Héliogabale, l’empereur travesti de Rome : pouvoir, sexe et religion au IIIe siècle

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Les débordements d’Héliogabale, empereur syrien du IIIᵉ siècle, interrogent le genre, la religion et le pouvoir dans un Empire romain en pleine mutation.

Empereur androgène, culte solaire, scandales sexuels… Découvrez le règne flamboyant d’Héliogabale, figure unique de la Rome du IIIe siècle.

Une entrée en scène fracassante

Il n’avait que quatorze ans lorsqu’il monta sur le trône impérial de Rome, vêtu de soie orientale, le front ceint d’une couronne du dieu-soleil d’Émèse. Dans les rues de la Ville éternelle, les rumeurs précédaient déjà ce jeune garçon à la beauté androgyne : on le disait prêtre, danseur, efféminé… et même sorcier. Sextus Varius Avitus Bassianus, que l’histoire retiendra sous le nom d’Héliogabale, arrive à Rome en 219 ap. J.-C., après un coup d’État habilement orchestré par sa grand-mère Julia Maesa, ancienne favorite du palais impérial. Le jeune Syrien est proclamé empereur par les légions d’Orient en remplacement de l’austère Macrin, dont la politique frugale avait mécontenté l’armée.

On murmure qu’il descendrait à la fois des rois de Commagène et des empereurs sévères, bien que son sang syrien le rende suspect aux yeux des sénateurs romains. La propagande mise en place par sa famille le présente comme le fils spirituel de Caracalla, ce qui justifie sa légitimité auprès des légions. Cette opération dynastique, orchestrée par sa grand-mère Julia Maesa, révèle la puissance politique des femmes dans les coulisses du pouvoir impérial. Loin d’être un simple adolescent égaré, Héliogabale est un pion dans une guerre de succession menée avec brio par une dynastie orientale marginalisée.

Dès son arrivée, Héliogabale trouble l’ordre établi. Sa démarche est celle d’un danseur sacré, son visage est fardé, ses habits brodés d’or, et son entourage se compose non de généraux ou de sénateurs, mais de musiciens, eunuques, prêtres orientaux et... jeunes hommes aux physiques sculpturaux. Dans un Empire en crise, au bord du chaos, cette apparition presque irréelle cristallise la peur de l’altérité, du féminin, de l’Orient. Et pourtant, pendant quatre ans, Héliogabale va dominer Rome, la bousculer, la séduire et la provoquer. Ce règne, jugé parmi les plus décadents de l’histoire impériale, est aussi l’un des plus fascinants.

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Procession d’Héliogabale à Rome, entre lions, or et mysticisme.

Le prêtre au pouvoir

Héritier du culte d’Élagabal

Avant d’être empereur, Héliogabale était grand prêtre du dieu Élagabal à Émèse, en Syrie. Ce dieu solaire, probablement d’origine sémitique, était vénéré sous la forme d’une pierre noire conique – un bétyle – censée concentrer l’énergie divine. Le culte mêlait musique, danse, sacrifices et sexualité rituelle. Une fois à Rome, Héliogabale entend imposer son dieu au sommet du panthéon romain. Il fait transférer la pierre sacrée à Rome, érige un nouveau temple sur le Palatin – l’Elagabalium – et impose l’adoration de ce dieu solaire à tout l’Empire.

Ce transfert religieux marque une tentative sans précédent d’orientaliser le cœur même du pouvoir impérial, une démarche que seul un prince d’Émèse pouvait oser. Élagabal, divinité solaire d’inspiration probablement syro-phénicienne, était associé à la fertilité, à la lumière, et à l’ordre cosmique, mais aussi à des rites ésotériques difficilement acceptables pour les Romains. En installant cette divinité au-dessus de Jupiter, Héliogabale s’inscrit dans une volonté théocratique nouvelle, dans la lignée des souverains hellénistiques. Il faut voir dans cette manœuvre une ambition d’unification religieuse de l’Empire autour d’un monothéisme solaire, bien avant l’essor du christianisme.

