empare du pouvoir. Il transforme la démocratie en Etat fasciste. De l’autre côté des Alpes, Adolf Hitler observe ses actions. Mussolini est un modèle à suivre. Hitler organise son parti sur le modèle italien. L’année suivante, il tente lui aussi de marcher sur Berlin, pour s’emparer du pouvoir. C’est un échec. Il doit attendre les élections de 1933, pour accéder à la fonction de chancelier. La première entrevue entre les deux dictateurs se déroule à Rome en 1934. Le principal sujet réside dans la question autrichienne. Mussolini protège l’Autriche, qu’il considère comme une zone tampon face à l’Allemagne. Le meurtre du chancelier Dollfuss le 25 juillet 1934 par des sympathisants nazis est très mal vu par Rome. Mussolini envoie des troupes à la frontière, empêchant ainsi les nazis de prendre le pouvoir. Le Duce impose de par sa prestance. Vêtu de son bel uniforme, il apparaît comme l’homme fort au côté d

Aux origines de la galette bretonne

Chandeleur oblige, les crêpes sont de la partie ; et en Bretagne, qui dit crêpe, dit galette. L’histoire de la galette est étroitement associée à celle du blé noir, son principal ingrédient. C’est le parcours historique de cette céréale que nous allons retracer ici. Suivons à présent pas à pas la recette. Afin de réussir une bonne galette bretonne, accompagnons les croisés en Asie, au XIIe siècle. Après plusieurs milliers de kilomètres parcourus, des champs de fleurs roses s’étendent à perte de vue. Ce n’est pas un mirage, ni de simples fleurs d’ornement : les croisés découvrent le blé noir. Ils en prennent quelques plants, puis regagnent l’Europe avec des mules chargées de la précieuse semence. Mais le retour au Vieux Continent rime avec désillusion pour ces « chevaliers agricoles ». La culture de ce blé est exigeante et sa production reste faible. Néanmoins un espoir renaît du côté des exploitations d’une des régions françaises. Cet endroit est connu pour sa pluie :

Alexandre le Grand et Diogène: une rencontre de géant

Vous connaissez mon amour inconditionnel pour Alexandre le Grand. Aussi, aujourd'hui je vais vous conter un des épisodes qui m'a toujours marqué dans la vie du Macédonien : sa rencontre avec le célèbre philosophe cynique Diogène. De son entrevue, je crois, Alexandre en a retenu une leçon de vie qu'il essaiera, avec plus ou moins de bonheur ou de réussite, de s'appliquer tout au long de sa courte vie : l'humilité. Nous sommes en 335 avant notre ère. Alexandre n'est pas encore Alexandre le Grand et il n'a pas encore vingt-un ans. Pourtant, il est déjà craint par les Grecs... Bientôt par les Perses. En attendant, le jeune roi macédonien vient d'épater tous ceux qui doutaient encore de lui. Voilà quelques mois, son père Philippe mourrait sous les coups de couteaux de Pausanias - amant blessé - et la Grèce soumise décide alors de se révolter sous l'égide du meneur Démosthène et de la cité d'Athènes. Alexandre, fou de rage devant tant de traîtrise,

Hypatie d'Alexandrie, une femme seule face aux chrétiens

Alexandrie, ville de savoir ; ville de délices ; ville de richesses ! Et pourtant parfois, ville décadente et théâtre des pires atrocités faisant ressortir le vice animal, dénué de toute philosophie civilisatrice. En 415 de notre ère, cette Alexandrie, cité révérée et donnée en exemple, va connaître les premiers signes de sa décadence : elle assassine une des plus grandes savantes et philosophes de l’histoire de l'humanité, la belle et intelligente Hypatie. Née vers 370, Hypatie a environ dix ans lorsque l’empereur Théodose proclame la foi chrétienne comme étant la religion officielle de l’empire. Théodose met fin à un millénaire de stabilité religieuse et installe une religion qui tend à la prédominance   et qui, par l’intolérance qu’elle exerce, met l’empire en proie à des révoltes incessantes.  Moins d’un siècle suffira à le faire définitivement chuter ! Les chrétiens avaient été plusieurs fois massacrés – souvent injustement – servant de boucs émissaires quand la situation l’i

Le destructeur du nez du sphinx

Voilà bien longtemps que les hommes de la riche et nourricière terre d’Egypte le contemple. On vient également de loin pour se recueillir devant lui. Le Sphinx, cet être gigantesque que les plus grands hommes révèreront comme un dieu est un porte bonheur ! Né de la volonté du pharaon Khéphren, ce mastodonte taillé dans la roche garde depuis 2500 av. notre ère environ le plateau de Guizèh et ses somptueuses tombes : les pyramides de Khéops, Khéphren et Mykérinos. Le Sphinx parcourt les siècles avec aisance bien qu’il faille régulièrement le déterrer car le sable, inlassablement, vient le recouvrir jusqu’aux épaules. La chrétienté puis l’islam passent et le culte du dieu lion à tête d’homme s’éteint progressivement sans toutefois totalement disparaître. Les musulmans d’Egypte le considèrent tel un génie et l’admirent comme une œuvre d’art défiant la nature et rendant grâce au génie humain voulu par Dieu. Malheureusement, les belles heures théologiques, bien souvent plus intellectuelles