Mohenjo-Daro : l’incroyable cité oubliée de la civilisation de l’Indus révélée par l’archéologie

Explorez les mystères de Mohenjo-Daro, cité antique de l’Indus, à travers une enquête immersive mêlant découvertes archéologiques et énigmes non résolues.
Aux portes du Sindh : sur les traces de l’archéologue oublié
Le soleil rase les ruines brisées de Mohenjo-Daro lorsque le jeune archéologue Rakhaldas Banerji, en ce jour brûlant de 1924, retire une pierre sculptée d’un monticule poussiéreux. Il ne le sait pas encore, mais ce geste va réveiller l’une des plus grandes énigmes de l’histoire humaine. Devant lui s’étale, comme figée dans le temps, une cité perdue. Non pas un simple village, ni même une ville ordinaire. Mais une métropole planifiée, structurée, et mystérieusement silencieuse : Mohenjo-Daro, la « colline des morts ».
Le vent dessine des spirales de poussière autour de lui tandis que ses doigts effleurent les motifs d’un ancien sceau. Chaque geste résonne comme un écho dans le silence séculaire de la plaine.
Ce que Banerji vient de mettre au jour dans les plaines du Sindh, au Pakistan actuel, est le cœur d’une civilisation encore peu connue à l’époque : la civilisation de l’Indus. Entre 2600 et 1900 av. J.-C., ce monde étonnamment moderne a prospéré aux côtés de l’Égypte des pharaons et de la Mésopotamie des ziggourats… mais sans temples monumentaux identifiés, sans rois guerriers évidents, sans récits de conquêtes. Une civilisation dont la grandeur ne s’est jamais criée — mais se murmure encore à qui sait écouter.
À l’époque, nul ne soupçonnait l’existence d’une telle société en Asie du Sud. Ce n’est qu’avec les décennies suivantes que le nom de Mohenjo-Daro se fraiera une place aux côtés des grandes civilisations antiques.
Une ville sans roi, mais pas sans ordre
L’urbanisme, reflet d’une pensée collective
Ce qui frappe immédiatement à Mohenjo-Daro, c’est l’ordre. Un ordre calme, précis, méthodique. Les rues, perpendiculaires, dessinent un quadrillage presque moderne. Les habitations, en briques cuites toutes taillées à l’identique, témoignent d’un degré de standardisation stupéfiant. Chaque maison — ou presque — possède un puits privé, des canalisations, un système d’égout. Certaines ont même deux étages. Ce n’est pas l’œuvre du hasard, ni même celle d’un architecte unique : c’est l’expression d’un modèle sociétal collectif, profondément structuré.
Même les briques suivent une norme de proportions propre à la vallée de l’Indus : une proportion de 4:2:1, démontrant une précision artisanale impressionnante. Cela suggère une forme d’organisation ou de coordination centralisée, peut-être via des guildes ou une administration locale.
Le Grand Bain et les espaces publics
Au centre de la ville trône le Grand Bain, une immense cuve en briques, étanche, accessible par de larges escaliers. Était-ce un lieu de purification ? De rituels communautaires ? Démesuré pour l’époque, il est la plus grande structure publique découverte à Mohenjo-Daro. Toutefois, l’absence de texte rend son usage précis incertain, même si les hypothèses rituelles sont les plus probables.
Le Grand Bain aurait pu symboliser une purification collective, une forme de lien rituel au sein de la communauté. Son emplacement central semble souligner une fonction à la fois civique et sacrée.
Une culture sans affichage du pouvoir
Mohenjo-Daro ne révèle à ce jour ni sculptures de souverains, ni inscriptions glorifiant des conquêtes, ni fresques martiales. À la place : des sceaux en stéatite, gravés de figures animales — licornes stylisées, taureaux puissants — et de personnages assis en posture méditative. Une iconographie énigmatique, pacifique, presque introspective.
Même les bâtiments les plus vastes n’exhibent pas de signes de prestige personnel. Ce dépouillement architectural suggère peut-être que la distinction sociale se manifestait autrement, par la localisation des habitations, leur équipement ou leur proximité avec les infrastructures publiques.
Une hiérarchie discrète
Peut-on parler d’une civilisation sans hiérarchie forte ? Les chercheurs restent prudents. Des différences dans la taille et la disposition des maisons suggèrent des inégalités. Mais l’absence de symboles directs de domination rend l’organisation du pouvoir difficile à cerner.
Les hiérarchies ont pu s’exprimer par l’accès à l’eau, aux biens de prestige ou à certains métiers spécialisés. La nature même du pouvoir dans la civilisation de l’Indus reste donc une des grandes questions archéologiques actuelles.
Une énigme toujours vivante
L’écriture qui ne parle pas
La plus grande énigme de Mohenjo-Daro, c’est son silence écrit. L’écriture de l’Indus, retrouvée sur des centaines de sceaux et d’amulettes, reste indéchiffrée à ce jour. Composée de pictogrammes stylisés, elle est généralement brève — rarement plus de cinq caractères consécutifs — ce qui complique toute tentative de traduction.
Le nombre limité de signes — environ 400 — rend difficile l’identification d’un système linguistique complet. Des hypothèses la rapprochent du dravidien ancien ou de systèmes proto-élamites, sans qu’aucune preuve ne soit décisive.
Langage perdu ou code utilitaire ?
