Napoléon et Giuseppina Grassini : histoire d’une passion secrète entre pouvoir et musique
Napoléon, séducteur discret ? Découvrez la passion méconnue qui l’unit à Giuseppina Grassini, cantatrice célèbre et amante oubliée de l’Empire.
Le général et la cantatrice : naissance d’un trouble
Milan, printemps 1800. La lumière dorée du crépuscule glisse sur les façades de la cité lombarde, encore marquée par les conflits entre Français et Autrichiens. La Scala, joyau du théâtre italien, résonne d’applaudissements en cascade. Sur scène, une voix féminine enveloppe la salle d’une chaleur vibrante : celle de Giuseppina Grassini. Elle a vingt-trois ans, une beauté brune intense, et un charisme qui capte l’attention comme un rayon de soleil fend la brume. Dans l’ombre d’une loge, un homme reste debout, immobile. Ce n’est pas un simple mélomane, c’est le Premier Consul de la République française : Napoléon Bonaparte.
Ce soir-là, il ne salue pas la foule, ne se laisse pas distraire par les politesses diplomatiques. Il écoute. Il observe. Il devine déjà, peut-être, que cette femme n’est pas simplement une artiste. Qu’elle pourrait devenir une pièce du vaste échiquier de sa destinée. Pourtant, l’homme qui a franchi les Alpes dans le froid, qui a vaincu à Marengo, garde son sang-froid. Il reste silencieux, presque froid. L’Italienne, elle, comprend sans mot ce regard profond : un mélange d’admiration, de contrôle, et de promesses non dites.
Premiers frissons : entre stratégie et passion
Quelques années plus tôt, lors de sa première campagne d’Italie en 1796, le jeune général Bonaparte avait déjà entendu parler de Giuseppina Grassini. À l’époque, il brûlait de passion pour Joséphine de Beauharnais, l’épouse frivole mais envoûtante qui faisait battre son cœur en France. Le jeune Corse, alors auréolé de sa victoire à Lodi, s’était montré imperméable aux charmes de la cantatrice. Il n’avait pas cédé.
Mais l’Italie n’oublie jamais. Et cette femme non plus. Giuseppina avait compris, déjà, que cet homme n’était pas un général comme les autres. Elle avait lu dans ses gestes retenus un avenir impérial. Elle savait, au fond d’elle, qu’il reviendrait.
Il revient. Et cette fois, il ne résiste pas.
Une passion discrète sous le ciel de Paris
Lorsque Napoléon entre à nouveau triomphalement dans Milan en 1800, la ville l’acclame comme un héros. Giuseppina chante pour lui. Cette fois, il l’invite dans ses appartements. Le ton est donné. Le lendemain, elle partage son petit déjeuner avec lui. Le Premier Consul, prudent, lui recommande la plus grande discrétion. La France n’est plus en République turbulente, mais en marche vers un Empire. L’image de l’homme d’État doit rester intacte.
La relation devient réalité, mais elle se vit à l’ombre. À Paris, Giuseppina loge dans les cercles du pouvoir sans jamais en franchir les frontières officielles. Elle chante à la Malmaison, aux Tuileries, dans les salons les plus courus. Le public l’admire. Les courtisans la redoutent. Napoléon, lui, reste distant. Il est un homme d’ordre, de guerre, de lois. Le romantisme lui est étranger. Au lit comme à table, il ne s’attarde jamais.
Leurs rencontres sont brèves, réglées comme des manoeuvres militaires. Peu à peu, Giuseppina se lasse. Elle fréquente alors le violoniste Pierre Rode, dont elle devient la maîtresse. Ce changement de cap affectif, tout en demeurant discret, est bien connu des proches du pouvoir. L’amant de l’ombre remplace l’amant du trône.
Une amante libre face à un homme accaparé
Giuseppina s’ennuie. L’homme qu’elle a idéalisé, le géant de Marengo, se révèle froid, méthodique, presque mécanique. Il ne reste jamais plus de trente minutes en sa compagnie. Il mange vite, parle peu, travaille toujours. L’Italienne passionnée, habituée aux drames de l’opéra et aux effusions du cœur, peine à comprendre cette rigueur quasi militaire jusque dans l’intimité.
