Bellegarde, le grand écuyer du roi et ancien mignon d’Henri III, ne cessait de parler à Henri de l'éclatante beauté de sa maîtresse, Gabrielle, fille du marquis d'Estrées. L’affaire n’était pas tombée dans l’oreille d’un sourd ! Tant et si bien qu'un jour du mois de septembre 1590, le roi décida d'aller voir la belle au château de Couvres et ainsi vérifier les dires de Bellegarde.
Dès le premier regard, il n'avait pu détacher les yeux de la jolie fille ayant été élevée au château de Cœuvres. Le marquis d'Estrées appelait ses sept enfants « les sept péchés mortels ». La mère de Gabrielle faisait partie de cette fameuse lignée des dames fort recherchées du château de la Bourdaisière, un lieu que François Ier et Charles Quint avaient alors un temps fréquenté.
Henri fut ébloui par cette blonde potelée au teint de lait et aux yeux bleus enjolivés d'une très légère coquetterie. Il aima cette « Vénus picarde aux rondeurs flamandes » dès la première entrevue. Mais, fait surprenant, Gabrielle résista plus d'une année et demie avant de succomber à la cour pressante que lui fit le Béarnais. C'était pendant le siège de Rouen et le jour où la ville fut prise, Gabrielle se laissa prendre à son tour.
Elle devint aussitôt son « bel ange », sa « vérité », son « cœur » et son « tout ». L'éblouissement du Vert-Galant demeura après cette première reddition et « Mon Menou, lui écrit-il, je ne vous verrai pas de dix jours, c'est pour en mourir. »
Elle ne méritait vraiment pas semblable flamme.
Gabrielle non seulement n'aimait pas Henri IV mais le trompait sans vergogne. Son cœur restait fidèle à son amant de cœur, le beau Bellegarde. Le roi accepta cependant avec élégance et même amusement ce partage avec son grand écuyer. Ainsi, on raconte qu'un jour, mangeant des prunes confites dans la chambre de sa maîtresse, il se mit tout à coup à en lancer sous le lit. « Mais que faites-vous donc ? » s'étonna la belle Gabrielle qui se trouvait étendue sur le lit en dessous duquel dépassaient les pieds de M. de Bellegarde. « Hé ! madame, répondit le roi en lançant une nouvelle prune, ne faut-il pas que tout le monde vive ? »
Lui aussi la trompera, mais Gabrielle aurait eu mauvaise grâce à s'en formaliser. Elle agissait beaucoup par ambition plus que par passion. Sa grande force était d'être toujours présente et ravissante pour le roi. « Le roi, dira-t-elle un jour à l'ambassadeur de Venise, oublie vite ses maîtresses lorsqu'il est séparé d'elles. Quant à moi, étant bien instruite de ce danger, je connais parfaitement le moyen de l'éviter : c'est de me tenir assidûment auprès du prince (le roi). » Pour demeurer fidèle à cette ligne de conduite, elle partageait la rude et aventureuse existence de son roi à la conquête du royaume de France « sortant du lit pour monter à cheval ».
Henri l'avait mariée à Liancourt, un mari inoffensif et inexistant, mais dès qu'elle eut donné au roi le petit duc de Vendôme, qui fut attribué de bonne grâce à Bellegarde, Gabrielle fit rompre son mariage du fait de : ob frigiditatem et impotentiam mariti (de la froideur et de l'impuissance de son mari). Elle avait alors une autre ambition : se faire épouser par Henri IV. Le roi, qui envisageait depuis longtemps de faire casser son mariage avec la stérile Marguerite, demanda conseil au bon Maximilien de Béthune plus célèbre sous le nom de Sully.
« Qui profitera du royaume restauré, lui disait-il en substance, si je ne donne à la France des enfants venant de moi ? Je voudrais trouver une femme qui, par beauté en sa personne, complaisance en l'humeur, fécondité en génération, me puisse faire oublier ma première et piteuse expérience matrimoniale.
Henri contextualisait sa future demande.
« L'infante d'Espagne est vieille et laide, continuait le roi, il ne faut donc point m'en parler. La nièce du duc de Florence est d'une maison bien neuve et de la même race que la reine-mère qui a fait tant de mal au pays (Catherine de Médicis). J'ai ouï parler aussi de certaines princesses d'Allemagne dont les noms sont impossibles à retenir, mais les femmes de cette contrée ne me reviennent aucunement. Si j'en épousais une, je penserais avoir toujours un tonneau de vin couché près de moi.
Le Béarnais passa en revue nombre des candidates possibles mais une était « trop jeunette », l’autre « trop noire », la dernière « huguenote ».
Sully, qui savait où voulait en venir le roi et qui désapprouvait, demeurait de glace.
« Voyez, grand-maître, si vous pourriez m'en indiquer quelqu'une. »
Sully ne voyait évidemment personne.
« Et si je vous en nommais une ? affirmait le roi plein d’espoir.
Sire, Nommez-la donc ! lui répondait impassible Sully.
Oh ! la fine bête qui sait bien celle à qui je pense, tout en faisant le niais et l'ignorant ! Car vous confesserez que toutes les conditions que j'ai dites peuvent être trouvées en ma maîtresse.
Sully essaya finalement sans finesse d'expliquer au roi que l'on ne pouvait véritablement pas faire asseoir sur le trône celle que le peuple nommait la « duchesse d’Ordure ». Les reines de France, à l’exception de la traitresse Isabeau de Bavière ayant toujours eu bonne réputation.
Mais rien ne pouvait arrêter la folie du roi. Déjà il avait passé au doigt de Gabrielle le diamant du sacre. Marguerite, lorsqu'on lui demanda de s'effacer devant « cette tant décriée bagasse », poussa des cris d'orfraie ! Comme on la comprend !
C'est en termes plus nobles que le pape donna son sentiment devant cette effarante union : « Ce serait chose extravagante, le peuple de France n'ayant pas l'habitude de supporter des taches sur ses rois. »
Clément VIII craignait surtout, en refusant de rompre le mariage de Margot et d'Henri, de voir celui-ci se passer de la dispense pontificale. Le roi est un ancien protestant et l’Église a toujours craint le courroux des rois de France.
Tout le monde est dans l’impasse. Et pourtant…
Un soir, le pape sortit transfigurer de son oratoire car Dieu intercéda à ses prières. Nous étions le 10 avril 1599 et Gabrielle mourait tandis qu'elle mettait au monde un enfant mort-né.
Henri fut écrasé par la douleur. « Mon affliction est incomparable. La racine de mon cœur est morte, écrivait-il à sa sœur. Elle ne rejettera plus... »
Mais elle « rejettera » heureusement trois mois plus tard pour Henriette d'Entragues.
Le temps du deuil fut si long…
Retrouvez d'autres histoires sur le bon roi Henri IV en cliquant: ici
Commentaires
Enregistrer un commentaire