Des Bretons délaissés à Conlie
Laval,
le 15 janvier 1871
Ma très
chère Rozenn
Il y a quelques jours, sous les ordres de Chanzy,
nous venons de subir une défaite contre l’ennemi prussien au Mans. Quoi
d’étonnant à cela. Le manque d’équipement ne nous a pas permis de combattre
efficacement et nous a contraints au repli. Nous avons été abandonnés et cet abandon
nous a empêchés de mener à bien notre combat.
Pourtant, j’entends encore les hauts responsables
politiques nous appeler à défendre la
Nation , suite à la capitulation
de l’armée de Napoléon III à Sedan le 4 septembre de l’année dernière. Au
moment de la proclamation de la
République , le ministre de l’Intérieur et de la Guerre , Léon Gambetta a
déclaré la résistance à outrance et a battu le rappel de troupes volontaires, à
charge pour Charles de Freycinet, délégué à la guerre, de nous armer et de nous
équiper. Comme un grand nombre de Bretons, j’ai répondu à l’appel et me suis
placé sous les ordres du général Emile de Keratry. Peu de Français peuvent en
dire autant. Fin octobre, le général a établi son camp à Conlie au nord-ouest
du Mans.
Je t’ai
déjà fait part dans mes précédents courriers des conditions de vie lamentables
que j’ai connues dans ce camp maudit, avec 70.000 autres hommes. Il porte bien
son nom de Kerfank, la ville boue. Les pluies diluviennes de l’automne dernier
l’ont transformé en véritable bourbier. Nos tentes et nos habits ne séchaient
pas. La paille confectionnant nos matelas moisissait. Les maladies, dont la
variole, n’ont pas manqué de faire des ravages. L’intendance ne suivait pas. Le
matériel livré, ainsi que l’armement, était défectueux et insuffisant. Combien
de fois ai-je entendu Keratry fulminer contre Gambetta, pestant contre le
manque de confiance de Paris envers sa personne et une armée de Bretons ? Ces
messieurs nous considèrent encore comme des chouans. Freycinet nous l’a rappelé
en nous conjurant d’oublier que nous sommes bretons pour nous souvenir que
de nos qualités de Français. Plus d’une centaine d’hommes ont succombé de
maladie. Keratry a démissionné le 27 novembre et remplacé par Marivault. Cet
incompétent, ne parlant même pas breton, n’est pas resté longtemps. Le général
Gougeard, un Lorientais, a été nommé à sa place le 11 décembre. Sans attendre
les ordres, il a renvoyé une bonne partie des hommes chez eux. Avec le reste de
mes camarades, nous nous sommes mis en route pour rejoindre l’armée de Chanzy.
Tout ça pour perdre.
J’espère
pouvoir regagner notre foyer et que justice soit faite sur les responsables de
ce gâchis.
Je
t’embrasse tendrement.
Ton
Loïc
Les espoirs de Loïc seront
partiellement satisfaits. Le soldat volontaire regagnera bien son foyer. Une
commission d’enquête parlementaire émet un rapport sur le camp de Conlie en
juin 1871. Elle rend responsable Napoléon III qui a engagé la France dans une guerre pour
laquelle elle n’était pas préparée. Par ailleurs, elle met l’accent sur les
difficultés d’action du gouvernement dans un contexte très difficile, sans
plus. Le camp de Conlie est l’exemple du fossé existant entre une république
naissante, héritage des Lumières et de la Révolution , laïque et anticléricale, basé sur la
petite propriété bourgeoise citadine et une Bretagne toujours attachée à la
monarchie, à l’Eglise et aux grandes propriétés rurales.
Sources
Texte :
- JEZEQUEL Yves, « Le camp de
Conlie : drame ou cafouillage ? »article publié sur la
page : http://bcd.bzh/becedia/fr/le-camp-de-conlie-drame-ou-cafouillage,
novembre 2016.
- CORNETTE Joël, Histoire illustrée de la Bretagne et des Bretons,
Seuil, Paris, 2015, pp342-344.
Image : Le général Chanzy à la Bataille du Mans tableau de Maurice Orange
(1868-1885).
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