Certains chercheurs contemporains ont suggéré que cette écriture ne serait peut-être pas une langue complète, mais un système de signes proto-écrits, utilisés pour des inventaires ou des marques d’appartenance. Une sorte de langage codé, partiellement symbolique, lié aux pratiques économiques ou cultuelles.
Il est possible que ces symboles aient accompagné des échanges oraux, perdus à jamais, renforçant le rôle de la mémoire vivante dans la culture indusienne. Les motifs géométriques et animaux pourraient aussi refléter un langage visuel plus rituel que grammatical.
Une société connectée au monde
On a longtemps cru que la civilisation de l’Indus était isolée. Faux. Des sceaux indus ont été retrouvés à Ur et Lagash, en Mésopotamie. Des perles de lapis-lazuli du Badakhshan (Afghanistan) transitent par l’Indus avant d’atteindre Sumer. Des objets indiens ont été mis au jour dans les fouilles du golfe Persique. Mohenjo-Daro n’était pas un îlot, mais un nœud commercial régional, interconnecté avec l’Asie centrale, le golfe et la Mésopotamie.
Les ports de Lothal et Sutkagan Dor montrent une possible maîtrise des échanges maritimes. Le commerce pouvait s’effectuer par convois fluviaux, puis maritimes, via des réseaux organisés.
Un réseau sans empire
Cette mondialisation avant l’heure se passait sans empire connu. Les objets, les matières premières et peut-être même les idées circulaient dans un réseau souple, encore mal compris par les archéologues.
Ce modèle de développement, sans trace militaire, fascine. Il suggère que l’intégration économique et culturelle peut émerger sans conquêtes territoriales.
La disparition : lenteur, silence et climat
Une chute sans bruit
Contrairement à Troie incendiée ou Babylone conquise, Mohenjo-Daro ne montre pas de traces claires de destruction massive. Aucun char, aucune fortification violée, aucune couche de cendre ou de guerre. La ville semble avoir été abandonnée progressivement. Mais pourquoi ?
Des niveaux archéologiques montrent une dégradation progressive de la voirie, une saturation des égouts, et une désorganisation de l’espace. C’est un effondrement lent, diffus, non spectaculaire.
Les causes environnementales
Des études géoclimatiques récentes évoquent des variations violentes de la mousson dans le sous-continent indien vers 1900 av. J.-C. Trop d’eau à certains moments, puis sécheresse prolongée. Ces fluctuations auraient compromis les systèmes agricoles et hydrauliques.
Le fleuve Ghaggar-Hakra, probablement lié au légendaire Sarasvati védique, aurait tari peu à peu, modifiant les équilibres écologiques. Les cultures intensives seraient devenues intenables, forçant l’abandon des grands centres urbains.
D’autres pistes explorées
D’autres hypothèses évoquent des épidémies, la désintégration sociale, ou l’affaiblissement d’une autorité centrale si elle existait. Mais sans écriture lisible, tout reste sujet à débat.
Certains squelettes présentent des traces de traumatismes, mais ils sont trop rares pour soutenir une théorie de guerre ou d’invasion. L’absence de charniers ou d’incendie massif alimente l’idée d’un effacement lent plutôt que brutal.
Une lente dispersion
Des populations ont probablement migré vers l’est, vers la plaine du Gange, où de nouvelles cultures émergeront. Le souvenir matériel de Mohenjo-Daro, lui, s’enfouira peu à peu sous la poussière du temps.
Ce que Mohenjo-Daro nous murmure aujourd’hui
Une modernité troublante
Mohenjo-Daro frappe par sa familiarité. Systèmes d’assainissement, gestion collective de l’eau, organisation urbaine pensée pour le vivre-ensemble : cette ville semble dialoguer avec nos mégapoles modernes.
Les préoccupations de Mohenjo-Daro — accès à l’eau, gestion des déchets, équilibre social — résonnent avec les défis urbains du XXIe siècle. Sa conception nous rappelle que certaines réponses étaient déjà à l’œuvre il y a 4 000 ans.
Une civilisation sans mythe ?
À ce jour, aucun texte mythologique ou religieux n’a été retrouvé. Pas d’épopées, pas de généalogies divines. L’Indus semble avoir produit une culture sans mémoire écrite conservée — ou que nous ne savons pas encore lire. Peut-être des traditions orales circulaient, aujourd’hui perdues. Certains chercheurs pensent que des éléments de cette culture ont été absorbés dans les traditions ultérieures du sous-continent.
Un héritage en creux
Ce silence est troublant, mais il parle. Il nous pousse à réinterroger ce que nous appelons « civilisation » : est-ce la trace écrite, la pierre, ou l’organisation humaine ? Mohenjo-Daro nous invite à une autre définition. Les archéologues tentent de recomposer ce langage oublié, avec patience et respect, pièce par pièce, sans pouvoir toujours trancher entre le probable et l’imaginaire.
Un site en péril
Aujourd’hui, le site de Mohenjo-Daro est menacé. L’érosion naturelle, l’élévation de la nappe phréatique et les inondations régulières fragilisent les structures. Les interventions humaines, parfois maladroites, aggravent les choses. Le site est inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO, mais sans une politique active de conservation, il risque littéralement de s’effondrer. Une disparition lente… comme celle de la civilisation qu’il abrite.
Sources
- Ernest Mackay, La civilisation de l’Indus : Fouilles de Mohenjo-Daro et d’Harappa , Payot, 1936.
- UNESCO, Ruines archéologiques de Mohenjo Daro , Site officiel, 2024.
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