Qui a détruit la bibliothèque d'Alexandrie?: Enquête sur les Tragiques Destins d'un Trésor Perdu

Peinture néoclassique de l'intérieur de la bibliothèque d’Alexandrie en flammes, rouleaux de papyrus brûlant sous les colonnes antiques
L'incendie de la bibliothèque d'Alexandrie vu de l'intérieur, une scène dramatique peinte dans un style néoclassique réaliste.

Une enquête historique immersive sur la mystérieuse disparition de la bibliothèque d’Alexandrie, entre faits, hypothèses, et passion antique du savoir.

La mémoire sacrifiée : naissance d’un mythe

Les mystères anciens ont toujours captivé l’humanité. Où repose Alexandre le Grand ? La papesse Jeanne a-t-elle existé ? Mais parmi toutes ces énigmes, une se détache, majestueuse et tragique : la destruction de la bibliothèque d’Alexandrie.

Ici, les théories ne manquent pas. Lieu de tous les fantasmes, elle fait partie de ces trésors perdus qui nourrissent autant les rêves d’érudits que les spéculations des amateurs de complots. Pourtant, à la différence des autres mystères antiques, la bibliothèque d’Alexandrie a bel et bien existé. Et sa disparition reste une plaie vive dans le flanc de la civilisation. Car au-delà du mythe, ce sont des siècles de savoir, d’héritages culturels et scientifiques qui se sont envolés en fumée.

Depuis des siècles, les artistes, philosophes et écrivains la ressuscitent à travers leurs œuvres, comme une arche perdue de l’esprit humain. Le simple fait qu’aucun vestige tangible n’ait encore été retrouvé alimente le vertige de son évocation : la bibliothèque est devenue un mythe vivant. Cette disparition tragique agit comme une métaphore de toutes les pertes irréparables que l’histoire humaine a connues : savoir, culture, tolérance.

Un projet titanesque né d’un conquérant

L’histoire commence à la fin du IVe siècle avant notre ère. Après avoir accompagné Alexandre dans sa conquête de l’Orient, Ptolémée Ier s’installe en Égypte. Devenu pharaon, il fonde une dynastie qui règnera jusqu’à Cléopâtre. Inspiré par la curiosité intellectuelle d’Alexandre, Ptolémée imagine un sanctuaire du savoir. Il ne s’agit pas simplement de stocker des rouleaux, mais de bâtir un outil politique et symbolique : rassembler toute la connaissance humaine pour la centraliser à Alexandrie, capitale du monde hellénistique.

C’est son fils, Ptolémée II, qui concrétise ce rêve. Il fonde le Mouseion (littéralement "lieu des Muses"), un centre de recherche, auquel est rattachée la bibliothèque. On y parle grec, égyptien, phénicien, araméen, sanskrit. On y collecte des œuvres venues d’Inde, de Perse, de Mésopotamie, de Grèce… Pour les voyageurs, le port d’Alexandrie devient le vestibule de l’intelligence du monde.

Le projet s'inscrit dans une politique d’hégémonie intellectuelle : faire d’Alexandrie le cœur battant du monde méditerranéen, surpassant Athènes et Babylone. Ce rêve universaliste s'appuie sur une vision pacifiée du monde : les dieux étrangers étaient interprétés comme des manifestations variées des mêmes principes divins. Ce mélange culturel, unique pour l’époque, permit à la ville de devenir une matrice de connaissance, mais aussi de tensions futures.

Les chiffres d’un fantasme

On attribue à la bibliothèque entre 400 000 et 700 000 rouleaux. Des chiffres astronomiques, souvent repris sans recul. Mais aujourd’hui, les historiens s’accordent à dire que ces nombres relèvent probablement d’exagérations. Roger Bagnall, spécialiste de l’Antiquité, avance un chiffre bien plus modeste : autour de 40 000 rouleaux.

Mais plus que la quantité, c’est l’organisation qui impressionne. Le poète Callimaque de Cyrène aurait élaboré les Pinakes, un gigantesque catalogue classant les rouleaux par genre, auteur, et résumé. Un ancêtre de nos bases de données modernes. D’autres estiment que ces chiffres engloberaient non seulement la collection principale mais aussi des bibliothèques annexes, comme celle du Sérapéum.