Elle quitte Paris. Puis revient. Puis repart. Une danse irrégulière, à l’image de cette liaison sans statut. Contrairement aux favorites officielles des rois d’Ancien Régime, elle n’obtient ni titre, ni demeure, ni place d’honneur. Elle reste dans l’entre-deux. Pourtant, elle aime vraiment. Un jour, attaquée par des bandits lors d’un déplacement, elle tente de sauver coûte que coûte un portrait de Napoléon qu’elle transporte avec elle. Le geste est absurde, mais éloquent. Elle est amoureuse.
Le choix de l’Empire, la fin d’une illusion
Lorsque Napoléon choisit de divorcer de Joséphine pour épouser Marie-Louise d’Autriche, c’est un choc pour beaucoup. Mais pour Giuseppina, c’est la confirmation que dans le cœur du futur empereur, il n’y a pas de place pour les passions durables. Seuls comptent les héritiers, les alliances, la stabilité. Le trône réclame un ventre fertile, non une voix envoûtante.
L’ancienne cantatrice quitte la scène parisienne. Mais elle ne quitte pas l’Histoire. Elle parcourt l’Europe, multiplie les succès artistiques. Son nom figure sur les affiches à Vienne, Berlin, Londres. Son charisme, lui, reste intact.
De Napoléon à Wellington : l’ironie du destin
L’histoire aurait pu s’arrêter là. Mais elle réserve encore un dernier coup de théâtre. En 1815, après la défaite de Waterloo, l’homme qui triomphe de Napoléon, le général britannique Arthur Wellesley, duc de Wellington, reçoit à Paris… Giuseppina Grassini. Elle chante pour lui. Elle charme, encore. Les langues se délient : on murmure qu’elle devient sa maîtresse.
Napoléon, reclus à Sainte-Hélène, apprend la nouvelle. Il n’est plus qu’un exilé, un prisonnier, un mythe en voie de figer. On lui rapporte la présence de son ancienne amante dans les bras de son vainqueur. Il aurait esquissé un sourire amer. Aurait-il ressenti de la jalousie ? De l’ironie ? Ou un simple regret mêlé de lassitude ? À ses compagnons d’exil, il aurait confié cette phrase : « Je préférais les blondes aux brunes. »
Cette déclaration, rapportée par Las Cases dans ses Mémoires de Sainte-Hélène, est sujette à caution. Aucun témoin ne la confirme, et certains historiens y voient un trait d’humeur plus qu’un aveu sincère. Mais elle dit, en creux, l’amertume d’un homme face aux souvenirs qu’il n’a su transformer en fidélité.
Une femme libre dans un monde d’hommes
L’histoire de Giuseppina Grassini n’est pas celle d’une favorite officielle. Elle ne fut ni la Madame de Pompadour de Napoléon, ni une comtesse du lit impérial. Elle fut une voix. Une étoile. Une femme libre, dans un siècle corseté.
Son destin croise celui des plus grands hommes de son temps – Napoléon, Wellington – sans jamais s’y fondre. Elle chante la victoire et la défaite, l’amour et la perte, l’Europe et ses bouleversements. Elle incarne une autre figure de la femme dans l’Empire : pas une épouse docile, pas une maîtresse décorative, mais une artiste, une amante, une conscience. Dans un monde où la musique adoucit les canons, elle fut l’intervalle entre deux batailles.
Et c’est peut-être pour cela que l’Histoire la retient encore aujourd’hui. Parce qu’au cœur du tumulte napoléonien, elle fut cette dissonance douce et brûlante, entre la conquête et le silence.
Sources et lectures complémentaires
- Arthur Pougin, Une cantatrice “amie” de Napoléon : Giuseppina Grassini, 1773-1850, Hachette-BNF, 2018.
- Hervé Dumont, Napoléon et l’Europe – Vie sentimentale et famille, 2020.
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