Le siège de Byzance par Philippe de Macédoine ou l'origine du croissant de lune musulman
Hiver 340 av. notre ère. Le froid gèle les corps des défenseurs de la ville de Byzance. Cette cité, à l'avenir impérial, n'est alors qu'une simple cité marchande idéalement placée sur le détroit du Bosphore qui permet aux eaux de la Méditerranée de pénétrer dans le pont Euxin - ancien nom de la Mer Noire. Soumise aux influences perses et athéniennes, Byzance devient un enjeu crucial pour la puissance montante du IVe siècle : La Macédoine. Vous imaginez déjà Alexandre le Grand surgissant avec son armée et du haut du gigantesque Bucéphale, prendre d'assaut la ville et la soumettre. Or, il faut savoir rendre à César ce qui lui appartient : en 340, Alexandre n'a que 16 ans et le roi de Macédoine, celui qui a apporté la stabilité et la puissance à ce petit royaume au nord de la Grèce, est son père, Philippe.
Philippe est un grand roi. Guerrier autant que cultivé, il n'a de cesse de vouloir faire accepter la Macédoine parmi le cercle fermé des hellénisés. Il prend alors à son compte la volonté de réunir les grecs dans une « croisade » panhellénique contre l'oppresseur et voisin : la Perse. A cette période le Grand Roi Perse Artaxerxès III domine le monde. Ses frontières commencent de l'Inde pour finir à l’Égypte. L’Anatolie, qui fourmille de cités anciennement créées par des colons grecs - et à l’époque toujours de culture grecque - complète la frontière. Appartiennent à ce Roi toutes les régions entre ces trois frontières : la Mésopotamie, le Levant et l’Iran. Qu'est-ce que la Macédoine face à cette puissance ? Un petit royaume au nord de la Grèce qui parvient difficilement à maintenir une cohésion et sa domination militaire sur la Grèce. Si nous résumons bien, c'est la souris contre... le lion. Mais la souris est habile, agile et audacieuse. Elle a surtout besoin de se créer une frontière commune avec l'empire Perse et d'avoir un accès à la mer. Philippe pointe du doigt deux cités indépendantes sur la carte : Périnthe et Byzance.
Les sièges débutent dès le début de l'été 340. Périnthe résiste. Contrôlant néanmoins la situation, Philippe met au devant du danger son fils Alexandre pour la première fois. A 16 ans, le jeune homme montre déjà quelques dispositions pour l'art de la guerre et impressionne son père. Philippe le renvoie en Macédoine avec l’honorifique charge de régent du royaume. Nul ne doute, en connaissant la suite de sa vie, combien Alexandre a aimé ses premiers jours passés comme soldat ! Philippe lève le siège. Ce n'est pas pour autant une défaite ! Périnthe est à présent terriblement affaiblie et ne se risquera pas à fomenter une quelconque attaque ni même à se rebeller contre la Macédoine. En ligne de mire désormais : Byzance.
Philippe installe ses troupes et commence le siège. Devant les murailles, les macédoniens patientent. Les habitants de la cité se tournent vers Athènes et demandent sa protection. L'orateur Démosthène harangue les athéniens de venir en aide à Byzance. Quelques temps plus tôt, il avait même réussi à faire envoyer par la cité une délégation au Grand Roi pour le prévenir de la menace macédonienne. Les perses en riront... pendant encore six ans, jusqu'au déclenchement de l'invasion de l'empire par le fils prodigue de Philippe. Le général athénien Phocion est tout de même envoyé sur place. La situation devient vite inextricable pour les deux camps. D'abord pour Philippe qui perd un temps précieux et pour Byzance dont le blocus est alourdi par la prise par les macédoniens de plusieurs centaines de navires marchands censés ravitailler la ville en siège. Nous sommes maintenant en hiver et le roi Macédonien décide d'accélérer le mouvement.