Peu de catalogues originaux nous sont parvenus, mais le nom de Callimaque revient sans cesse, comme un bibliothécaire visionnaire avant l’heure. Son œuvre, perdue en grande partie, a sans doute influencé le système d’indexation des bibliothèques médiévales, voire même les algorithmes modernes de classement.

Destruction par le feu : César et la première plaie

Un incendie aux conséquences incertaines

Le premier nom gravé dans l’infamie est celui de Jules César. En 48 av. J.-C., poursuivant Pompée jusqu’en Égypte, il débarque à Alexandrie. Pris dans la guerre civile qui secoue le pays, il fait incendier les bateaux du port pour gêner la flotte adverse. Les flammes se propagent au quartier du Broucheion… où se situait la bibliothèque. Des centaines, peut-être des milliers de rouleaux sont consumés.

Mais tout n’est pas perdu. Strabon, qui visite Alexandrie près d’un siècle plus tard, mentionne encore l’existence du Mouseion. Il est donc probable que seule une partie de la bibliothèque fut détruite, et qu’elle fut reconstruite ou partiellement préservée.

On ignore encore aujourd’hui si le feu a atteint l’intégralité des bâtiments ou seulement les dépôts situés près des quais. Des auteurs antiques, comme Plutarque ou Lucain, évoquent un désastre, mais sans décrire précisément la perte documentaire. Certains chercheurs pensent que César, conscient de l’impact de son acte, aurait ordonné plus tard une restauration partielle avec des copies importées d’Asie Mineure.

Une résurrection au Sérapéum

Dans les années suivantes, les Ptolémées construisent une bibliothèque secondaire, intégrée au temple du dieu Sérapis : le Sérapéum. Ce lieu deviendra le dernier bastion du savoir antique avant sa chute.

Le Sérapéum, dédié à Sérapis — divinité syncrétique — représentait parfaitement l’esprit d’Alexandrie : fusion des croyances, des savoirs, des peuples. Il accueillait des philosophes, des astronomes, et probablement les fameuses copies que les Ptolémées exigeaient des navires accostant à Alexandrie.

L’existence de cette bibliothèque secondaire permet d’expliquer la survie temporaire de certains textes jusqu’à l’Antiquité tardive. Elle fut cependant elle aussi vouée à l’oubli sous les coups de l’intolérance religieuse croissante.

Hypatie allongée blessée au sol, face à ses agresseurs religieux dans une scène dramatique d’Alexandrie antique
Hypatie face à ses ravisseurs, une scène de martyr antique à la croisée de la foi et de la science.

Intolérance religieuse : l’autre fléau

Théodose Ier et la christianisation forcée

En 391, l’empereur romain Théodose Ier ordonne la fermeture des temples païens. À Alexandrie, les tensions religieuses culminent. Le patriarche chrétien Théophile lance une expédition contre le Sérapéum. Le temple est détruit, les statues abattues, les rouleaux brûlés.

Le philosophe Eunape et l’historien Socrate de Constantinople décrivent cette attaque comme un événement cataclysmique. Si la bibliothèque mère a peut-être disparu sous César, c’est ici que l’on perd définitivement le dernier reflet de sa grandeur.

La violence contre les temples païens ne visait pas seulement les cultes, mais tout ce qui incarnait un monde préchrétien : statues, rites, manuscrits. Le patriarche Théophile profita de ce contexte pour étendre son pouvoir, et éliminer les derniers bastions intellectuels indépendants d’Alexandrie.

Hypatie : le martyr du savoir

À peine quelques décennies plus tard, la philosophe Hypatie, enseignante à Alexandrie, est lynchée par une foule chrétienne. Symbole du néoplatonisme et de la pensée païenne, sa mort marque une césure définitive entre science et foi dans l’Égypte romaine.

Hypatie, fille du mathématicien Théon, enseignait la géométrie, la philosophie et l’astronomie : un triple crime aux yeux des extrémistes religieux. Sa mort fut si atroce qu’elle choqua même certains chrétiens modérés de l’époque, et symbolise encore aujourd’hui la mort de l’Antiquité éclairée.

À travers elle, c’est l’idée même de débat, de raisonnement, d’esprit critique qui fut étouffée par la violence dogmatique. Hypatie devint dès lors une figure martyre du savoir et de la tolérance écrasés par le fanatisme.

