Sauvons les otages français du château d'Itter
Rapport du capitaine américain John Lee, 23e
bataillon de chars
Daté du 7 mai 1945
Au matin du 4 mai, une unité de soldats allemands est venue
à notre rencontre, drapeau blanc à la main. Leur chef, le commandant Joseph
Gangl aide activement la résistance autrichienne. N’ayant jamais adhéré au
parti nazi et dégouté de la tournure qu’a prise le régime, il a décidé de faire
son propre armistice.
Lors de notre entretien, il
m’informe que des personnalités françaises sont emprisonnées dans un château à
dix kilomètres d’ici. Le régime de Vichy et les Allemands les considèrent comme
des otages qui pourront servir de monnaie d’échange. Néanmoins après le suicide
d’Hitler et la débâcle qui s’ensuit, le commandant Gangl craint que les SS ne
les éliminent. Par conséquent, il demande notre intervention dans les plus
brefs délais. Pour appuyer ses dires, il me remet une lettre des détenus
demandant qu’on les libère de toute urgence. Ensuite, il m’énumère la liste des
prisonniers :
- Edouard Daladier et Paul
Reynaud : deux anciens présidents du Conseil français
- les généraux Maurice Gamelin et
Maxime Weygand
- le colonel François de la
Rocque accusé d’entente avec les Britanniques
- Jean Borotra : ancien
champion de tennis, ex membre du gouvernement de Vichy, arrêté pour avoir tenté
de passer en Algérie libérée.
- Léon Jouhaux, président du
syndicat CGT
- Michel Clemenceau
- Marcel Granger parent du
général Giraud
- Marie-Agnès Cailliau, la sœur
du général De Gaulle
La mission ne s’annonçait pas des
plus aisées. Depuis plusieurs semaines, la région est sillonnée par des
déserteurs et des unités SS qui battent en retraite. Ensuite, la forteresse est
bâtie sur un éperon rocheux entouré de précipices des trois côtés, avec en son
milieu une grande bâtisse en forme de donjon à trois étages. Le seul accès est
une étroite route de montagne facilement défendable. Au final, nous avons
réussi à prendre possession des lieux en fin de journée sans difficulté. Les Allemands ont quitté le château après l’annonce du
suicide d’Hitler. Comprenant que tout était perdu, ils se sont déguisés en
civils et ont fui à bicyclette, en laissant leurs prisonniers enfermés. Ces
derniers n’ont pas masqué leur stupéfaction en voyant un bataillon
germano-américain les secourir. Les difficultés apparaissent au moment de
l’évacuation des lieux. Nous ne disposions que de mon tank Sherman et de l’Opel
Blitz du commandant Gangl, deux moyens insuffisants pour transporter les
prisonniers. Par conséquent, je décide de passer la nuit à Itter en attendant
les renforts dépêchés depuis Innsbruck.
Le lendemain 5 mai vers 9 heures,
une unité nazie fait son apparition. Il s’agit de quelques éléments de la
Waffen SS qui refluent vers Salzbourg. Ils ne sont qu’une cinquantaine, mais ce
sont des combattants expérimentés et qui n’ont plus grand-chose à perdre. Nous
défendons la seule route d’accès en plaçant notre mitrailleuse et le Sherman.
Cependant, les nazis disposent d’un canon antichar de 88mm. Dès les premiers
tirs, notre tank est pulvérisé. Quelques instants plus tard, Josef Gangl
s’avance avec un drapeau blanc pour parlementer et tenter de ramener ses
compatriotes à la raison. Ces derniers l’abattent sans sommation. Nous tentons
de résister par tous les moyens. Néanmoins, les SS, en professionnels de la
guerre, atteignent le pied des murailles. Jean Borotra se désigne volontaire
pour franchir les lignes ennemies et faire hâter les renforts.
La bataille s’éternise et nos munitions commencent à
manquer. Vers 15 heures, les SS s’apprêtent à pénétrer dans le château, quand
un des assaillants hurle « Amerikanische panzer ! ». Les chars
de la 103e division arrivent. Nos hommes entrent dans le château en
compagnie d’une unité française sous les ordres du lieutenant Eric Lutten.
Ensemble nous avons rejoint Innsbruck avec tous les prisonniers sains et saufs.
Sources
Texte :
Eric TREGUIER, « La folle bataille du château d’Itter », Historia, n°858, juin 2018, pp54-57.
Image :
https://www.ulyces.co/servan-le-janne/la-bataille-du-chateau-ditter-le-jour-ou-la-realite-a-depasse-tarantino/
Le capitaine John J. Lee
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