La violence a débuté, pour Ivan, dès sa naissance. Il était né à Kolomenskoie, près de Moscou, le 25 août 1530. Son père, le grand-prince Vassili III, décéda lorsque le petit Ivan, héritier désigné, n'avait que 3 ans. Sa mère, la princesse Elena Glinskaïa, devint la régente, mais ne survécut que cinq ans à son époux. Le pouvoir passa alors, en 1538, aux mains de la Douma des boyards (l'assemblée de la vieille noblesse féodale). Le garçon se mit rapidement à haïr ces derniers, qu'il soupçonnait d'avoir empoisonné sa mère et qui le traitaient avec mépris, sans doute du fait de son jeune âge. Tout jeune, il fut le témoin de règlements de comptes sanglants entre les clans rivaux des deux grandes familles nobles, les Chouiski et les Belski. Il en conçut l'idée que seule la violence assurait victoire et obéissance.
Très tôt, Ivan fit preuve d'un tempérament nerveux et cruel. Déja à 12 ans il s'amusait à torturer à mort des animaux de compagnie. A 13 ans, excédé par les boyards, il donna l'ordre de tuer, sous ses yeux, le prince Andrei Chowski qui, de facto, gouvernait alors la Moscovie (Moscou et sa région). Vers 14-15 ans, entouré d'une foule de jeunes nobles, il prit l'habitude de parcourir la capitale à cheval, en fouettant et en pillant les gens qu'il croisait. Il aimait aussi lâcher des ours sur des humains...
Mais, tel Janus à deux faces, il avait aussi un côté lumineux.
Ivan adorait aussi la lecture. Il passait des jours entiers dans la bibliothèque paternelle, en s'imprégnant de l'histoire sainte, de celle de l'Église, de textes romains et de manuscrits russes. Fin observateur, doté d'une mémoire et d'une intelligence exceptionnelles, il était l'un des hommes les plus cultivés de son temps.
Dès sa majorité à 16 ans, Ivan exprima le souhait d'être couronné non seulement comme grand-prince, mais aussi comme «tsar». Ce titre était directement inspiré du nom romain de César.
Bien que certains Russes exceptionnels eurent l’honneur d’être ainsi surnommé, personne n’en avait revêtu le titre. Or, justement, Ivan entendait marquer une rupture et être le premier à porter ce titre impérial qui lui conférait un statut sacré aux yeux du peuple. Le sacre eut lieu en la cathédrale de la Dormition dans l'enceinte du Kremlin de Moscou, le 16 janvier 1547. Et cette cérémonie eut également pour conséquence de hisser Ivan dans la hiérarchie des têtes couronnées d'Europe occidentale. En tant qu'empereur, il se plaçait sur un pied d'égalité avec son homologue germanique.
Au milieu du XV siècle, la Russie moscovite comptait quelque dix millions d'habitants éparpillés sur un vaste territoire. Ce vaste territoire peu peuplé avait besoin d'une administration centralisée et efficace et d'une armée forte. En effet, après l'effondrement de la Horde d'Or, l'empire turco-mongol, au début du XV siècle, les khanats (principautés indépendantes) de Crimée, de Kazan et d'Astrakhan se formèrent aux confins de la Moscovie et menèrent des raids réguliers sur les terres russes. Ivan s'entoura alors de quelques hommes de confiance qui formèrent un gouvernement, la « Rada élue ». Parmi eux, Alexis Adachev, petit propriétaire terrien et remarquable administrateur ; le prêtre Sylvestre, auteur du « Domostroi » (« Ménagier ») édictant les règles de la vie familiale ; et le métropolite Macaire, défenseur de la monarchie absolue. En 1550, sous l'impulsion d'Ivan, la Douma des boyards entérina un nouveau code des lois qui prévoyait notamment des châtiments sévères pour les juges malhonnêtes. On accéléra aussi la création de prikazes, embryons de futurs ministères, censés remplacer le pouvoir des namiestniks (préfets) qui pressuraient la population.
En tant que représentant autoproclamé de Dieu sur terre, Ivan se pensait en droit de s'immiscer dans les affaires de l'Église, malgré l'existence du patriarcat. Tel Constantin, il ordonna, en 1551, le Concile de l'Église orthodoxe. Celui-ci se pencha sur les « Cent Chapitres » de la vie religieuse et il décréta que les livres saints manuscrits devaient être corrigés. Plus tard l'Église créa sa propre imprimerie, la première jamais installée à Moscou, afin d'y réaliser des ouvrages d'après les modèles les plus exacts. Enfin, il confirma le clergé dans ses terres mais en interdisait l’expansion.