L’ombre du califat : Omar et la destruction finale

Une légende tardive et contestée

En 642, les troupes arabes du calife Omar Ibn al-Khattab s’emparent d’Alexandrie. Un général, Amr Ibn al-As, découvre les ruines et les vestiges du passé. Il aurait demandé au calife ce qu’il convenait de faire des ouvrages encore présents. Omar aurait alors répondu : « Si ces livres contredisent le Coran, ils sont hérétiques. S’ils l’approuvent, ils sont superflus. » On les aurait brûlés dans les bains publics pendant six mois.

Mais cette histoire, aussi dramatique soit-elle, n’apparaît qu’au XIIe siècle, dans les écrits du chrétien Jean de Séville et de l’historien musulman Abd al-Latif. La plupart des chercheurs modernes considèrent ce récit comme apocryphe, forgé dans un contexte de rivalité entre chrétiens et musulmans.

La phrase prêtée à Omar ressemble davantage à un aphorisme théologique forgé pour marquer la suprématie du texte sacré sur tous les autres. Il est probable que les conquérants arabes aient trouvé des ruines plutôt que des bibliothèques fonctionnelles. Le rôle des savants arabes postérieurs — qui traduiront et préserveront tant d’œuvres grecques — contredit cette idée de rejet systématique du savoir ancien.

Le calife Omar devant une bibliothèque antique en flammes, dans une scène historique peinte au style néoclassique
Le calife Omar contemplant la destruction des savoirs d’Alexandrie, dans une mise en scène symbolique inspirée de l’histoire et de la légende.

Le savoir englouti : traces, survivances et renaissance

Des vestiges sous les flots

Depuis les années 1990, des équipes franco-égyptiennes, dirigées par Franck Goddio, explorent les fonds marins d’Alexandrie. Elles découvrent des statues colossales, des fragments de colonnes, des sphinx, et les fondations du port royal, probablement à proximité de la bibliothèque originelle.

Les découvertes de Franck Goddio ont révélé un quartier royal englouti par des tremblements de terre et des tsunamis entre les IVe et VIIIe siècles. Parmi les objets retrouvés figurent des encensoirs, des inscriptions grecques, et même des sarcophages, témoignant de la densité rituelle du lieu.

Ces fouilles suggèrent que la topographie d’Alexandrie antique était bien plus complexe qu’imaginée, remettant en question l’emplacement exact de la bibliothèque. Les traces retrouvées permettent au moins de reconstituer un écosystème savant détruit, mais jamais oublié.

Une renaissance moderne : la Bibliotheca Alexandrina

En 2002, un projet international voit le jour : la Bibliotheca Alexandrina. Conçue comme un hommage à l’ancienne, elle accueille aujourd’hui des millions de documents, six bibliothèques spécialisées, des musées, des planétariums, des instituts de recherche.

L’édifice, circulaire, s’inspire du disque solaire égyptien, symbolisant à la fois la continuité et la lumière du savoir éternel. Elle héberge aujourd’hui un centre de manuscrits rares, un laboratoire de restauration, une base de données numérique multilingue.

Par son action pédagogique et culturelle, elle incarne une réponse moderne aux ténèbres de l’oubli : un antidote à la barbarie intellectuelle. À Alexandrie, la flamme du savoir s’est rallumée sous une forme nouvelle, ancrée dans l’espoir et la transmission.

Sources

  • Luciano Canfora, La Véritable Histoire de la Bibliothèque d’Alexandrie, 1988, Éditions Desjonquères – Consulter sur Amazon
  • France Culture, “Qui a détruit la bibliothèque d’Alexandrie ?”, 2021 – Lire l’article

Plongez au cœur des intrigues, batailles et figures légendaires de la Rome antique grâce à notre collection d’articles passionnants.

Passionné par les mystères des pharaons ? Explorez d’autres récits captivants de l’Égypte antique sur Le Site de l’Histoire.

Retrouvez-nous sur : Logo Facebook Logo Instagram Logo X (Twitter) Logo Pinterest

Les illustrations sont la propriété exclusive du Site de l’Histoire. Toute reproduction nécessite une autorisation préalable par e-mail.