Par une nuit très froide, à peine éclairée par un croissant de lune, Philippe amène ses troupes jusqu'aux remparts. L'opération se fait dans le plus grand silence, le but étant de prendre par surprise la garde byzantine endormie par l'heure tardive et engourdie par le froid. Philippe a-t-il pris le temps d’interroger les dieux quant à la réussite de son audacieux projet ? Il semblerait que non, car sa tentative est un fiasco ! La faute à qui ? Mettons-nous à la place de ces braves byzantins expliquant comment ils ont réussi à déjouer les plans macédoniens :
« Rien n'apparaissait à l'horizon. Les feux du camp macédonien étaient toujours allumés comme toutes les nuits depuis cinq mois. Nos gardes faisaient leurs tours de garde, ne percevant rien ni dans l'air ni sur terre de ce qui se tramait juste en-dessous d'eux. Le plan consiste à profiter habilement des ténèbres pour s'emparer de notre cité. Mais voilà que dans la nuit noire où brillent les étoiles et un quart de la lune, un rayon lumineux traverse le ciel et révèle les positions macédoniennes. Pourtant il est trop tard pour sonner l'alarme car les troupes ennemies, accompagnées d'échelles et de béliers, sont prêtes à prendre d'assaut la muraille. C'est là que le prodige a lieu. Tous les chiens de la cité se mettent à aboyer de concert, comme poussés par une force mystique. Réveillés, tous les défenseurs armés se sont alors penchés avec des torches du haut des murailles pour apercevoir puis combattre les armées macédoniennes. Partout dans la cité, les hommes racontent que seule une divinité a pu intervenir de la sorte et que c'était Hécate qui, en secouant sa torche dans le ciel, a fait aboyer les chiens. Et nous avons repoussé l'assaut !»
L’interprétation du prodige est difficile. L'explication la plus rationnelle du phénomène optique peut être interprétée par un bolide ou une météorite. Sa traversée du ciel peut être interprétée comme l'agitation de la fameuse torche d’Hécate. Cette dernière, déesse de la lune, dont les propriétés divines ont changé au cours des siècles, passant de la fertilité à la mort, reçoit en offrande des chiens car ceux-ci hurlent à la vue de la lune. Or, les chiens byzantins ont tous réagi au phénomène et ont non seulement réveillé l’ensemble des garnisons de défense de la cité, mais ont surtout donné du courage à celles-ci en conférant une aura mystique à leur combat. Philippe abandonne finalement et doit battre en retraite quelques mois plus tard devant le général Phocion.
L'histoire se termine-t-elle ainsi ? Non car tout a une suite. Byzance, consciente d'avoir évité le pire, va vouer un véritable culte à la déesse Hécate en faisant du croissant de lune l’éternel symbole de la cité. Symbole d'une victoire et d'une indépendance de courte durée car, quatre ans plus tard, Byzance se soumettra sans résistance devant l'invincible Alexandre, alors que Phocion deviendra un grand ami du nouveau souverain de Macédoine.
Désormais flotteront sur les murailles, les palais et les toits, les drapeaux de la ville frappés du croissant de lune d'Hécate. Ce symbole restera encore celui de Byzance lorsque sept siècles plus tard elle prendra le nouveau nom de Constantinople ; et de même après que l’ancienne capitale de l'empire romain d'Orient deviendra Istanbul et un grand centre de l'Islam : voilà comment le croissant de lune de la déesse Hécate - culte polythéiste - devint par ricochet un des plus puissants symboles de la foi mahométane et l’emblème de plusieurs drapeaux de pays musulmans aujourd’hui !
Image: Déesse Hécate agitant ses torches
Drapeau Turc
Drapeau Algérien
Drapeau Tunisien
Bonjour,
RépondreSupprimerJe travaille sur une thèse en archéologie et m'intéresse plus particulièrement à l'iconographie royale nubienne, fortement influencée par la civilisation byzantine.
Je ne savais pas que le croissant de lune était l'un des symboles de Byzance.
Pourriez-vous m'indiquer des références bibliographiques à ce sujet ?
Bien cordialement,
Magdalena Wozniak