Aux origines des ziggourats ? Le monument sacré de Mari, possible précurseur mésopotamien

Scène animée dans une rue de Mari vers 2600 av. J.-C., avec des marchands en kaunakès, une femme agenouillée au premier plan, et une ziggourat en arrière-plan.

La plus ancienne ziggourat connue, découverte à Mari en Syrie, relance le débat sur les origines de l’architecture sacrée mésopotamienne.

Une tour venue du Nord

Le désert syrien se souvient. Sous les cieux calcinés de la Moyenne Euphrate, dans une plaine poussiéreuse où les pierres parlent plus fort que les hommes, les ruines de Mari attendent, figées dans le silence. Là, sur le tell de Hariri, au croisement des routes de cuivre et des dieux, une découverte inattendue bouleversa les certitudes des archéologues. Une tour à étages, monumentale, oubliée, et peut-être fondatrice. Une anomalie majestueuse, dressée bien avant les ziggourats classiques de la Basse Mésopotamie. Comme une mémoire qui affleure, un pan oublié de l’histoire.

En 2008, l’archéologue Pascal Butterlin et son équipe, alors en mission sur le site de Mari, mirent au jour les fondations d’un édifice sacré. L’architecture, faite de briques crues, évoquait irrésistiblement les ziggourats sumériennes : base rectangulaire, élévation en gradins, murs rythmés d’alternances de creux et de saillies. Le site, fouillé stratigraphiquement, révéla plusieurs phases de construction successives. La plus ancienne fut datée d’environ 2600 avant notre ère — soit plusieurs siècles avant la célèbre ziggourat d’Ur, attribuée à Ur-Nammu, qui fut bâtie vers 2100 av. J.-C. Une antériorité frappante, bien que le terme “ziggourat” ne figure pas explicitement dans les inscriptions de Mari : c’est plutôt le mot sahuru qui est utilisé. Ce terme, dont la signification exacte demeure discutée, semble désigner une structure rituelle à étages, probablement comparable, sinon identique dans sa fonction symbolique, à une ziggourat.

La scène de sa découverte est digne d’un roman. Sous une couche de gravats effondrés, un archéologue brosse la terre lentement. Le métal ancien affleure. Une forme. Une tablette en bronze, intacte, couverte de signes cunéiformes d’une netteté saisissante. Il y est fait mention d’un roi, Apil-Kin, d’un édifice consacré, et du terme sahuru. Dans le camp de fouille, l’effervescence est immédiate. On comprend alors que ce que l’on avait cru être une plateforme était bien davantage : une ziggourat, une tour à degrés dédiée aux dieux, bien au nord des terres sumériennes, et bien avant celles connues jusqu’ici.

La cité de Mari : carrefour des dieux et des hommes

Avant même d’évoquer la tour, il faut faire revivre la cité qui l’abritait. Mari, vers 2600, était une ville brillante et stratégiquement située. Entourée de remparts en briques crues et de vastes canaux d’irrigation, elle contrôlait les voies commerciales entre la Haute Mésopotamie et les royaumes d’Elam et d’Anatolie. Le palais royal, immense et labyrinthique, comptait plus de 300 pièces réparties autour de cours intérieures, de salles d’audience et de sanctuaires. Les murs, autrefois peints de fresques éclatantes représentant les dieux, les processions et les sacrifices, faisaient scintiller le pouvoir royal dans la lumière du levant.

Dans les ruelles animées, les scribes gravaient sur leurs tablettes les comptes des marchands, les présages célestes ou les décisions de justice. Les échoppes proposaient des onguents venus du Zagros, du vin syrien, des étoffes de laine tissées par les femmes de la cité. Des prêtres circulaient entre les temples, et des offrandes étaient déposées dans les cours sacrées aux pieds de statues d’argile représentant Ishtar, Shamash ou Dagan. C’est dans ce monde vibrant que la ziggourat de Mari s’éleva.

Mari n’est pas née du hasard. Fondée vers 2900 avant notre ère, au tout début de l’époque des dynasties archaïques mésopotamiennes, elle fut construite volontairement au bord de l’Euphrate, à un point stratégique de passage entre le Levant et la Basse Mésopotamie. Il ne s’agissait pas, comme souvent ailleurs, d’un tell recouvrant plusieurs siècles d’occupation superposée, mais d’une fondation ex nihilo, pensée, organisée, géométrique.

Dès ses débuts, Mari s’imposa comme un centre commercial de premier ordre. Vers 2500, Mari connut une première apogée sous une dynastie locale indépendante. Puis, à la suite de conflits mal documentés, elle fut prise par des rois du Sud, notamment ceux de Kish. Mais elle retrouva vite son autonomie, sous des souverains puissants tels qu’Ikun-Shamash ou Išqi-Mari. C’est à cette époque que fut entreprise la première version de la ziggourat.