Des rites dérangeants

Les cérémonies dirigées par Héliogabale sont flamboyantes, sensuelles, parfois choquantes. On parle de danses lascives, de musique assourdissante, de vêtements transparents portés par les prêtres. Le jeune empereur parade dans les rues de Rome avec sa pierre sacrée, en habits de prêtre syrien, accompagné de ses favoris. Les Romains, pourtant habitués aux cultes orientaux comme celui d’Isis ou de Mithra, perçoivent ces rites comme une agression.

Les descriptions des cérémonies indiquent une orchestration proche du théâtre sacré, mêlant sensualité, mysticisme et autorité divine. Certains historiens contemporains y voient une inspiration tirée du culte de Cybèle, autre divinité orientale, avec laquelle Élagabal partage des traits rituels. Héliogabale lui-même participait activement à ces processions, parfois dans des chars dorés traînés par des lions ou des éléphants. Ce spectacle permanent, qui bouleversait les codes de la pudeur romaine, ne relevait pas d’un simple caprice, mais d’une stratégie de domination symbolique.

Le travestissement comme pouvoir

Costumes, maquillage, genres confondus

Héliogabale ne se contente pas de bousculer la religion romaine. Il s’attaque aussi à l’un des fondements de la société : l’identité de genre. De nombreux chroniqueurs antiques – notamment l’historien grec Hérodien et le sénateur Dion Cassius – décrivent l’empereur portant des robes de soie, se maquillant les yeux et les joues, s’épilant soigneusement, et exigeant qu’on l’appelle « impératrice ». Dans les banquets, il se tient parmi les femmes, s’assoit comme elles, mange à leur manière, parle d’amour comme une épouse.

Ce jeu de genre, inacceptable pour les mentalités romaines, devient un outil de subversion sociale et politique. À travers ses métamorphoses corporelles, Héliogabale remet en cause la verticalité du pouvoir masculin romain, basé sur la virilité et la conquête. Il puise dans une tradition antique de figures sacrées androgynes, présentes dans plusieurs cultures méditerranéennes, comme les galles de Cybèle ou les prêtres d’Astarté. L’empereur semble vouloir faire de son corps un temple mouvant, un théâtre où se rejoue l’ordre divin à travers le trouble et la transgression.

Réclamation du genre féminin

Les sources rapportent qu’il demandait à être appelé « impératrice » plutôt qu’empereur. Ce geste, hautement subversif, interroge la fluidité du genre comme arme politique et revanche contre un monde romain rigide. Il aurait également pris pour époux plusieurs hommes, dont un certain Zoticus, célèbre pour sa beauté et son anatomie, que l’empereur affichait publiquement comme son "mari". Selon la tradition, il aurait écrit à des sénateurs en tant qu’"épouse impériale", choquant jusqu’aux plus libéraux des patriciens.

Les sources parlent aussi de son goût pour les bijoux, les perruques blondes, et les parfums orientaux, renforçant son image d'impératrice travestie. Certains chercheurs modernes y voient une anticipation des débats contemporains sur le genre, bien que le contexte historique soit évidemment très différent. Cette revendication féminine, dans un espace politique ultramasculin, peut être interprétée comme une réappropriation du pouvoir par les marges. En affirmant qu’il préférait "être une femme qu’un homme", Héliogabale soulignait une volonté de rupture totale avec la hiérarchie traditionnelle des sexes à Rome.

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Héliogabale, l’empereur travesti : entre scandale politique et subversion du genre à la cour romaine.

Mariages scandaleux et prostitution impériale

Épouses hors norme

Héliogabale aurait eu jusqu’à cinq épouses, alternant hommes et femmes. Sa première épouse, Julia Paula, noble romaine, fut répudiée rapidement. Il épousa ensuite Aquilia Severa, une vestale – sacrilège sans précédent – avant de s’unir à Annia Faustina, descendante de Marc Aurèle, pour se donner une légitimité dynastique. Le retour d’Aquilia dans son lit impérial symbolise la confusion volontaire des codes religieux et sociaux.

