Quand la Prohibition aux Etats-Unis faisait de l'alcool un remède miraculeux
Imaginons une scène fictive. 1920, quelque part dans une petite ville américaine. Dans un cabinet médical au papier peint jauni, un patient feint une quinte de toux théâtrale. Il pose sa main sur le bureau, regarde son médecin droit dans les yeux et, d’un ton presque solennel, annonce : « Docteur, je crois que j’ai… un besoin urgent de whisky. Pour mon asthme. » Le médecin, impassible, esquisse un sourire en coin et griffonne une ordonnance avec une rapidité qui dénote l’habitude : « Deux verres, deux fois par semaine. Et évitez les glaçons, c’est mauvais pour la gorge. » Bienvenue dans l’Amérique de la Prohibition, où l’interdiction de l’alcool n’a pas empêché les Américains d’en boire. Oh non ! Ils ont simplement trouvé un complice inattendu : leur médecin.
Lorsque le 18e amendement entre en vigueur en janvier 1920, le pays tout entier découvre avec stupeur qu’il est désormais illégal de produire, vendre ou distribuer de l’alcool. Mais cette loi, censée assainir la société et lutter contre les ravages de l’ivresse, a un petit défaut : elle regorge de loopholes (ces fameuses failles juridiques). Et l’une des plus remarquables concerne… l’alcool médical. Le Volstead Act, qui définit les contours de la Prohibition, autorise l’usage de l’alcool pour des raisons médicales. Après tout, à cette époque, le whisky est considéré comme une panacée. Vous avez une toux persistante ? Un peu de brandy. Vous êtes déprimé ? Une bonne dose de rhum devrait faire l’affaire. Une angine ? Allez, un shot de bourbon et ça repart. Et soudain, tout un pays découvre une chose fascinante : il est plus facile de convaincre un médecin que d’arrêter de boire.
En quelques mois, les cabinets médicaux deviennent des points stratégiques pour contourner la Prohibition. Certains médecins jouent le jeu avec sérieux, d’autres s’adaptent à la demande… avec un certain sens des affaires. Une consultation standard coûte alors entre 2 et 5 dollars, mais pour obtenir une ordonnance pour de l’alcool, le tarif grimpe à 10 dollars. Le salaire moyen hebdomadaire d’un ouvrier à cette époque est de 20 à 30 dollars À ce prix-là, on pourrait croire que le docteur ausculte réellement le patient, mais la réalité est souvent moins noble. Chaque ordonnance permettait d’obtenir une pinte d’alcool (environ 47 cl) auprès d’une pharmacie agréée. Ces dernières, voyant le potentiel lucratif, n’hésitent pas à gonfler leurs stocks. Dans certains États, les rayons des pharmacies ressemblent à des caves à vin, et les étiquettes indiquent fièrement : « Usage médical uniquement. » Les maladies imaginaires se multiplient. On rapporte même que des gens faisaient la queue dans les cabinets médicaux pour « contracter » des maladies aussi crédibles qu’une « fatigue cérébrale » ou une « anxiété due au manque de whisky ». Les médecins, quant à eux, devenaient de véritables stars locales, adulés pour leur générosité en prescriptions.
Les pharmacies, bien sûr, ont flairé l’aubaine. La célèbre chaîne Walgreens, par exemple, a vu son nombre de magasins exploser pendant la Prohibition, passant de 20 à 525 établissements en quelques années. Officiellement, Walgreens vendait du whisky médicinal. Officieusement, elle était devenue une institution bien-aimée des amateurs de bourbon. Les étiquettes sur les bouteilles ne manquaient pas d’humour. Certaines portaient des avertissements comme : « À usage externe uniquement… mais si vous vous sentez mal à l’intérieur, buvez lentement. »
L’explosion des prescriptions d’alcool n’a pas tardé à attirer l’attention des autorités. En 1921, rien qu’en Californie, on compte près d’un million de prescriptions de whisky. Une enquête nationale révèle que certains médecins rédigent des centaines d’ordonnances par semaine. Pire encore, quelques pharmaciens peu scrupuleux vendent carrément de l’alcool sans ordonnance, tant que le client est prêt à payer. Dans ce chaos organisé, les forces de l’ordre tentent de réagir. Des enquêtes sont lancées, des licences médicales et pharmaceutiques sont suspendues. Et même du poison est mis dans les rares bouteilles d’alcool en circulations pour éviter les distillations illégales et clandestines. Mais qu’importe : les consommateurs, les médecins et les pharmaciens trouvent toujours de nouveaux moyens de contourner les restrictions.
À mesure que les années passent, l’hypocrisie de cette situation devient flagrante. L’idée que l’alcool est une solution médicale universelle commence à être tournée en dérision. Les caricaturistes de l’époque se délectent de ces patients prétendument souffrants, mais étrangement souriants lorsqu’ils sortent de la pharmacie avec leur « traitement ». Et pourtant, malgré tout, l’alcool médical reste l’un des moyens les plus populaires pour obtenir légalement un verre pendant la Prohibition. À la fin des années 1920, alors que l’opinion publique bascule en faveur de l’abrogation de la Prohibition, ces prescriptions ne sont plus qu’un secret de Polichinelle, un clin d’œil au génie américain pour tourner les lois en dérision.
La mascarade allait durer tout de même 13 ans. La prohibition cessera définitivement en 1933.
L’histoire des prescriptions d’alcool pendant la Prohibition illustre à merveille la créativité des individus face à une interdiction impopulaire. Elle montre aussi à quel point les lois, aussi rigides soient-elles, peuvent être contournées avec un peu d’imagination… et beaucoup de whisky. Alors, la prochaine fois que vous verrez une bouteille de bourbon, imaginez qu’elle aurait pu, il y a un siècle, porter une étiquette disant : « Posologie : une dose à chaque éternuement. Renouvelez jusqu’à guérison… ou jusqu’à être heureux. »
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