Louis IX et la question de l’usure
Avant son premier départ à la
croisade et jusqu’à sa mort, Louis IX ordonne de vastes enquêtes destinées à
restituer les biens mal acquis par son administration. Les émissaires
établissent la véracité des griefs, puis font réparer financièrement les dommages
attestés. Ces restitutions touchent aussi les usures, c’est-à-dire les intérêts
prélevés par les créanciers juifs sur les prêts qu’ils concèdent, dont le roi
entend restituer une partie à ses sujets. L’échec de la croisade possède des
causes divines. A son retour, il s’attèle à restituer les biens mal acquis au
lieu de se contenter de contraindre ses officiers à réaliser les enquêtes de
réparation. Les émissaires royaux sont chargés de forcer les officiers royaux à
rendre les biens des juifs qu’ils pourraient avoir usurpés et à procéder à la
vente de ceux-ci. Il ne s’agit en aucun cas de restituer aux sujets les sommes
qu’ils ont empruntées aux juifs mais seulement les intérêts.
L’usure désigne tout autant
l’intérêt pris sur un prêt qu’un pêché, tandis que le droit l’assimile à un
vol. En confisquant et en conservant les biens des juifs, et donc les intérêts,
le roi se trouve dans la position d’un pêcheur et d’un receleur. Pour Louis IX,
il n’est plus question que l’usure ait cours dans son royaume. Le 29 septembre
1235, il rompt avec la politique de ses prédécesseurs en proclamant une
ordonnance interdisant cette pratique, qui est assortie en 1254 de mesures
d’expulsion. Tous ceux qui s’adonnent à ce crime social doivent être exclus de
la société chrétienne. Néanmoins, les juifs ne sont pas les seuls à pratiquer
des activités de crédit. Il y a aussi les Lombards et les Cahorsins. A l’égard
de ces derniers, Louis IX n’éprouve pas la nécessité d’organiser des enquêtes
de réparation, ni des restitutions. L’objectif est d’effrayer les juifs pour
les pousser à la conversion. Les usures non réclamées restent entre les mains
du pouvoir royal pour alimenter le Trésor.
Le roi souhaite pourvoir au salut
de son âme et éloigner les scrupules de sa conscience. Il met en acte de son
vivant et à grande échelle cette doctrine relevant de l’économie du salut et de
la comptabilité de l’au-delà. En ce sens, il s’inscrit dans le désir de pureté
qui marque le XIIIe siècle, initié sous l’égide du pape Grégoire IX. Le roi se
fait l’écho de ce désir dans son royaume. En 1239, le souverain pontife ordonne
de brûler les talmuds accusé de remplacer la Bible aux yeux des juifs. Saint Louis obéit en
1242. Le concile de Latran IV (1215) impose le port d’un signe distinctif. Le
roi impose le port de la rouelle en 1269.
Si Louis IX recherche la rédemption en restituant les usures
juives, il ne perd pas pour autant de vue son intérêt. Tout en restituant, il
tire un bénéfice pécuniaire de sa politique anti-usuraire et antijuive, qui
permet de financer la croisade ou de renflouer le Trésor royal. De plus, le roi
cherche à s’attacher ses sujets, en faisant preuve de l’équité de sa justice.
Louis IX était-il antisémite ? se demandait Jacques Le
Goff. Au XIIIe siècle, le royaume compte entre 50.000 et 100.000 juifs, qui
résident principalement dans les grandes villes. Reprenant l’argument de
l’intellectuel juif Meir ben Siméon, selon lequel le peuple ne peut vivre sans
crédit et qu’il vaut mieux le confier aux juifs qui sont déjà damnés, le roi
répond « au sujet des chrétiens pratiquant le prêt de leurs usures, il
semble que cela appartienne aux prélats et à leurs églises. Le cas des juifs
m’appartient car ils me sont soumis par le joug de la servitude ». Le
statut des juifs se rapproche de celui des serfs dans le sens qu’ils sont
juridiquement dépendants de leur seigneur, qui a sur eux tous les droits,
notamment celui de se rendre propriétaire de leurs biens, de restreindre leurs
mouvements. L’enjeu de souveraineté dépasse ici la simple question des créances
juives.
La dimension raciale de l’antisémitisme contemporain est
absente de l’attitude et des idées de Louis IX. Néanmoins, sa politique contre
les juifs témoigne d’une volonté d’exclusion et d’une détestation qui va bien
au-delà de la seule hostilité à la religion juive. Il est impossible d’ignorer
la violence de la politique antijuive du monarque : brûlement du Talmud
dans les années 1240, imposition du port de la rouelle en 1269, arrestations,
expulsions ciblées et saisies générales de leurs biens, etc…
Sources
Texte : DEJOUX Marie, « Saint Louis, les juifs et
l’usure », L’Histoire, n°431,
janvier 2017, pp 58-63.
Image : https://regardsprotestants.com/culture/les-juifs-au-temps-de-saint-louis/
Commentaires
Enregistrer un commentaire