Naissance de l'impôt permanent en France : un tournant majeur de l'État royal sous Charles VII
La France excelle dans l’art de prélever des impôts. Nous sommes presque les champion hors catégorie. Mais depuis quand? Remontons le fil jusqu’au Moyen-Age. Le 2 novembre 1439 marque une date charnière dans l'histoire économique et politique de notre pays. Ce jour-là, à Orléans, Charles VII, roi de France, instaure ce qui allait devenir l'une des pierres angulaires de l'autorité royale et de l'administration fiscale : l'impôt permanent. Dans un contexte de guerre et d'instabilité, cette décision, destinée initialement à financer une armée royale permanente, symbolise le passage d'une monarchie féodale à un État centralisé, capable de lever des fonds de manière régulière et indépendante.
L’impôt permanent ne surgit pas dans un vide historique ; il est avant tout une réponse aux circonstances désastreuses dans lesquelles se trouve le royaume de France à cette époque. Depuis 1337, le pays est déchiré par la Guerre de Cent Ans, un conflit acharné contre le royaume d'Angleterre. Après plus d’un siècle de combats, de pillages et de ravages, la France est exsangue, sa population décimée par la guerre mais aussi par la peste noire qui a frappé l’Europe au milieu du XIVe siècle. Les campagnes françaises sont dévastées, la paysannerie appauvrie, et l'économie affaiblie. Les forces armées royales, composées en grande partie de mercenaires, sont devenues incontrôlables. Lorsqu'ils ne sont pas payés, ces hommes d’armes se transforment en bandes de pillards, terrorisant la population. Un peu comme des commerciaux mécontents, frappant aux portes des villages pour réclamer une « augmentation » sous forme de pillage, torches en main et épées au poing. On a vu plus diplomate. Face à cette situation critique, Charles VII comprend la nécessité de stabiliser le royaume et de reprendre le contrôle de l’autorité royale. L'une des solutions envisagées est la constitution d'une armée permanente, capable de défendre le royaume sans dépendre des troupes irrégulières et des mercenaires. Mais pour financer une telle force, il faut des ressources constantes et stables.
Avant 1439, le roi de France ne dispose pas d'une fiscalité régulière. Ses revenus proviennent principalement de son domaine royal, c'est-à-dire des terres et des biens qui lui appartiennent en propre, ainsi que des redevances féodales payées par les vassaux. Comme les autres seigneurs, il peut lever des droits de péage, des taxes sur les marchés ou encore des « aides » en cas de circonstances exceptionnelles. Mais ce système est aussi fiable qu’un abonnement sans engagement : les fonds ne sont pas garantis, et leur collecte dépend du bon vouloir des provinces et des seigneurs locaux. Pour combler les déficits, les rois sollicitent régulièrement les États généraux, un peu comme on appelle un ami pour une « petite faveur ». Mais cette fois-ci, la couronne cherche à aller plus loin : trouver un moyen de s’affranchir de ces assemblées qui doivent autoriser chaque levée d'impôts. Charles VII veut un financement stable, et permanent, sans avoir à rendre de comptes.
C'est dans ce contexte que Charles VII décide de prendre une mesure audacieuse et sans précédent : instaurer un impôt régulier pour financer une armée permanente. L’ordonnance du 2 novembre 1439, promulguée à Orléans, instaure la « taille » comme impôt permanent. Contrairement aux levées fiscales ponctuelles des années précédentes, la taille devient désormais un prélèvement régulier imposé aux sujets du roi, principalement les roturiers et les paysans. Un peu comme un abonnement temporaire qu’on oublie d’annuler, cette taxe ponctuelle devait pourtant être temporaire… mais la monarchie oubliera volontairement le bouton « annuler ». Ainsi, « Monsieur Impôt Permanent » fait son entrée en grande pompe. Contrairement aux autres taxes qui faisaient des apparitions-éclair pour renflouer les caisses, ce cher Impôt s’installe pour de bon, avec un billet sans retour. Autant dire qu’il devient vite l’ami indésirable des sujets français, toujours là, toujours fidèle, même quand personne ne l’avait invité à rester.
Grâce à l’instauration de l’impôt permanent, Charles VII peut désormais constituer une armée sous son contrôle direct. Terminé, la dépendance aux mercenaires et aux petits seigneurs toujours plus exigeants. Avec la taille, le roi peut maintenant financer ce qui pourrait être comparé à une Rolls Royce des armées : une force permanente, prête à défendre le royaume à tout moment. Mais, comme avec tout produit de luxe, il y a un prix à payer, et devinez qui va l’assumer ? Ce sont bien sûr les roturiers et les paysans qui devront mettre la main à la poche. Pour eux, cette armée permanente est comme un bijou somptueux acheté par quelqu’un d’autre, avec leur propre argent. Le roi, lui, voit dans cette armée permanente un moyen d’assurer la sécurité de son royaume. Les Français, eux, voient surtout leurs économies fondre comme neige au soleil.
Bien sûr, l’instauration de la taille comme impôt permanent n'est pas accueillie avec enthousiasme par les populations concernées. Les paysans se sentent trahis par cette « promesse temporaire » qui se transforme en un fardeau sans fin. Pour exprimer leur mécontentement, ils écrivent, à leur manière, des « lettres de plaintes » – qu’on appelle aussi des révoltes paysannes. Imaginez-les comme des courriers adressés au service client de la monarchie, demandant une explication, voire un remboursement… mais sans recevoir la moindre réponse. Le service client royal n’est pas des plus réactifs. Certains se soulèvent, d’autres grognent en silence, mais face à la répression de la couronne, beaucoup finissent par accepter cet impôt, même à contrecœur. Peu à peu, l'idée que cet impôt est là pour rester s'installe, un peu comme cet abonnement à un service qu’on a cessé d’utiliser mais qu’on continue de payer par automatisme.
L’instauration de l’impôt permanent marque un tournant majeur dans l’histoire de la France. En permettant au roi de disposer d'une armée permanente et de ressources indépendantes, elle jette les bases de l'État moderne, où l'autorité centrale devient peu à peu capable de se financer de manière autonome et d’administrer directement le territoire. Mais cet impôt permanent, qui au départ devait être temporaire, deviendra vite un poids pour la population. Au fil des règnes, les rois ajoutent d’autres taxes, développent le système fiscal, et la charge qui pèse sur les roturiers ne cesse de s’alourdir. Finalement, cet impôt permanent, dont on avait promis le caractère exceptionnel, deviendra une tradition. Une addition qui s’allonge, jusqu’à devenir insoutenable pour les Français. Une sorte de « note salée » laissée par la monarchie, que les Français, en 1789, décideront finalement de déchirer… et de faire des économies en se débarrassant du roi par la même occasion. L’histoire se chargera de rappeler, avec ironie, que ce qui commence comme un petit « abonnement » temporaire peut finir par coûter cher… très cher.
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