Nabonide : le dernier souverain indépendant de Babylone et le premier archéologue de l'histoire
Quel étrange personnage que ce Nabonide (556-539 av. notre ère). Il fut singulièrement différent de tous ses prédécesseurs qui régnèrent sur le royaume de Babylone et il en fut le dernier souverain indépendant. Après lui, Perses, Macédoniens, Grecs et Parthes se partageront le trône babylonien ainsi que son rayonnement culturel et historique jusqu’à sa totale destruction aux premières heures de l’ère chrétienne. Chose exceptionnelle pour Nabonide, il fut confondu avec son ancêtre Nabuchodonosor dans la Bible et connut ainsi, grâce au récit de l’Ancien Testament et notamment du Livre de Daniel, une certaine éternité dans la mémoire des hommes - toute relative il faut bien l’avouer. Aujourd’hui, les sources épigraphiques et archéologiques ont révélé la véritable histoire de ce « roi maudit » qui avait abandonné sa cité plusieurs années pour se vouer au dieu lune Sîn et... à l'archéologie !
Nabonide était un roi. Et comme tous les grands rois qui, depuis deux millénaires, régnaient sur Babylone, il se devait d'être à la hauteur. C'est ainsi que, non content d'être le représentant du dieu tutélaire du panthéon mésopotamien, le grand Marduk, ou encore celui qui veillait à la réussite d'un royaume considéré comme gigantesque pour l'époque, Nabonide se revendiquait d'être un lettré et un scientifique. N'en déplaisait aux érudits qui connaissaient tout - ou qui croyaient tout connaître - le roi de Babylone considérait que c'est en fouillant le passé que l'on construisait un présent prospère. Loin de lui l'idée selon laquelle il fallait toujours douter de tout - comme un philosophe - pour comprendre le monde dans lequel il vivait, Nabonide passait le plus clair de son temps la tête dans la lune et … dans le sol. Car il était non seulement un adorateur du dieu lune Sîn mais également un passionné d'archéologie ! Nabonide considérait cette discipline comme instructive et révélatrice du monde passé. Mais plus que cela, le roi de Babylone n'hésita pas à faire de l'archéologie une passion qui le poussera notamment en 552 à s'exiler dans la lointaine Arabie, au sein de l'oasis de Taima dans la région du Hedjaz. Pour autant, le roi babylonien suivait une logique à la fois érudite et politique car il prenait soin de bien choisir les bâtiments anciens dont il voulait connaître le passé.
Jamais Nabonide ne choisissait de vieilles maisons ou même de petits palais : l'ensemble de ses fouilles se concentrait sur des bâtiments à caractère religieux comme des temples ou des autels anciens. L'architecture de terre qui composait l'ensemble des constructions mésopotamiennes depuis le VIIe millénaire se détériorait au fil du temps et de l'érosion lorsqu'elle n'était pas ou peu entretenue. Très croyant, le roi voulait acquérir les faveurs des dieux et du clergé en rebâtissant les temples tombés en décrépitude. Pour cela il valait mieux connaître le tracé et le plan d'origine ; donc aller chercher la source dans ses propres fondations, c'est-à-dire dans le sol. Installant de grands chantiers de fouilles dans tout le royaume, Nabonide s'entoura de spécialistes, d'historiens, de religieux, d'architectes et surtout de beaucoup de travailleurs afin d'aller chercher les premiers stades de constructions pour ensuite redonner aux temples leur splendeur passée. Car il ne s'agissait pas de raser l'ancien temple et d'en construire un avec une architecture « plus moderne ». Non ! Nabonide voulait reconstruire à l'identique les temples et s'inscrire dans la tradition des rois régnant sur l'ancien monde suméro-akkadien.
J'imagine son émotion - telle que moi je l'aurais ressenti, foi d'ancien archéologue ! - lorsque les hommes du chantier lui apportaient les briques de fondations des bâtiments. En effet, il n'est pas inutile de rappeler que les rois qui ordonnaient la construction d'un temple, faisaient inscrire sur les briques de fondations leurs noms ainsi que des formules magiques sensées protéger l'infrastructure. Et les noms qu'il découvrit étaient légendaires et antérieurs d'au moins deux millénaires. C'est ainsi qu'il déclara après avoir fait fouiller l'ancien temple d'Enlil à Sippar :
- J'installai ses briques sur les fondation de Naram-Sîn, fils de Sargon, sans déborder ou être en retrait de l'épaisseur d'un doigt.
Nabonide alla jusqu'à reprendre la restauration du temple de Shamash à Larsa entreprise par Nabuchodonosor parce que celui-ci n'avait pas atteint les niveaux les plus anciens de fondations. Découvrant ainsi qu'Hammurabi - autre nom légendaire et surtout véritable fondateur de la puissance babylonienne au XVIIIe siècle - avait rebâti le temple, Nabonide mit plus d'ardeur et d'empressement à cette restauration qu'il imputa à la grandeur de Marduk qui voyait en lui un grand successeur du grand Hammurabi ! Ce fait révèle également la maîtrise de l'art stratigraphique par les ingénieurs du roi : ils avaient la connaissance de la chronologie et des listes dynastiques et pouvaient donc interpréter les différentes couches archéologiques qui s'ouvraient dans le sol. Ne voulant usurper ses « ancêtres bâtisseurs », Nabonide reposait à l'identique les briques de fondations inscrites, se permettant juste de recouvrir ces dernières par des briques à son nom. L'archéologie moderne a prouvé les dires du roi babylonien, révélant au passage que ses travaux descendirent parfois à près de 17 mètres de profondeur.
Cette passion pour le passé et la rénovation des monuments anciens fut cependant exacerbée par le clergé du royaume qui fabriqua, sans aucun scrupule, des faux documents de fondations dans le but d'intéresser le roi de Babylone aux bâtiments en question et d'obtenir de l'argent pour leur reconstruction. C'est le cas d'un faux document de donation que l'on présenta au roi comme étant de Manishtusu (XXIIIe siècle) qui imposa à Nabonide de restaurer d'autres bâtiments religieux de la cité de Sippar !
Nabonide reste un roi étrange. Mon sentiment pour lui est mitigé. Autant je l'admire pour sa science et le fait qu'il soit reconnu comme le premier archéologue de notre histoire... autant il m'indispose d'avoir été le dernier représentant d'une Babylone libre. Et oui, un historien peut avoir des états d'âme !
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