Eynan-Mallaha : aux origines du premier village humain, quand la sédentarité a changé l’Histoire

Village préhistorique d’Eynan-Mallaha en Galilée, reconstitution réaliste
Découverte immersive d’Eynan-Mallaha, premier village sédentaire du monde.

Découvrez Eynan-Mallaha, le premier village sédentaire natoufien : maisons, rites funéraires, proto-agriculture et vie quotidienne en 12 000 av. J.-C.

Introduction : Aux origines d’un village

Il y a environ 14 000 ans, au crépuscule du Paléolithique, un groupe de chasseurs‑cueilleurs choisit de s’ancrer autour d’une source généreuse en Galilée. Ce choix marque un phénomène radical : le passage du nomadisme ancestral à une forme de vie sédentaire durable. Eynan-Mallaha n’est pas un simple gîte ; c’est un témoignage éclatant des premières bases d’un « village ». Ce changement social se produit dans un environnement abondant, prélude à la domestication végétale, animale… et à la mémoire collective.

À l’aube de l’Holocène, le climat changeait subtilement, rendant certains territoires plus hospitaliers, plus prévisibles. Les groupes humains, jusque-là nomades, commencèrent à réinventer leur rapport au territoire, à l’abri de l’abondance naturelle. Ce n’est pas un hasard si Eynan-Mallaha s’installe près d’une source pérenne : l’eau devient plus qu’une ressource, un axe structurant. Ce lieu n’est pas né d’un choix arbitraire, mais d’une stratégie d’ancrage territoriale aussi sensible que calculée.

L’espace habité : un hameau au bord de la source

Eynan-Mallaha s’établit sur les rives d’une source permanente, dans la vallée du Houleh, en Haute‑Galilée. C’est aussi l’un des rares villages datant de cette période à conserver trois mètres de stratigraphie parfaitement superposés – témoins de l’évolution d’une société première.

Fonctions et architecture des maisons

Des fosses semi‑enterrées ont été creusées, entourées de murs en pierre sèche, puis recouvertes de roseaux, bois ou peaux. Le détail le plus frappant : ces constructions sont percées d’entrées basses, comme pour limiter les pertes de chaleur ou affirmer une intimité précoce. Les sols sont tapissés de dalles de pierre, parfois peintes en rouge ou blanc – effet décoratif certes, mais aussi marqueur d’un environnement domestique valorisé. Les plus anciennes maisons sont les plus vastes ; celles des phases ultérieures sont plus petites, signe probable d’un peuplement en densification ou d’une reconfiguration des usages domestiques.

Les structures présentent une standardisation partielle, signe d’un savoir-faire partagé au sein du groupe. Des reconstructions successives d’habitats, souvent au même emplacement, montrent une permanence dans l’usage de l’espace. Certains seuils sont marqués par des pierres plates, comme des seuils symboliques entre l’intérieur et l’extérieur. Des enduits muraux peints en rouge ont été identifiés, suggérant une conscience esthétique, voire rituelle, de l’espace domestique.

Un village vivant

Ce n’est pas un camp : c’est un village. Ateliers de taille de silex, meules, foyers, lieux de repas et coins d’artisanat sont dispersés dans les pièces, habitus multicouches d’un quotidien encore invisible sur d’autres sites. Récemment, on a aussi mis au jour des flûtes en os d’oiseau – témoins d’une musique ancienne, mêlant chasse, communication et peut‑être rites collectifs. Le village n’était pas figé : il évoluait selon les besoins sociaux et démographiques.

La disposition des habitations forme parfois des cercles ouverts, favorisant les interactions communautaires. Des zones partagées, interprétées comme des ateliers collectifs, montrent l'existence d’une organisation coopérative. Les objets liés à la parure (coquillages percés, pendeloques) témoignent d’une expression identitaire et peut-être de hiérarchies émergentes. Ce paysage humain se dessinait dans l’intimité d’un quotidien réinventé.

Une économie « large spectre »

Nihil cibi de caelo venit — pas un trop-plein alimentaire, mais une diversité exceptionnelle.

Un environnement généreux

Au néolithique final, la vallée offrait forêts, prairies, zones humides et lac : gibier abondant (gazelles, cerfs, sangliers), poissons, coquillages, oiseaux, reptiles, amphibiens et plantes sauvages telles que céréales, fruits et noix étaient à portée de main. L’environnement de la vallée du Houleh était d’une richesse rare pour l’époque, abritant un biotope varié. Les habitants exploitaient les différentes niches écologiques selon les saisons, ce qui limitait les risques de pénurie. Cette diversification alimentaire offrait aussi une résilience face aux aléas climatiques. Certains restes végétaux retrouvés (lentilles, pois) posent la question d’une proto-agriculture encore débattue.

Subsistance et outils

La présence récurrente de faucilles couvertes de gloss (morceau brillant dû à l’usage sur les tiges), de mortiers, pilons, meules, grattoirs et microlithes atteste d’un système de subsistance varié : chasse, pêche, cueillette et broyage. Les microlithes et armatures géométriques suggèrent des stratégies de chasse adaptées aux petits gibiers, typiques des forêts proches. L’abondance de meules rotatives indique une activité de broyage soutenue, sans doute communautaire. Le silex, souvent de haute qualité, était parfois importé, révélant des réseaux d’échange régionaux. Des ossements marqués montrent des activités artisanales secondaires : gravure, fabrication d’objets utilitaires ou décoratifs.

