Premier Vol habité en Montgolfière : L'Ascension Historique de 1783 au-dessus de Paris
Enfin un vol sans cordes... la montgolfière sera lâchée sans attaches au-dessus de Paris!
En ce jour brumeux de novembre 1783, une marée humaine déferlait hors de Paris, traversait le hameau de Passy et se dirigeait vers la campagne, plus précisément vers le jardin de la Muette. Un spectacle d'une étrangeté fascinante allait s'y dérouler.
Le ciel de Paris avait été choisi comme le berceau d'une invention révolutionnaire. Dans quelques instants, un chimiste et un physicien - Pilâtre de Rozier et François-Laurent, marquis d'Arlandes - allaient survoler la capitale pour la première fois.
L'invention était toute récente. Quelques mois auparavant, un fabricant de papiers peints d'Annonay, nommé Joseph Montgolfier, avait été frappé par une vision alors qu'il contemplait le feu de sa cheminée. Une chemise, chauffée par le feu, gonflait et semblait vouloir s'élever. C'est ainsi qu'était née l'idée de la montgolfière.
Ce 21 novembre, une ascension était prévue depuis le jardin de la Muette. Dès midi, des milliers de spectateurs avaient envahi le parc. Les curieux étaient venus pour contempler l'aérostat, placé sur une pelouse qui serait un jour traversée par la rue d'Andigné.
Le ballon était en papier huilé couleur d'azur, rehaussé d'ornements d'or : chiffre du Roi, signes du zodiaque et fleurs de lis. Il contenait vingt mètres cubes d'air chauffé par un réchaud dont le foyer était alimenté avec de la paille. Autour de la partie extérieure de l'orifice, on avait placé un panier circulaire en osier destiné aux intrépides navigateurs et aux provisions de paille. Accrochés à du papier, Pilâtre et son compagnon allaient survoler Paris, au-dessus de bottes de paille en feu…
L'enveloppe du ballon s'était décousue. Tandis qu'on s'affairait pour la réparer promptement, les spectateurs s'étaient égaillés dans le parc. Il y avait bien longtemps qu'il n'y avait plus ici de muette - ce pavillon dans lequel Charles IX faisait mettre ses faucons à l'approche de la mue - mais le public pouvait aller admirer une laiterie modèle et une vaste faisanderie qui s'étendait au-delà de la porte Dauphine, ainsi nommée en l'honneur de Marie-Antoinette, lors de son arrivée en France.
Des cris ont appelé les curieux. Le ballon avait été remis en état et allait s'envoler. Tous ont accouru, à la grande satisfaction du marquis d'Arlandes qui se désespérait de voir aussi peu de monde autour de l'aérostier. Il a agité galamment son mouchoir en guise d'adieu et a souri aux jolies femmes... mais la montgolfière ne semblait pas très pressée de quitter le sol; l'air chaud n'avait pas encore rempli toute l'enveloppe.
"Monsieur le marquis, a crié Pilâtre du fond du panier, vous ne faites rien et nous ne montons guère."
M. d'Arlandes s'est excusé.
"Je remuai alors le réchaud, racontera-t-il dans le Journal de Paris du 29 novembre, je saisis avec une fourche une botte de paille, qui, sans doute trop serrée, prenait difficilement; je la levai, la secouai au milieu de la flamme. L'instant d'après, je me sentis enlever comme par en dessous des aisselles, et je dis à mon cher compagnon :"Pour cette fois, nous montons!"
Il était 13H54 de l'après-midi. Le ballon a pris de la hauteur et le regard des aéronautes embrassait déjà un vaste horizon : de la plaine de Grenelle à la nouvelle route de la Révolte. Tout à coup, la montgolfière a été agitée de violentes secousses.
"Que faites-vous? a demandé anxieusement le marquis. Est-ce que vous dansez ?
"Je ne bouge pas.
"Tant mieux, a crié d'Arlandes; c'est enfin un nouveau courant!"
Le globe a progressé, en effet, vers le sud-ouest. Sous les voyageurs, le petit village de Passy étageait ses maisons et ses moulins à flanc de coteau.