En revanche, le tsar n'appuya pas le Concile dans son combat contre l'ivrognerie. La vodka, importée en Russie par les Génois au XIV siècle, connut en effet une grande popularité au XVI siècle. Et la construction de kabaks, des débits de vodka qui rapportaient gros au Trésor, fut approuvée par Ivan. C'était le début de l'alcoolisme russe à grande échelle qui perdure toujours aujourd’hui, du moins d’après la rumeur. Ha! Que ne ferions-nous pas pour quelques taxes?
La réforme la plus importante fut militaire. En 1550, sur l'ordre du tsar, on rassembla mille fils de boyards et de nobles pour former le « régiment moscovite ». Une sorte de service militaire. Bientôt, chaque propriétaire terrien dut fournir à l'armée des guerriers équipés en proportion de la superficie de son domaine. Ivan entreprit ensuite de former une armée permanente, la première de l'histoire russe. Le noyau en fut constitué par les streltsy (arquebusiers) et de milliers de canons.
Désormais, le tsar avait les moyens nécessaires pour se lancer dans des expéditions d’agrandissement de l’Empire.
A l'instigation de la « Rada élue », il déclara une « guerre sainte » contre les infidèles et entreprit la conquête de Kazan dans le Caucase. L’armée organisa le siège de Kazan, qui dura quatre mois, en 1552. Une fois la ville tombée, les soldats d'Ivan la pillèrent, exterminant une grande partie de sa population. C'est depuis ce massacre qu’on nomma le tsar par son surnom de « Terrible ».
Pour célébrer sa victoire, Ivan fit construire la célèbre cathédrale de Basile le Bienheureux, sur la place Rouge. En 1555, peut-être instruit par l'exemple de Kazan, le khan de Sibérie, Ediguer, fit prudemment allégeance à Moscou. L'année suivante, le khanat d'Astrakhan fut vaincu à son tour, et englobé dans la Russie : désormais, le tsar contrôlait tout le bassin de la Volga, avec un accès direct à la mer Caspienne. En 1553, il établissait des relations commerciales avec l'Angleterre.
La Grande Russie naissait enfin !
Passant outre l'avis défavorable de ses proches conseillers, le tsar, rassuré par ses victoires à l'est, décida alors de se lancer dans une offensive contre la Livonie, ce territoire qui correspondait à la quasi-totalité des États baltes d'aujourd'hui. Le souverain désirait obtenir l'accès à la mer Baltique, d'autant que les villes livoniennes comme Riga ou Narva dominaient le commerce avec la Hanse. De son côté, la « Rada élue » défendait une autre priorité : la conquête de la Crimée et l'accès à la mer Noire (déjà !), dans le cadre d'une guerre contre les « infidèles » musulmans. Mais Ivan décida que la priorité était d'attaquer le nord et il déclencha la guerre de Livonie. Les premières victoires russes eurent un immense impact en Occident. L'apparition d'une nouvelle puissance barbare y sema l'effroi.
La région de la Baltique devint le théâtre d'un conflit international majeur. Rassuré par ces succès, Ivan se mit en tête de consolider son pouvoir autocratique, en s'affranchissant de ses conseillers et en détruisant la puissance des boyards.
Les persécutions commencèrent en août 1560, après la mort de l'épouse du tsar, la douce Anastasia, dont il avait eu six enfants. Cette femme modeste qu'il avait épousée à 16 ans, après une adolescence débauchée, était issue d'une famille de vieille noblesse. Elle avait su modérer, au gré des années, les accès de colère et de folie de son royal époux.
Plus rien ne le retenait.
Rien ne prouve qu’Anastasia ait été réellement empoisonnée par des boyards, mais le prétexte à la répression était trouvé. Tous les boyards qui pressaient Ivan de guerroyer contre « les ennemis de la croix du Christ » (Empire Ottoman) plutôt que contre « les peuples chrétiens » (Livonie) furent poursuivis comme traîtres. A Moscou, les exécutions de « puissants » allèrent bon train. L'un des plus proches amis d'Ivan, le prince Andrei Kourbski, s'enfuit en Lituanie d'où il engagea une étonnante correspondance avec le tsar, aujourd'hui encore une source majeure de nos connaissances sur cette époque. Les démocrates du XIXe siècle considéreront Kourbski comme le premier émigré politique, le prototype des libéraux russes à venir.