S’installer, repenser le cycle de la vie

Installer un camp pour l’hiver, certes ; installer un lien éternel, c’est autre chose.

La mort au cœur du village

Les fouilles ont révélé 126 sépultures, parfois intramuros : enterrées sous les sols des maisons ou dans leur voisinage immédiat. Certains défunts reposent dans un cadre rituel : offrandes de coquillages, restes animaux… Le plus poignant est la découverte d’une femme enterrée main dans la main avec un chiot – un des plus anciens témoignages de domestication canine, daté d’environ 12 000 ans avant notre ère. Certains défunts étaient déposés en position fléchie, soigneusement orientés, ce qui témoigne d’un traitement intentionnel du corps.

Des sépultures doubles ou multiples révèlent l’importance des liens familiaux ou symboliques. Le dépôt de coquillages marins, parfois percés, évoque soit des échanges à longue distance, soit un imaginaire collectif lié à la mer. Cette proximité des morts et des vivants tisse une conception cyclique de la vie où les ancêtres restent présents. C’est là que naît une des premières formes de mémoire familiale, territoriale et symbolique.

De la vie à la mémoire

La mémoire collective se renforce par la répétition des gestes funéraires dans les mêmes lieux. Les sépultures peuvent avoir servi de repères topographiques ou symboliques pour réorganiser l’habitat. Certaines reconstructions intègrent les anciens espaces funéraires comme pour les sacraliser. Ce rapport constant entre espace domestique et mémoire funéraire évoque déjà une forme primitive d’ancestralité.

Du nomadisme à la sédentarité : le tournant natoufien

Ce n’est pas encore l’agriculture — mais c’est déjà un changement irréversible.

Une transition avant l’agriculture

Le Natoufien, situé entre 15 000 et 11 500 ans avant aujourd’hui, marque ce moment charnière : des chasseurs‑cueilleurs expérimentent la sédentarité sans intérioriser l’agriculture. Eynan-Mallaha est un exemple phare de cette transition. Cette sédentarisation sans agriculture s’explique par l’abondance locale, mais aussi par une transformation culturelle. Les sociétés natoufiennes n’étaient pas simplement « entre deux mondes » : elles inventaient un mode de vie inédit.

Eynan-Mallaha n’est pas une exception ; elle fait partie d’un faisceau de villages natoufiens entre Liban et Levant sud. Ce phénomène pourrait avoir préparé le terrain psychologique et technique à la néolithisation. Cette étape n’est pas un simple passage, mais une bifurcation essentielle dans l’histoire humaine.

Un laboratoire archéologique

Occupé entre environ 12 800 et 9 700 av. J.-C., Eynan-Mallaha reçoit trois grandes vagues d’occupation : Natoufien ancien, récent puis final. Grâce à une stratigraphie continue sur près de trois mètres, ce site propose une lecture précise de cette évolution du quotidien, de l’architecture, de la vie sociale et culturelle. La stratigraphie exceptionnelle permet une lecture fine des évolutions en continu sur près de 3 000 ans. On y observe des changements subtils dans la typologie des outils, dans les styles d’habitation, dans les rituels funéraires.

Ces données permettent d’analyser l’émergence de nouvelles formes de sociabilité humaine. Eynan-Mallaha est ainsi devenu un site-clé pour comprendre la naissance de la complexité sociale.

Héritage et actualité scientifique

Une fouille longue de 70 ans

Depuis la découverte en 1954 par Jean Perrot, jusqu’aux dernières campagnes menées par Fanny Bocquentin et Lior Weissbrod en 2022, ce site concentre de multiples équipes et approches pluridisciplinaires. Les travaux de Jean Perrot ont posé les bases d’une approche archéologique pluridisciplinaire novatrice pour l’époque. Depuis, la bioarchéologie, la paléobotanique et l’archéozoologie ont enrichi considérablement notre compréhension du site. L’analyse isotopique des ossements humains révèle des régimes alimentaires variés mais riches en protéines animales. Les nouvelles technologies 3D permettent aujourd’hui de reconstituer les habitats et de mieux comprendre la spatialisation.

Une fenêtre sur nos origines

Eynan-Mallaha nous montre que les débuts de la sédentarité humaine furent marqués par des choix conscients, non dictés par l’agriculture. L’homme natoufien s’organise, anticipe, structure son monde matériel et symbolique. Le village devient non seulement un lieu de vie, mais aussi un outil de transmission. C’est en cela qu’Eynan-Mallaha, village oublié aux allures modestes, incarne une révolution invisible mais décisive.

Sources

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Les illustrations ont été générées par intelligence artificielle pour servir le propos historique et afin d’aider à l’immersion. Elles ont été réalisées par l’auteur et sont la propriété du Site de l’Histoire. Toute reproduction nécessite une autorisation préalable par e-mail.

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