Soigner ses blessés : médecine et service médical
En 1861, ni le Nord, ni le Sud ne
sont préparés aux conséquences sanitaires d'une guerre moderne. Dès les
premiers affrontements importants, les Etats-majors sont dépassés par l'afflux
de blessés.
Les premières initiatives sont le
fruit d'associations caritatives. Elles organisent des campagnes de
sensibilisation pour lever des fonds en vue d'acheter du matériel. Au départ,
ces initiatives sont mal perçues par les instances dirigeantes de l'armée, car
elles sont menées par des civils et des femmes.
Dans le Nord, plusieurs
organisations non gouvernementales se mettent en place. L’une d’entre elle est
l'Association Féminine Centrale de Secours est créée (WCAR) fondé le 29 avril
1861. Il s'agit d'un collectif d'hommes et de femmes, présidé par Elizabeth
Blackwell, qui milite pour l'amélioration des conditions d'hygiène dans les
camps militaires. Cette association établit un programme de formation pour les
infirmières. La WCAR
s'adresse directement à Lincoln, qui cède et met en place le décret de création
de la Commission Sanitaire
des Etats-Unis. Henry Bellows, pasteur et féru de médecine, est élu comme
président. La Sanitaire
organise des ventes de charité et des fêtes pour réunir des fonds. Elle envoie
dans les camps des bandages, des médicaments, des vêtements et des vivres. Elle
apprend aux soldats à cuisiner, à s'approvisionner en eau et à construire des
latrines. La Sanitaire
acquiert une grande popularité auprès des soldats et une grande influence au
Congrès. Le 18 avril 1862, Lincoln nomme le chirurgien William Hammond,
recommandé par la Sanitaire ,
directeur du service de santé de l'armée.
Les mêmes organisations existent
dans le Sud, mais des proportions moindres. A partir de 1862, le comité de
Richmond regroupe des personnes inaptes au service. Financé par des riches
citoyens, il se charge du transport des blessés et de l'approvisionnement en
nourriture des hôpitaux.
Les premiers
soins sont donnés dans des infirmeries mobiles installées à proximité du champ
de bataille. De nombreux bâtiments publics et privés sont réquisitionnés pour
servir d'hôpitaux (granges, entrepôts, hôtels, écoles, églises, usines, etc...).
Les chirurgiens et les infirmiers prodiguent les premiers soins, stabilisent
les patients et réalisent les interventions d'urgence, avant de les évacuer à
l'arrière vers d'autres hôpitaux. Le docteur Jonathan Letterman, directeur des
services médicaux de l'armée du Potomac, introduit les hôpitaux préfabriqués
selon un modèle qui sera encore employé durant la Première guerre mondiale.
Ceux-ci regroupent les salles d'opérations et des postes de soins ventilés et
chauffés. A la fin de l'année 1861, les Confédérés établissent un département
médical sur ce modèle. L'hôpital de Chimborazo à Richmond regroupe 250
pavillons pouvant accueillir chacun une cinquantaine de patients.
A la veille de la guerre de
Sécession, l'armée des Etats-Unis comprend dans ses effectifs permanents, 30 chirurgiens et
83 adjoints, sous les ordres d'un chirurgien général (Surgeon general). Parmi
eux, 3 chirurgiens et 21 adjoints passent dans le camp sudiste. Ces effectifs,
insuffisants, sont étoffés à mesure que les deux camps lèvent de nouveaux
contingents, par l'embauche de nombreux contractuels. Leurs compétences sont
parfois limitées, voire contestables. Leurs confrères et les soldats ne les
voient pas toujours d'un très bon œil. Les soldats considèrent les médecins
comme des charlatans voire des bouchers.
A partir de l'été 1862, les deux
camps créent un corps spécial de brancardiers, composés des membres de la
fanfare et des soldats les moins aguerris sur le champ de bataille. Ils
reçoivent une formation et un entrainement pour évacuer les blessés rapidement
et durant les combats. Ils portent un uniforme particulier. Cette institution
sera reprise par les armées françaises et prussiennes lors de la guerre de
1870.
Un grand nombre de femmes passent
outre le préjugé, selon lequel les hôpitaux et la guerre ne sont pas des
endroits pour elles, et se portent bénévoles comme infirmière militaire. La
guerre de Sécession va transformer le rôle de l'infirmière, qui passe d'un
emploi subalterne à une profession reconnue. Les Américains s'inspirent de
l'organisation de Florence Nightingale pendant la Guerre de Crimée. A la fin
de la guerre, plus de 3.000 femmes sont employées comme infirmières militaires.
La médecine demeure
obscurantiste. Les médecins ne connaissent pas encore la théorie de
l'infection. Ils ne nettoient pas, ni ne stérilisent leurs instruments et leur
salle de travail. Ils n'ont aucune idée de l'existence des bactéries.
