Quand la folie s'empare de Charles VI : Retour sur les événements du bal des ardents
Combien de coups de folie a bien pu avoir Charles VI avant d'être surnommé « le fou » par ses contemporains jusqu'à nos jours ? Deux, si l'on en croit les sources historiques et les chroniques royales du XIVe siècle. Reprenons et posons les bases. Charles VI, fils de Charles V, est le roi de ce royaume que l'on nomme la France. Il est en guerre avec son voisin anglais pour la couronne et l'hégémonie sur ce royaume. Après plusieurs défaites, les Français ont repris la main, grâce notamment à des hommes comme Du Guesclin qui, en bon et efficace connétable de France, avait poussé les Anglais à la déroute à plusieurs reprises. Le règne de Charles VI, dans le prolongement de celui de son père, est une époque où l'on croit enfin que la France est dirigé par un souverain puissant et juste, capable d'administrer et de protéger au mieux son royaume... jusqu'au 5 août 1392. Ce jour là, dans la forêt du Mans, le roi est pris d'une crise de folie inexplicable et tue plusieurs de ses compagnons. Depuis, on le couve, on le ménage en espérant que la folie ne reviendra plus habiter son esprit.
28 janvier 1393, cinq petit mois après les faits. Le roi va bien. Son esprit est lucide. La crise de folie devient un souvenir douloureux mais il s'efface peu à peu des mémoires. Il est vrai que la coup de folie du Mans avait fait le tour du royaume... mais cela n'était probablement qu'un accident.... Le royaume se porte plutôt bien. Aussi le roi, avec sa cour autour de lui, festoie et s'amuse. Ce soir du 28 janvier, on prépare un bal à l'Hôtel Saint-Pol à Paris. Toute la journée, la fête a été à l'honneur. Tout le monde s'amuse, se guette, s'apostrophe tout en mangeant, en buvant et en riant. Les têtes tournent, les regards se croisent, les mains parfois se joignent jusqu’à l'entrée d'un maître de cérémonie. Il l'annonce : le bal va commencer. Le roi et ses familiers s'assoient sur une estrade au milieu des convives. Une lourde porte s'ouvre et on présente les artistes, les amuseurs, les musiciens. Conteurs, chanteurs, jongleurs, trompettistes et flûtistes, ils sont tous là. Un, deux, trois ! La musique commence et les festivités reprennent.
Mais voilà, on s'ennuie. « On », c'est la roi, qui se tourne vers quatre de ses plus proches amis. Il a une idée :
« Au diable ces enchevêtrements de sons que mon esprit ne peut remettre dans l'ordre. Toute la journée nous avons bu, mangé et chanté. Quelle monotonie ! Allons préparer quelques bouffonneries et relancer les rires qui se sont tus avec l'arrivée des musiciens.»
S’éclipse donc le roi, accompagné du comte de Joigny, Ogier de Nantouillet, Aymard de Poitiers et Yvain de Foix.
« Avez-vous vu ces dames, toutes coquettes dans leurs habits d'hiver ? dit le roi. Et ces hommes, aussi aventuriers que des serfs dans une forêt seigneuriale ? Nous allons réchauffer l'atmosphère en leur faisant une belle farce. Nous allons leur montrer des sauvages ! Les créatures les plus répugnantes au poil si long qu'on les confondrait avec des animaux ! J'en ai rencontré un l'été dernier dans la forêt du Mans, un vieillard barbu, sale et puant. Un vagabond qui racontait mille sornettes. »
Le roi est-il en train de se souvenir… ?
Charles VI donne ses ordres. Et tandis que ses camarades de jeu et lui-même se déshabillent, on leur apporte de la poix, des poils d'étoupe et des plumes. S'enduisant le corps entier de cette mixture à la fois collante par la poix et douce par les plumes, nos joyeux drilles ressemblent en effet à de grands oiseaux. Afin d’apparaître encore plus pitoyables, ils s’attachent tous... sauf le roi. Évidemment, malgré le jeu, voir le roi enchaîné - même déguisé en « sauvage » - ne peut être toléré ! Tout le monde a en mémoire le bon roi Jean II – son grand-père - fait prisonnier par les anglais à la bataille de Poitiers en 1356.
