Michel-Ange et Léonard de Vinci : Pour la Gloire de Florence

Retournons dans cette magnifique période de la Renaissance. Florence, début du XVIe siècle. La lumière dorée du soleil toscan éclaire les rues pavées d’une ville où l’art est roi. Ici, dans cette cité effervescente, la République florentine et les puissants Médicis rivalisent pour célébrer leur grandeur. La peinture, la sculpture et l’architecture ne sont pas que des ornements : elles sont des armes de propagande, des manifestes politiques. C’est dans ce contexte incandescent que naît l’une des rivalités les plus célèbres de l’histoire de l’art, opposant deux titans : Léonard de Vinci et Michel-Ange Buonarroti.


Au tournant du siècle, Florence est bien plus qu’une ville prospère : c’est un bouillonnement d’idées et de créativité. Après la chute de Savonarole, l’austérité religieuse s’efface pour laisser place à une Renaissance triomphante. La République florentine, tout comme les mécènes Médicis, sait que l’art est un outil de prestige et de propagande. Léonard de Vinci, à 50 ans, est déjà une figure mythique. Il a peint des chefs-d’œuvre comme La Cène et La Joconde, des œuvres où il a capturé des émotions subtiles et des mystères insondables. Mais son perfectionnisme, son amour pour les expérimentations, et son incapacité à mener certains projets à leur terme commencent à entacher sa réputation. Michel-Ange, de son côté, n’a qu’une trentaine d’années, mais il est un météore. Son David, une sculpture colossale incarnant la puissance de Florence face à ses ennemis (Médicis à l’époque de son élaboration), est un triomphe. Sa Pietà, réalisée à Rome, a déjà marqué les esprits par sa tendresse et sa virtuosité. Impétueux, passionné et d’une ambition dévorante, il voit en Léonard un rival à surpasser coûte que coûte.

En 1503, la République de Florence propose une commande inédite : orner les murs de la majestueuse Salle des Cinq-Cents, au cœur du Palazzo Vecchio. Léonard et Michel-Ange sont choisis pour immortaliser deux victoires militaires emblématiques. Léonard se voit confier la Bataille d’Anghiari, une victoire de Florence sur Milan en 1440. Il doit représenter l’intensité et la gloire d’un affrontement militaire, capturant à la fois la stratégie et le chaos. Michel-Ange, quant à lui, reçoit la tâche de peindre la Bataille de Cascina, un épisode de 1364 où Florence triompha de Pise. Les deux fresques, placées face à face, devaient former une sorte de dialogue artistique et politique, exaltant la grandeur de Florence tout en confrontant les visions des deux maîtres.


L’affrontement ne se joue pas seulement sur les murs, mais aussi dans la philosophie et les méthodes.

Léonard, le visionnaire scientifique : Il adopte une approche intellectuelle, s’appuyant sur son obsession pour le mouvement et l’anatomie. Dans ses esquisses pour la Bataille d’Anghiari, les chevaux et les cavaliers semblent jaillir du papier, emportés dans une spirale de violence et de tension. Il expérimente une nouvelle technique à l’encaustique, mais le procédé échoue. Les pigments, au lieu de se fixer, s’écoulent et détruisent une grande partie de son travail.


Michel-Ange, le sculpteur peintre : Dans ses études pour la Bataille de Cascina, Michel-Ange explore le dynamisme des corps humains. Il représente des soldats surpris en pleine baignade, des muscles tendus par l’effort et la panique. Chaque ligne exalte la puissance physique et la lutte héroïque. Mais il abandonne le projet lorsqu’il est appelé à Rome pour travailler sur le tombeau du pape Jules II.


Au-delà des fresques, la rivalité entre Michel-Ange et Léonard est marquée par des confrontations personnelles. Tous deux sont des génies, mais leurs personnalités opposées nourrissent une animosité palpable. Léonard, élégant, réfléchi et courtois, méprise le tempérament orageux de Michel-Ange. Il le voit comme un jeune insolent, incapable de subtilité. Michel-Ange, en revanche, considère Léonard comme un vieillard arrogant, plus préoccupé par ses machines que par l’art véritable.


Une anecdote célèbre illustre cette tension. Alors que Léonard discute dans une rue de Florence, Michel-Ange l’interrompt pour le railler sur ses projets inachevés. Humilié, Léonard, habituellement maître de lui, quitte la scène sans répondre. Cet incident résume leur antagonisme : deux esprits trop grands pour cohabiter, deux égos démesurés.