L'ombre du ballon se profilait sur les sillons d'une plantation de vigne bordant la rue Vineuse et dont Louis XIII aimait tant boire le vin lorsqu'il revenait du bois de Boulogne, les soirs de chasse aux loups. Encore quelques toises et les navigateurs aériens se trouvaient au-dessus de la colline de Chaillot. Au milieu des frondaisons pointait le fin clocher de la chapelle du couvent de la Visitation de Sainte-Marie, où Louise de La Vallière(1) chercha en vain un refuge.
Tout en enfournant leur paille, les deux voyageurs aériens apercevaient, au-dessous d'eux, un cavalier qui dévalait la colline de Chaillot de toute la vitesse de son cheval. C'était M. le duc de Chartres - créateur du rallye-ballon - qui essayait de suivre la montgolfière. Le ballon venait de dépasser la place de l'Alma et s'apprêtait à quitter la rive droite, à la hauteur du bac des Invalides.
Tous ceux qui n'avaient pas cru au prodige, tous ceux qui avaient traité de fanfaronnades les dires des deux aéronautes, tous les incrédules qui n'avaient pas voulu se rendre à la Muette étaient aux fenêtres, sur les toits, dans la rue. Un immense cri s'élevait :
"La machine vole!"
L'enthousiasme était indescriptible. On s'embrassait, on s'interpelait, on applaudissait. Pour la première fois, deux hommes avaient tout Paris à leurs pieds, un Paris comptant six cent trente mille habitants, s'étendant du faubourg Saint-Honoré à celui de Saint-Antoine, du faubourg Saint-Denis à celui de Saint-Michel. À leur gauche, les navigateurs aériens voyaient "un champ de boue au terrain rude et inégal disloquant les plus solides carrosses, éreintant les chevaux et anéantissant les piétons". C'étaient les Champs-Elysées.
Un drame se jouait à bord du ballon. Le marquis d'Arlandes venait de s'apercevoir que la nacelle était toute piquetée de trous.
La toile avait pris feu! Il fallait descendre!
"En même temps, je pris mon éponge; j'éteignis aisément le peu de feu qui minait quelques-uns des trous que je pus atteindre; mais, m'étant aperçu qu'en appuyant pour essayer si le bas de la toile tenait bien au cercle, elle s'en détachait très facilement, je répétai à mon compagnon : Il faut descendre.
C'est vers Notre-Dame que le vent du nord-ouest poussait maintenant le globe. Bientôt, son ombre se profilait sur les tours de la basilique dont les plates-formes étaient noires de monde. Les deux aéronautes enfournaient de nouvelles bottes de paille et la montgolfière changeait de cap.
Bientôt apparaissait au-dessous des aéronautes, tantôt ruisseau, tantôt lac, la Bièvre, un
ruban d'argent serpentant entre des jardins potagers et des guinguettes, avant de longer la manufacture royale de tapisserie à qui les frères Gobelin avaient donné leur nom. Le boulevard Saint-Jacques était franchi à faible altitude.
"Attention, nous allons donner sur les moulins!", a crié Pilâtre de Rozier.
Les moulins du Petit-Gentilly étaient frôlés de justesse. Arlandes a pris une botte de paille et l'a secouée pour l'enflammer plus vivement. Le ballon s'est relevé et un courant l'a porté sur la gauche.
L'aérostat s'est posé paisiblement entre le moulin des Merveilles et le Moulin-Vieux, distants d'une centaine de toises. Non sans difficultés, les premiers navigateurs aériens se sont dégagés de l'enveloppe qui, dégonflée, avait recouvert les deux petites nacelles.
Il était 14h19. Le voyage avait duré vingt-cinq minutes.
Le marquis d'Arlandes s'est hâté de trouver un cheval et a galopé vers la Muette où allait être établi le procès-verbal de la journée héroïque. On l'a accueilli "avec des pleurs de joie et d'ivresse", car verser des torrents de larmes était alors à la mode.
Cependant, un grincheux a haussé les épaules et s'est tourné vers un vieillard aux longs cheveux blancs et à l'habillement étrange.
"A quoi, monsieur, peuvent servir les ballons ?", a-t-il demandé.
Le vieillard a regardé le grincheux et a répondu en souriant philosophiquement :
"Monsieur, à quoi peut servir l'enfant qui vient de naître?"
Le vieillard s'appelait Benjamin Franklin.
(1) Louis XIV et Louise de la Vallière : La Passion Ignorée du Roi Soleil
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