Contrairement à une idée répandue, les opérations sont effectuées sous
anesthésie. Les médecins utilisent du chloroforme. L'alcool, bien qu'utilisé
comme stimulant, ne rencontre pas l'unanimité parmi les médecins.
Le gouvernement fournit le
matériel médical. Chaque médecin Il le transporte dans un sac à dos en bois au
départ en osier par la suite. Il s'agit d'une boite à tiroirs pouvant peser
jusqu'à 9 kg .
En 1863, une valisette en cuir dotée d'une bandoulière le remplace. Divers
modèles de fourgons médicaux sont également conçus pour transporter les
produits pharmaceutiques et le matériel médical. Les chirurgiens sont
confrontés à de très nombreux cas inédits. . Ils remettent en question
certaines pratiques anciennes. Par exemple, la saignée est abandonnée. Les
traitements à l'opium, les diètes sont valorisés. Les méthodes de suture et de
trépanation s'améliorent. Les bases de la chirurgie reconstructrice sont
posées.
Les infections constituent les
complications les plus fréquentes. De nombreux blessés succombent de
septicémie. Les médecins redoutent davantage la gangrène. Ils sont conscients
que le manque d'hygiène en est la cause. Une fois la gangrène déclarée, le seul
traitement reste l'amputation.
De manière générale, les maladies
tuent plus que les balles et touchent aussi bien les soldats que les officiers.
C'est un facteur avec lequel il faut compter et qui peut expliquer des situations,
car elles peuvent bloquer des régiments entiers. La diarrhée et la dysenterie
sont les maladies les plus courantes du soldat. . Le paludisme, appelé malaria,
touche également plus d'un million de soldats des deux camps. Les deux armées
sont aussi confrontées périodiquement à des épidémies, comme la rougeole, les
oreillons, la scarlatine, la jaunisse. Les conditions de vie causent elles
aussi des maladies, pneumonies, rhumatismes, insolations, dépressions, sans
parler des méfaits de l'alcool.
Avant la guerre, aucune
disposition pour l'extraction des blessés n'existe. Tout type de transport et
de moyen est bon pour l'évacuation des victimes. Au Nord, les ingénieurs
inventent plusieurs types de voitures, telles la Wheeling et la Rucker. Le train s'avère
également un moyen efficace pour éloigner les blessés des zones de combat. Dans
un premier temps, l'armée utilise des wagons de marchandises. Leurs larges
portes permettent de monter et descendre les blessés sur leur brancard sans
avoir à les manipuler. En 1863, William Hammond, directeur du service de santé
de l'armée, met en place des trains hôpitaux. Il conserve les larges portes des
wagons et aménage à l'intérieur des couchettes, des sièges pour les infirmiers,
de réserves d'eau, de réchauds, de toilettes et de vestiaires. Une signalétique
précise permet de les identifier. D'une manière générale, les Confédérés les
respectent. Par ailleurs, les opérations sur le front Ouest, souvent fluviales,
montrent la nécessité d'avoir un dispositif d'évacuation par bateau.
Pour les quatre années de
conflit, le nombre des blessés est estimé à 535.000. Les Etats-Unis refondent
complètement le service de santé de l'armée et à la fin de la guerre tous les
problèmes ne sont pas réglés. A quelques exceptions près et avec des moyens
moindres, les Confédérés adoptent une organisation identique à celle de
l'Union. La guerre de Sécession engendre la création d'un corps d'infirmiers
professionnels où les femmes tiennent une part importante. Les associations
caritatives apparaissent dans le paysage public et politique. Elles aboutissent
à la fondation de la Croix Rouge
américaine.
La guerre de Sécession contribue
à des avancées dans le domaine médical. Les médecins sont confrontés à des
situations qui les amènent à s'intéresser davantage aux conditions d'hygiène et
à l'impact psychologique des combats (dépression, angoisse, folie). Ils
expérimentent la réduction des fractures, tentent les premières greffes de peau
et les premières reconstructions faciales. En 1883, paraissent les six volumes
de l'Histoire médicale et chirurgicale de
la guerre civile. Ils font le point sur les données recueillies durant les
quatre années du conflit et tirent des enseignements sur les pratiques
sanitaires, médicales, chirurgicales et l'organisation logistique.
Sources
Texte :
- Mc PHERSON James, La Guerre de Sécession, Robert Laffont, Paris,
1991, 952p.
- KEEGAN John, La Guerre de Sécession, Perrin, Paris, 2013
Image : L'intérieur d'une chambrée au Carver hospital,
Washington, D. C. (Brady National Photographic Art Gallery).
Commentaires
Enregistrer un commentaire