La rivalité entre Michel-Ange et Léonard de Vinci au cœur de la Florence de la Renaissance évoque une autre confrontation légendaire : celle entre Hésiode et Homère (1), deux figures emblématiques de la poésie grecque antique. Cette analogie éclaire les divergences profondes entre les visions artistiques et philosophiques de ces duos de génies. Hésiode, auteur des Travaux et des Jours et de la Théogonie, se distingue par une approche didactique et pragmatique. Ses œuvres offrent des conseils pratiques sur la vie agricole et une généalogie des dieux, reflétant une vision ordonnée et morale du cosmos. En revanche, Homère, à travers l’Iliade et l’Odyssée, dépeint des épopées héroïques, célébrant les exploits des guerriers et les caprices des dieux, avec une emphase sur l'honneur, la gloire et le destin. Cette dichotomie se retrouve chez Michel-Ange et Léonard de Vinci. Léonard, polymathe et observateur minutieux de la nature, s'apparente à Homère par sa quête de compréhension des mystères de l'univers et de l'âme humaine. Ses œuvres, telles que La Cène et La Joconde, capturent des moments d'introspection et des émotions subtiles, transcendant le temps et l'espace. Michel-Ange, sculpteur et peintre passionné, rappelle Hésiode par son exaltation de la condition humaine et du travail acharné. Ses créations, comme le David et la fresque de la Chapelle Sixtine, mettent en avant la force physique, la lutte intérieure et la spiritualité intense.


Et alors? Comment les projets ont-ils été mis en place?


Léonard de Vinci, fidèle à son esprit d'innovation, a choisi une technique expérimentale pour réaliser sa fresque. Plutôt que de peindre à fresque traditionnelle (sur un enduit humide, ce qui nécessite une exécution rapide), il a opté pour une méthode à l'encaustique. Cette technique consistait à utiliser des pigments chauffés pour fixer les couleurs. Cependant, l’exécution a tourné au désastre. Léonard peignait directement sur le mur, mais la chaleur excessive utilisée pour sécher les pigments a provoqué des coulures et une altération des couleurs. Les témoins de l’époque décrivent les esquisses comme saisissantes, mais l’œuvre elle-même a été irrémédiablement endommagée avant même d’être terminée. Léonard, déçu et humilié, a abandonné le projet.


Michel-Ange, quant à lui, n’a jamais eu l’occasion de commencer véritablement sa fresque. Bien qu’il ait produit des études préparatoires spectaculaires, il a été appelé à Rome par le pape Jules II pour travailler sur des commandes plus prestigieuses, notamment le tombeau du pape et, par la suite, le plafond de la Chapelle Sixtine. Les esquisses de Michel-Ange pour la Bataille de Cascina étaient admirées pour leur puissance et leur réalisme. Ces dessins montrent des soldats surpris en train de se baigner, leurs corps tendus par la panique alors qu’ils sont attaqués. Ces études témoignent de son génie, mais la fresque elle-même n’a jamais vu le jour.

Après l’abandon des deux projets, la Salle des Cinq-Cents a été rénovée dans les années 1560 sous l’autorité de Giorgio Vasari, un artiste et architecte travaillant pour les Médicis. Vasari a recouvert les murs de nouvelles fresques, célébrant les triomphes militaires de la famille Médicis. Cependant, la fresque de Léonard, bien qu’incomplète et endommagée, aurait pu subsister sous les travaux de Vasari. Une théorie, avancée par des chercheurs modernes, suggère que Vasari aurait dissimulé une partie de la Bataille d’Anghiari derrière un mur supplémentaire, par respect pour Léonard. Cette hypothèse repose sur l’inscription "Cerca Trova" ("Cherchez et vous trouverez") visible sur une fresque de Vasari, qui pourrait indiquer un indice laissé volontairement. Malgré des explorations technologiques dans les années 2000, aucun fragment significatif de la fresque n’a été retrouvé. Quant à la fresque de Michel-Ange, elle n’a probablement jamais été esquissée sur les murs de la salle. Les dessins préparatoires, eux, ont survécu et ont été copiés par des artistes contemporains, contribuant à son héritage.


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