Le destin de Mari bascula au XVIIIe siècle avant notre ère, lorsqu’elle atteignit son sommet sous le règne de Zimri-Lim. Ce roi érudit, qui fit restaurer le palais et l’orna de fresques splendides, entretint une correspondance diplomatique avec toute la Mésopotamie et au-delà. Sa capitale était devenue un modèle d’urbanité, un joyau de l’Orient antique. Pourtant, en 1760, Hammurabi de Babylone, son ancien allié devenu rival, marcha sur Mari. La ville fut incendiée, et ne s’en releva jamais.

Ce désastre eut un effet paradoxal : les archives royales, figées par l’incendie, se conservèrent presque intactes. Des milliers de tablettes, retrouvées au XXe siècle lors des fouilles françaises dirigées par André Parrot, ont permis de reconstituer la vie politique, économique, religieuse et même intime de cette cité.

Élever une montagne de briques

La structure de Mari est simple, sobre, mais massive. La base mesure près de 50 mètres de côté, les briques crues sont liées par du bitume, les murs présentent les fameux retraits et saillies caractéristiques du style mésopotamien. Deux étages sont attestés, et un troisième est probable. La ziggourat ne s’élevait pas seulement physiquement : elle dominait aussi symboliquement la ville, rendant visible l’ordre du monde et le lien entre le ciel et la terre.

Le chantier qui l’éleva fut titanesque. Des centaines d’ouvriers, des maçons, des porteurs d’eau, des bûcherons et des scribes s’activaient sur les flancs du tell. On modelait des briques à la main, dans le limon de l’Euphrate. On les faisait sécher au soleil, puis on les liait au bitume noirci et aux roseaux. Des rampes de bois permettaient de faire grimper les matériaux. Des prêtres bénissaient les fondations, des enfants chantaient des hymnes. Tout était rituel. Chaque étage, chaque couche, chaque marche était un acte de foi, un hommage à la divinité.

Un trône pour les dieux

Imaginons car ici nous ne pouvons pas savoir. Au sommet de la tour, dans la pénombre, la cérémonie du mariage sacré avait lieu une fois l’an. Le roi, parfumé, vêtu d’un manteau brodé de perles, gravissait lentement les marches. Là-haut, sous un dais de lin, l’attendait la prêtresse d’Ishtar. Elle portait une coiffe d’or, un collier de lapis-lazuli, et dans ses mains un vase rempli d’huile parfumée. Ils s’unissaient non en tant qu’humains, mais en tant que divinités incarnées. L’un devenait Dumuzi, l’autre Inanna. Le peuple attendait en bas, silencieux. Le lendemain, la bénédiction tombait sur la cité.

Ce type de rituel, connu dans les textes sous le nom de hiérogamie, n’était pas une simple métaphore : il incarnait l’harmonie cosmique. Le roi, en s’unissant à la déesse, assurait la fertilité des champs, la prospérité des troupeaux, la stabilité de la dynastie. La ziggourat, en tant qu’espace vertical reliant ciel et terre, matérialisait cet axe sacré, cet escalier invisible entre les sphères du monde.

Le silence des ruines

Depuis les années 2010, les méthodes de prospection magnétique, les drones et les relevés géophysiques ont permis d’affiner notre connaissance du site. Mais en 2012, les fouilles se sont arrêtées. La guerre en Syrie a englouti Mari sous un autre type de poussière, celle des conflits modernes. Le tell est aujourd’hui fermé, gardé parfois, souvent livré à lui-même. Le soleil y tape sur les briques fissurées. Le vent y fait danser des papiers plastiques là où jadis les rois invoquaient les dieux.

Il n’en reste pas moins que Mari constitue une anomalie précieuse. Son sahuru est à ce jour la structure rituelle à degrés la plus ancienne connue en Mésopotamie. Elle prouve que les marges du monde mésopotamien étaient bien plus dynamiques qu’on ne l’a longtemps cru. Qu’il n’y avait pas un centre et des satellites, mais des foyers multiples, des échanges riches, des hybridations fertiles.

Le sahuru de Mari, aujourd’hui englouti sous des tonnes de poussière, veille toujours. Il murmure aux archéologues qui passent, il appelle les chercheurs à dépasser les oppositions binaires : centre/périphérie, innovation/tradition, Sud/Nord. Il dit que l’histoire n’est jamais un fleuve tranquille, mais un delta foisonnant. Il dit que la tour de Babel, avant d’être un mythe de punition, fut une promesse : celle d’un monde où les peuples parlaient peut-être la même langue sacrée, celle de l’argile, du feu et du ciel.

Sources et bibliographie

Butterlin, Pascal. Histoire de la Mésopotamie : Dieux, héros et cités légendaires. Paris : Éditions Ellipses, 2019, 264 p.

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