Le mariage avec Aquilia Severa, vestale au vœu d’abstinence sacré, aurait pu entraîner la peine de mort pour tous deux dans un autre contexte. Héliogabale justifie cette union comme une volonté d’unir le feu éternel de Vesta à la lumière d’Élagabal, créant une fusion symbolique unique entre Orient et Occident. Cette manœuvre, loin d’être un simple scandale sexuel, révèle une pensée religieuse cohérente, bien que radicale. Il faut aussi voir dans ces mariages une volonté politique de tisser des alliances avec des familles romaines influentes, tout en désacralisant les traditions patriarcales.

Sollicitation des plaisirs

Les chroniques rapportent qu’il installa des bordels dans le palais impérial, se prostituant en personne dans des chambres décorées à son image. Il aurait ordonné à ses serviteurs de l’appeler « la putain impériale », distribuant de l’argent à ceux qui le "fréquentaient". Il mettait aux enchères son corps et vantait les prouesses de ses amants devant la cour. Il est dit qu’il offrit une immense récompense à tout médecin capable de transformer ses organes génitaux en ceux d’une femme.

Certains textes parlent de grandes orgies mises en scène dans le palais impérial, où l’empereur se montrait nu, vêtu seulement de chaînes d’or, distribuant des faveurs sexuelles. Héliogabale aurait même tenu un registre détaillé de ses clients, prenant un plaisir public à évoquer leurs performances. Ces scènes, qu’elles soient exagérées ou non, participent à sa construction en empereur pornocrate, une figure qui hante encore les imaginaires. Ce comportement, loin d’être isolé, s’inscrit dans une tradition orientale de souverains sacrés maîtrisant leur corps et leur sexualité comme instruments de pouvoir.

La chute : pouvoir, sexe et violence

Opposition grandissante

Héliogabale finit par perdre le soutien de tous : le peuple, écœuré par ses excès ; le Sénat, ulcéré par son mépris ; et l’armée, frustrée de ses négligences militaires. Il accumule les maladresses : il écarte les officiers méritants, favorise des étrangers, insulte les coutumes et la morale romaine. Sa grand-mère, Julia Maesa, qui l’avait porté au pouvoir, se rend compte que son petit-fils ne survivra pas longtemps à ses outrances. Elle prépare en secret son remplacement par son cousin Alexandre Sévère, plus jeune, plus romain, plus "acceptable".

La garde prétorienne, lassée de son instabilité, commence à conspirer dès 221, voyant dans le jeune Alexandre Sévère un successeur plus docile. Julia Maesa, véritable stratège de l’ombre, sent le vent tourner et retire progressivement son soutien à son petit-fils. Héliogabale tente de faire assassiner Alexandre, mais ce projet échoue et précipite sa chute. L’image d’un empereur tyrannique, efféminé et déconnecté du réel devient alors le prétexte à une élimination brutale.

Le soulèvement final

En mars 222, les gardes prétoriens, las des extravagances impériales, passent à l’acte. Héliogabale, alors âgé de 18 ans, est assassiné avec sa mère lors d’un bain au Palatin. Leurs corps sont traînés dans les rues, décapités, mutilés, et jetés dans le Tibre. Le Sénat décrète la damnatio memoriae : le nom d’Héliogabale est effacé des monuments, ses statues brisées, ses monnaies refondues.

Son exécution dans les bains, lieu même de ses plaisirs et de ses transformations, constitue une fin symbolique, quasi cathartique pour ses ennemis. Les auteurs antiques prennent soin de décrire la mutilation de son corps comme un châtiment divin, une purification nécessaire. Le rejet posthume est total : son nom est effacé des registres, ses effigies détruites, ses alliés persécutés. Pourtant, le souvenir d’Héliogabale traverse les siècles comme une énigme flamboyante, figure d’un autre ordre possible, renversé par la brutalité du conformisme impérial.

Sources & références

Emma Locatelli, Le scandaleux Héliogabale : empereur, prêtre et pornocrate, Nouveau Monde Éditions, 2006

World History Encyclopedia, Elagabalus, article en ligne

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