La naissance des villes


En -8000, Çatal Höyük  en Turquie est un énorme bourg de 5.000 personnes réparties sur treize hectares entouré d’une enceinte. Cependant, ces attributs ne suffisent pas à définir une ville. Selon Jean-Louis Huot (La Naissance des cités 1990), la ville est un lieu d’échanges ouvert sur le monde et présentant des liens complexes sociaux. Jean-Claude Margueron enrichit cette définition en y incluant la diversification des tâches.

Plusieurs attributs servent à définir une ville. Tout d’abord, une ville présente un bâti dense organisé en fonction des types d’activités et hiérarchisé en fonction de la richesse et du pouvoir. Par exemple, Yanshi regroupe trois enceintes fortifiées : le palais et les élites, les ateliers et la population et les cimetières. Elle est également le lieu de la diversification des métiers. L’habitant se spécialise et devient un expert. Par se technicité, il peut s’élever dans la société. C’est le cas des métiers intellectuels (scribes, comptables, géomètres). Enfin, la ville appartient à une divinité protectrice, dont la présence se traduit par l’existence de temples et de prêtres. (Anu le ciel à Uruk, Ptah à Memphis). A la différence des villages ne recelant que des outils et des objets domestiques, les archéologues retrouvent dans les villes des objets de culte, des bijoux, de la céramique décorée et des objets en bronze.

En règle générale, les premières villes naissent sur les rives d’un fleuve (Nil, Tigre, Euphrate, Indus, Fleuve Jaune). Les fleuves offrent une faune et une flore riches, des terres fertiles, l’accès à l’eau et une voie de communication. Les premières villes s’élèvent au –IVe millénaire entre le Tigre et l’Euphrate. Fondée en -3500 en Irak, Uruk, est considéré comme la plus ancienne ville du monde.
Les conditions climatiques et les ressources naturelles n’auraient pas permis aux Mésopotamiens d’immigrer vers d’autres terres à la recherche de nouvelles ressources. Christophe Nicolle du CNRS conteste cette théorie, car la Mésopotamie de l’époque n’est pas aussi désertique qu’aujourd’hui. La croissance démographique aurait poussé à l’émergence des villes. L’essor démographique contraint les habitants à s’organiser dans les domaines social et politique. De plus, pour pérenniser l’accès à l’eau, les Sumériens construisent des canaux d’irrigation. De tels travaux sont impossibles sans une population mobilisée par une entité dirigeante. Cette nouvelle autorité doit gérer les stocks, constituer les réserves, comptabiliser et répartir les marchandises, anticiper les capacités. Heureusement que l’écriture est là pour aider à tout consigner. Pour faire accepter cet ordre social, l’autorité s’appuie sur les croyances religieuses. Le roi se pose en intermédiaire entre les humains et le divin. Il érige des temples et place la ville sous la tutelle d’une divinité protectrice. Ainsi, le dieu lune Manna protège Ur. L’espace urbain, ceint par une muraille, devient l’espace civilisé jouissant d’une protection divine.

L’urbanisation se diffuse du Proche-Orient en Grèce et en Afrique du Nord, puis à l’Europe par le bassin méditerranéen. Hiérakopolis est la première ville égyptienne. Située en Haute-Egypte, elle est fondée vers -3000 et constitue un carrefour commercial entre le désert (minerai), l’Afrique (ivoire, peaux) et le Levant (vins). Elle comprend un quartier religieux, une enceinte et des maisons de briques crues. La tablette du roi Narmer y a été retrouvée.
L’Europe non méditerranéenne, peuplée de Celtes, connait une urbanisation tardive. Les exploitations agricoles dominent le paysage, ce qui n’exclut pas l’existence de structures collectives. Il existe des regroupements agricoles ou artisanaux qui forment des bourgs. La véritable urbanisation des Celtes n’apparait qu’au –IIe siècle avec les oppida, ces agglomérations fortifiées regroupant toutes les catégories sociales.

Selon l’UNESCO, la plus ancienne ville d’Amérique est Caral au Pérou, fondée vers -3000. Néanmoins, cette décision est contestée par de nombreux archéologues qui voient dans Caral un grand complexe religieux, car il y a peu de résidences. Pour eux, la ville la plus ancienne est San Lorenzo au Mexique fondée en -1200 par les Olmèques, dont les ruines recèlent des habitations, des ateliers et des bâtiments religieux.
L’Afrique connait une urbanisation plus tardive. Les premiers regroupements de population importants datent du VIe siècle. Cependant, ces concentrations ne produisent pas de bâtiments publics, même si des spécialisations existent. Des villes, telles que Dia et Djenne au Mali prospèrent au Moyen Age avec le développement du commerce avec les Musulmans et l’Inde.

Certaines parties du globe ont échappé à l’urbanisation. L’Europe de l’Est, l’Asie centrale et l’Amérique du Nord sont peuplées de nomades. Ces peuples des steppes, qui pratiquent l’élevage et l’équitation ont opté pour une mobilité totale. De plus, la dimension guerrière du nomade constitue un modèle prestigieux aux yeux des autres civilisations. Etre un peuple nomade n’empêche pas l’existence de bourgs saisonniers comme celui de Kamansk en Ukraine.

Aujourd’hui, plus de 50% de la population mondiale est urbaine. Les villes ne cessent de s’agrandir en rognant sur des sites naturels ou des terres agricoles. Trente villes comptent plus de dix millions d’habitants. Les géographes les qualifient de mégapoles. 


Sources
Texte : Les Cahiers de Sciences et Vie : « Il y a 5500 ans : la naissance des villes ou l’invention de la civilisation », n°155, août 2015, pp 26 à 85.
Image : reconstitution de Çatal Höyük :  http://soocurious.com/fr/

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