Le moment de leur entrée est proche. Le roi ordonne que les lumières soient abaissées afin que la pénombre obscurcisse les pupilles des invités. La chose faite, les cinq compagnons se glissent parmi l'assistance et soudain ils apparaissent, hurlant, criant et gesticulant tels de petits diables. Quelle stupeur ! Les femmes crient de peur et se réfugient derrière les hommes ou sautent dans leurs bras. Certains se mettent en position de défense. D'autres préfèrent fuir. Enfin, on finit par les reconnaître, ces diablotins ! Les humeurs se font moins froides, l'atmosphère se réchauffe et tout le monde se prend au jeu. Quel fou ce roi, croit-on plaisanter !
Mais voilà deux nouveaux invités : le frère du roi, le duc d'Orléans et l'oncle, le Duc du Berry. Ils n'ont pas attendu la soirée pour s'amuser. Ils titubent, sont rouges et les mots qui sortent de leur bouche sont aussi confus que les cris que poussent les « sauvages ». Le vin a déjà fait son œuvre. Il les a rendu aussi très curieux. Qui peuvent bien être ces drôles d'hommes à plumes qui harcèlent ainsi les convives ? La luminosité étant trop faible ou bien parce que l'ivresse rend sa vue défaillante, le duc du Berry s'empare d'une torche que tient un valet près de lui et s'approche d'un des énergumènes. Il s'avance, se rapproche de plus près. Rien à faire, il ne distingue rien. Alors il accoste un de ces hommes enchaînés. Il place la torche très près du visage... trop près : l'homme s'enflamme !
Le duc n'a-t-il donc pas remarqué la poix et les plumes, deux éléments très inflammables ? L'homme se débat tant qu'il peut. Mais voilà que les autres, reliés au malheureux par cette fatidique chaîne, s'embrasent à leur tour. Le roi, libre lui, mais placé non loin, reçoit à son tour quelques étincelles et brûle à son tour. Sa tante, la duchesse du Berry, se jette sur lui et dans un geste aussi spontané qu'il est réfléchi met le roi sous sa longue robe, ce qui a pour effet d'étouffer les flammes. Les autres ? Ogier de Nantouillet parvient à se libérer de sa chaîne et se jette désespéré dans une cuve d'eau croupie où on rinçait les verres. Yvain de Foix lui aussi libéré cherche désespérément de l'aide, mais ni les valets ni les chiffons mouillés ne parviendront à le sauver. Il en est de même des deux derniers infortunés.
Gravement brûlés, le visage et le corps sans chair, les os apparents, les compères en bouffonnerie du roi mourront quelques jours plus tard après avoir longtemps regretté d'avoir joué à un jeu de sauvage. Le roi ? Son esprit est tourmenté. Il revoit la scène des corps de ses compagnons bouger dans tous les sens et cherchant à se libérer de leur supplice. Il sent l'odeur de la chair brûlée. Il entend encore le crépitement des flammes au contact de la poix et des plumes. La folie revient. Il ne peut plus lutter. L'histoire se répand dans le royaume : « c'est en rencontrant un sauvage que, déjà, notre bon roi avait perdu l'esprit ! C'est en se déguisant en sauvage que la tragédie est de nouveau arrivée »
Charles VI s'enferme pendant des jours. Lorsque les portes de ses appartements s'entrouvrent enfin, c'est un homme perdu, à la raison vagabonde, qui apparaît. Désormais, le roi est un intermittent du pouvoir dont les crises de folies seront récurrentes. Et le royaume est de nouveau en danger...
Purée mais c'est tellement passionnant! Je suis en train de me refaire l'Histoire de France en entier, et cette folie de Charles VI est si intriguante! Le pauvre n'empêche. Si Freud avait existé à cette époque, il aurait pu l'aider peut-être?
RépondreSupprimerBonne continuation pour ce site.