Les premiers revers subis dans la guerre de Livonie poussèrent le tsar, en 1564, à intensifier sa chasse aux « traîtres » car comme tout bon autocrate les échecs ne pouvaient venir de sa propre responsabilité. En février 1565, il introduisit son innovation politique la plus étonnante. Elle consistait en quelque sorte à redessiner les contours de la Russie ! La plus grande partie du pays conservait son ancienne administration, mais l'autre, constituée de terres confisquées à des boyards, était placée sous l'autorité absolue et illimitée d'Ivan. Cette partie était baptisée l’«opritchnina», littéralement « la réserve » comme aux temps féodaux de la France médiévale. A l'intérieur de cet immense domaine, Ivan octroya des parcelles à ses serviteurs fidèles. Ainsi naquit une nouvelle aristocratie russe. Les opritchniks, membres d'une nouvelle garde prétorienne du tsar attachée à l'opritchnina, portaient des habits noirs. Sur la selle de leurs chevaux moreaux (bruns), ils attachaient de sinistres insignes : un balai pour nettoyer la trahison et une tête de chien pour dévorer les traîtres. L'événement le plus marquant de l'opritchnina fut le pogrom de Novgorod en janvier-février 1570. Par suite des velléités de cette ville de passer sous contrôle lituanien, le tsar dirigea en personne l'expédition punitive au cours de laquelle toutes les villes situées entre Moscou et Novgorod furent pillées. Le chef des opritchniks, Maliouta Skouratov, étrangla le métropolite Philippe, ami d'enfance du tsar, dans un monastère de Tver, car celui-ci avait tenté d'arrêter le massacre. Près de la moitié des 30000 habitants de Novgorod fut sauvagement assassinée.
La politique de terreur conduite par les opritchniks prit fin en 1572, mais la division du pays eut des conséquences dramatiques car de nombreuses terres se trouvaient dévastées et abandonnées : les paysans avaient migré vers des régions plus tranquilles à l'est. La guerre de Livonie se solda, quant à elle, par une défaite totale. La Russie se vit obligée de rendre toutes ses possessions en Livonie à la Pologne et de conclure la paix avec la Suède à laquelle elle céda plusieurs villes.
Tout fléau à heureusement une fin.
De plus en plus malade et paranoïaque, Ivan alternait le repentir et la prière avec les orgies et les accès de fureur. En novembre 1582, il molesta sa belle-fille enceinte. Lorsque son fils Ivan essaya de s'interposer, il le blessa mortellement avec son sceptre. La mort de l'héritier plongea Ivan dans le désespoir car son autre fils, Fiodor, était faible et indécis. Au total, le monarque fut marié sept fois, mais n'eut que trois fils. Le dernier, le tsarévitch Dimitri, né en 1582, périt en 1591.
Tyran sanguinaire, inventeur de supplices atroces, Ivan mourut lui-même dans d'horribles souffrances, le 18 mars 1584. A 53 ans, il ne pouvait plus marcher, son corps couvert de plaies exhalait une odeur pestilentielle. Il était probablement atteint de syphilis. Sous son règne, la Russie se transforma en un état autocratique. Tactique typique d'un leader populiste, Ivan se présenta au peuple comme son seul défenseur contre la cupidité des boyards.
Sans la civiliser, il modernisa la Russie : création d'un appareil d'État centralisé et d'une armée puissante, introduction d'une monnaie unique et élargissement du territoire russe vers l'est. On lui doit aussi la construction d'une deuxième enceinte fortifiée à Moscou et l'édification d'églises et de cathédrales. Mais sa politique de terreur ravagea le pays et réduisit à néant nombre de ses projets. Et l'incertitude pesant sur sa succession ouvrit la voie à une guerre civile, le « Temps des Troubles ».
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Super intéressant
RépondreSupprimerMerci
En Russie, l’image d’Ivan est ambivalent mais il reste un héros national. Comme tous les despotes il avait une face sombre mais qui n’en n’aurait pas une avec autant de responsabilités.
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