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Le Pape Formose : Histoire, Hérésie, Procès Posthume ou le Concile Cadavérique

En 896, le Vatican a été le théâtre d'une scène tout droit sortie d'un roman fantastique. Le pape Étienne VI a ordonné l'exhumation du cadavre de son prédécesseur, le pape Formose, pour un procès posthume - une situation inédite dans l'histoire de l'Église catholique. Cet événement, connu sous le nom de « Synodus Horrenda », « Synode Cadavérique » plus communément appelé « Concile Cadavérique », a été marqué par une série d'événements aussi scandaleux qu'étranges. Plongeons dans l'histoire de cette époque tumultueuse et les enjeux majeurs qui ont animé ces années sombres.

 

Formose deviendra pape en 891 après une longue carrière dans l'Église. Originaire de Corse, né vers 816, il est devenu cardinal évêque de Porto en 864 puis Légat (diplomate) de Bulgarie. Dès 872, il se présente pour l’élection à la mandature suprême. Mais il avait d’autres cordes à son arc. En effet, outre les traditionnels troubles politiques Formose a été aussi reconnu coupable de plusieurs exactions, fort peu catholiques, comme des pillages et autres vols. Ainsi, fuyant Rome troublée pour Tours pendant la lutte du titre impérial entre Charles le Chauve et son frère Louis le Germanique, il fait piller les cloîtres de Rome pour financer ses futures expéditions et son train de vie. Excommunié par le pape Jean VIII en 876, il abandonne toutes ses charges sacerdotales contre la fin de sa sentence.

 

Y aurait-il des liens entre politique et grand banditisme ?

 

Retournant en Bulgarie, il se servit de ses relations pour de nouveau peser dans la politique vaticane. Et cela a payé : le successeur de Jean VIII, Marinus Ier, le rétablit dans ses fonctions de cardinal en 883. 

 

La patience est mère de vertu. Il attendra patiemment 8 ans pour, enfin, coiffer la tiare papale.

 

Son pontificat a été marqué par des conflits politiques et des controverses, notamment avec les Carolingiens, qui étaient alors une puissante dynastie en Europe. Il est surtout un adversaire acharné de la famille de Guy de Spolète, éphémère empereur d’Occident (891-894) qui imposera au futur pape Formose la consécration de son fils Lambert comme héritier légitime à son empire. Il concocta une alliance avec Arnulf de Carinthie afin de combattre Guy et détruire toute légitimité de lui et de sa famille au trône impérial. Arnulf connut le succès puisque Formose le consacra Empereur et ainsi détruisit les velléités de Lambert qui venait de succéder à son père.

 

Vous suivez ?

 

En tant que pape, Formose a cherché à consolider la puissance de l'Église catholique en une période de grand tumulte. Les invasions vikings, les luttes intestines pour le pouvoir et l'instabilité des dynasties européennes marquées par les distensions au sein de la grande famille Carolingienne, ont créé un climat d'incertitude et de peur. Enfin, il dut faire face aux innombrables incursions sarrasines qui pillèrent par leurs razzias, les côtes italiennes et notamment le Latium. Formose a travaillé sans relâche pour naviguer dans ces eaux troubles, cherchant à établir des alliances stratégiques et à promouvoir la mission de l'Église. Et comme toujours, ses ambitions n’ont pas toujours été teintées de succès.

 

Mais c’est la rancœur de Lambert qui lui vaudra les gémonies du nouveau pape. 

 

Après sa mort en 896, Boniface VI est élu… pendant 15 jours. La goutte a eu raison du nouveau vicaire du Christ. Etienne VI, fraichement élu grâce au soutien politique et économique d’Ageltrude de Bénévent, mère de Lambert qui retrouve son titre en 897 après la mort d’Arnulf, annonce en grande pompe le procès de Formose mort depuis un an.

 

On sortit alors le corps en décomposition, on l’habilla des habits papaux et on le plaça sur le siège papal de manière que le corps soit immobile. Magnanime, on lui permit de se faire représenter par un « avocat » qui parlait, et on comprend bien pourquoi, à sa place !

 

Étienne VI, connu pour son caractère impétueux et sa détermination à asseoir son autorité, a porté des accusations sévères contre Formose. Il a affirmé que Formose avait enfreint les lois de l'Église en devenant évêque de Rome alors qu'il était devenu laïc après son excommunication. On rappela ses méfaits et ses pillages. Après un "interrogatoire" intense, Formose a été jugé coupable et condamné à la damnatio memoriae (condamnation à l’oubli). Les doigts de sa main droite, qu'il avait utilisés pour donner des bénédictions pendant son pontificat, ont été coupés. Ses ordinations et autres décrets furent annulés. Son corps a été dépouillé des ornements pontificaux et jeté dans le Tibre. 

 

Cependant, l'histoire ne s'arrête pas là. Le sort posthume de Formose n'a pas été accepté par tous. 

 

A la suite de cet étrange procès, la foule romaine, rameutée et probablement excitée par les anciens partisans de Formose (notamment ceux qui venaient de perdre leur ordination) investirent la cour papale et Etienne VI fut… étranglé ! 

 

Théodore II, successeur d’Étienne VI après sa mort brutale, a jugé le traitement réservé à Formose inacceptable. Il a ordonné que le corps de Formose soit récupéré du Tibre et réinhumé avec tous les honneurs dus à un pape. De plus, les ordinations effectuées par Formose, qui avaient été annulées par Étienne, ont été rétablies. 

 

Pour terminer sur une anecdote. 

 

Preuve qu’Etienne VI agissait sous l’impulsivité de ses sentiments et non de sa raison. Il devait son ordination d’évêque d’Agnani à… Formose lui-même. La condamnation de Formose rendait donc instantanément caduc les accusations et le pouvoir même d’Etienne VI puisque de ce fait, il ne devait plus être pape !

 

« Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît point ». Etienne ne pouvait méditer cet aphorisme qui lui aurait bien rendu des services puisqu’il fallut attendre Pascal, 700 ans plus tard, pour le voir révéler au monde.


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