Commentaires

  1. Benjamin Sacchelli11 juin 2011 à 11:12

    On aurait pu évoquer la grande bibliothèque actuelle.

    RépondreSupprimer
  2. Il est important de signaler que les sources écrites racontant la destruction de la bibliothèque par le calife Omar datent de 1203, Abdul al-Latif al-Baghdadi, historien arabe, puis Ibn al Kifti, soit 6 siècles après et que ces deux sources ne racontent pas exactement la même chose.

    RépondreSupprimer
  3. ce site est bien il ma beaucoup aider pour mon devoir en histoire !

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. mais pas pour l'orthographe (il m'a aidé)

      Supprimer
  4. Merci pour cet article très intéressant. Ajoutons l'épisode entre l'impératrice de Palmyre, Zénobie, et l'empereur romain Aurélien qui dans sa reconquête d'Alexandrie aurait causé des dégâts à la bibliothèque. Concernant l'épisode de Théodose, les dégâts auraient été produits lors des émeutes de rue et de la mort d'Hypathie. Rien d'organisé toutefois, Théodose ayant en effet inversé l'intolérance des siècles précédents le temps de son règne. Les intellectuels byzantins auront d'ailleurs longtemps enseignés les écrits platoniciens, aristotéliciens et ceux des auteurs av J.C. et les auront transmis au vénitiens à partir du Xème siècle. La perte est grande toutefois pour les pré-socratiques (Anaximandre, Pythagore) dont on est obligé de se contenter de fragments.

    RépondreSupprimer
  5. "(...) pas été détruite par les hommes mais par le fanatisme et l’intolérance des religions"

    Euh... et si j'assassine une petite vieille tout à l'heure, ce ne sera pas moi, homme, qui serai responsable, mais la méchanceté et l'ennui ? ^^;

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. J'ai eu la même réaction que vous :)
      Dame religion n'a pas donné l'ordre suivant : "Homme, tu vas détruire l'hérétique bibliothèque, la garce me fait de l'ombre..."!
      L'homme est responsable de ses actes, de la façon dont il utilise la religion, entre autres.
      C'est comme quand les gens incombent la pédophilie à la religion catholique. Il y a des pédophiles dans toutes les religions (et oui, même chez les Bouddhistes), et aussi dans d'autres sphères de la société. Dans ce cas, il faut à tout prix arrêter d'instruire ses enfants par exemple, car il y a aussi des pédophiles dans l'Education Nationale.
      Pour ceux qui pensent qu'il suffit d'interdire les religions pour qu'il n'y ait plus de guerre, ils rêvent. Le problème est ailleurs.

      Supprimer
    2. réponse "juste" rien à voir avec "bonne" ou/et "mauvaise". à méditer

      Supprimer
  6. Bonjour et merci pour l'article.
    Un bémol cependant :
    "(...) pas été détruite par les hommes mais par le fanatisme et l’intolérance des religions"
    Ce ne sont pas papiers et encres qui incendient, mais bien les hommes, enfin certains comme vous le précisez pourtant : "Les militaires exécutent les ordres malgré les supplications des lettrés et des savants arabes."
    Tous les Arabes évidement n'étaient pour la destruction de ce qui était aussi une partie de leur patrimoine et histoire.
    Cordialement.

    RépondreSupprimer
  7. cest trooop long a lireeee pis jai un projet demain faite juste un resume

    RépondreSupprimer
  8. "Pour ceux qui pensent qu'il suffit d'interdire les religions pour qu'il n'y ait plus de guerre, ils rêvent. Le problème est ailleurs.".
    Où ? Une proposition après cette contradiction ? La "religion" revêt souvent la forme d'une structure humaine. Donc avec les défauts sociaux inhérents à celle-ci, autoristarisme voire dictature.

    RépondreSupprimer
  9. Ce n’est pas bien religion qui a détruit la bibliothèque c’est la folie humaine !

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Il y a du religieux derrière un peu tout de même !

      Supprimer
    2. Je ne me souviens pas que le paganisme ait détruit des bibliothèque au nom d’un quelconque dieu.

      Supprimer
    3. Moi je vois bien que l’intolérance religieuse s’applique toujours contre les savoirs universels 😭

      Supprimer

Enregistrer un commentaire