La Marche des Belts (1658) : l’audace glacée de Charles X Gustave et la traversée qui bouleversa l’Europe du Nord

Charles X Gustave menant l'armée suédoise sur la glace durant la Marche des Belts en 1658
Charles X Gustave menant l'armée suédoise sur la glace durant la Marche des Belts en 1658.

En 1658, Charles X Gustave ose l'impensable : traverser les Belts gelés. Une épopée militaire suédoise qui bouleversa l’Europe du Nord. Découvrez-la.

L'hiver de tous les dangers : une introduction

En ce début d'année 1658, l'Europe du Nord est figée par un hiver d'une rigueur exceptionnelle. Les eaux habituellement infranchissables des détroits danois, le Petit et le Grand Belt, sont prises par les glaces. Charles X Gustave, roi de Suède, voit dans cette situation une opportunité unique : envahir les îles danoises en marchant sur la glace. Cette décision audacieuse va non seulement marquer l'histoire militaire, mais aussi redéfinir les frontières scandinaves.

Le roi de Suède n’avait que 36 ans, mais son ambition était déjà légendaire dans toute l’Europe. Ce n’était pas un roi de salon : Charles X Gustave menait personnellement ses troupes, campant avec elles sur des sols gelés. Devant les cartes étalées sous la lueur des flambeaux, il rêvait d’un empire baltique uni sous la couronne suédoise, allant de la Laponie aux côtes de Poméranie.

Contexte géopolitique : la Suède en quête de suprématie

La Première Guerre du Nord : un conflit aux multiples fronts

Depuis 1655, la Suède est engagée dans la Première Guerre du Nord, affrontant la Pologne-Lituanie. Malgré des victoires, le conflit s'enlise. En 1657, le roi danois Frédéric III déclare la guerre à la Suède, espérant récupérer des territoires perdus. Charles X Gustave y voit une chance de détourner l'attention de la Pologne et de frapper le Danemark.

La Suède s’était imposée comme une puissance redoutée depuis la fin du XVIe siècle, notamment après les campagnes de Gustave II Adolphe. Toutefois, cette expansion agressive suscitait la méfiance des puissances voisines, inquiètes de voir la Baltique devenir un "lac suédois". Le Danemark, affaibli mais toujours stratégique, craignait surtout d’être encerclé et coupé de ses routes commerciales vitales.

L'invasion du Jutland : une avancée fulgurante

L'armée suédoise, bien entraînée et équipée, envahit rapidement le Jutland, la péninsule continentale du Danemark. En août 1657, elle atteint la forteresse de Fredericia, qui tombe après un siège de deux mois. Le contrôle du Jutland est acquis, mais les îles danoises restent hors de portée, protégées par les détroits.

L’armée suédoise ne se contentait pas de conquérir : elle administrait rapidement les territoires occupés, instaurant des garnisons et collectant des impôts de guerre. Les civils danois, pris de panique, fuyaient vers les îles en espérant que les détroits les protègeraient. La campagne suédoise était brutale mais méthodique, dirigée par des officiers aguerris formés à l’école de la guerre de Trente Ans.

La traversée des Belts : un pari sur la glace

Le Petit Belt : première étape vers l'invasion

Fin janvier 1658, les températures glaciales ont figé le Petit Belt. Le 30 janvier, l'armée suédoise, composée de 9 000 hommes et 3 000 chevaux, entame la traversée vers l'île de Fionie. La glace craque sous le poids, l'eau affleure, mais l'armée atteint l'île avec succès, repoussant une escarmouche danoise.

Les soldats marchaient en silence, chaque pas pesant sur la glace qui grinçait sous leur poids. Certains charrois s’enfoncèrent partiellement, contraignant les hommes à se relayer pour les tirer à la corde dans un froid mordant. Cette traversée devint rapidement un symbole d’endurance et de foi aveugle dans le génie de leur roi.

Le Grand Belt : l'ultime défi

Le Grand Belt, plus large et plus dangereux, sépare Fionie de Seeland, où se trouve Copenhague. L'ingénieur Erik Dahlberg évalue la solidité de la glace et recommande une route indirecte via les îles de Langeland et Lolland. Le 5 février, Charles X Gustave mène la cavalerie à travers la glace, suivi par l'infanterie et l'artillerie. Le 8 février, l'armée atteint Seeland, semant la panique au Danemark.

La traversée du Grand Belt représentait une entreprise quasi suicidaire selon les standards militaires de l’époque. Un vent polaire soufflait du nord, fouettant les visages et rendant la progression difficile pour les chevaux. Pourtant, la discipline suédoise ne fléchit pas : Charles X ouvrait la marche, son épée au flanc, montrant à tous que la gloire se gagne au péril de la vie.

Conséquences : un traité aux lourdes pertes pour le Danemark

Le traité de Roskilde : une capitulation sans précédent

Face à l'avancée suédoise, le Danemark est contraint de négocier. Le 26 février 1658, le traité de Roskilde est signé. Le Danemark cède à la Suède des territoires importants : le Skåneland (partie orientale du royaume danois), le Bohuslän et le Trondheim (en Norvège). La Suède atteint alors son apogée territoriale.

Jamais dans son histoire le Danemark n’avait subi un tel démembrement territorial. Le choc fut tel que même les cours européennes virent dans cet accord un déséquilibre menaçant pour la stabilité du Nord. La Suède contrôlait désormais les deux rives de l’Øresund, lui permettant d’imposer des taxes aux navires marchands traversant la mer Baltique.

Une paix éphémère : la reprise des hostilités

Insatisfait, Charles X Gustave reprend les hostilités dès l'été 1658, assiégeant Copenhague. Cependant, l'intervention des Pays-Bas, alliés du Danemark, et la résistance danoise mettent fin à ses ambitions. Le roi meurt en 1660, laissant une Suède affaiblie malgré ses gains territoriaux.

Copenhague, pourtant affaiblie, résista héroïquement au siège, galvanisée par l’arrivée de la flotte hollandaise. L’échec du second assaut mit en lumière les limites de l’expansion suédoise et la fragilité de son administration territoriale. Cette campagne mit à rude épreuve l’économie suédoise et exacerba les tensions internes, notamment avec les nobles et les gouverneurs locaux.

Héritage et mémoire : la Marche des Belts dans l'histoire

Un exploit militaire salué et étudié

La traversée des Belts est considérée comme un exploit militaire remarquable. Elle est étudiée dans les académies militaires pour son audace et sa planification. Des peintures, comme celle de Johann Philip Lemke, immortalisent cet événement.

Napoléon lui-même étudia plus tard cette traversée avec admiration, y voyant un exemple d’audace stratégique inspirante. Les écoles militaires suédoises du XIXe siècle enseignaient cette opération comme modèle d’exploitation des conditions climatiques. L’événement est aujourd’hui encore évoqué dans l’historiographie scandinave comme un moment d’unité et de détermination nationale.

Une leçon de stratégie et de géopolitique

La Marche des Belts illustre comment des conditions climatiques extrêmes peuvent être exploitées stratégiquement. Elle souligne également les risques d'une expansion territoriale rapide sans consolidation, la Suède ayant rapidement perdu une partie de ses gains.

La campagne rappelle que la géographie seule ne fait pas la stratégie : ce sont l’innovation et la volonté qui forgent les victoires. Le succès de Charles X Gustave fut aussi celui de son état-major, capable de logistique extrême en milieu hostile. Mais à trop vouloir avancer sans consolider, le royaume suédois s’exposa à une série de conflits d’usure qui, à terme, épuisèrent sa supériorité.

Sources

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