Esprit es-tu là ? : la mode du spiritisme au XIXe siècle
« Toute l’Europe est occupée à faire tourner les tables » résume la Civilita cattolica, l’organe officieux du Saint Siège en mai 1853. Au milieu du XIXe siècle, l’Europe s’emballe pour cette nouvelle pratique occulte devenue à la mode.
Tout commence en 1848 dans l’Etat de New York. Trois habitantes de Hydesville, Kate, Leah et Maggie Fox prétendent entrer en contact avec l’esprit qui hante leur maison au moyen d’une table. A partir de 1851, les trois soeurs sillonnent les Etats-Unis pour faire part de leurs expériences Elles pratiquent des séances en échange d’une rémunération. En Europe, les gazettes relaient l’information. Les journalistes se moquent des yankees aux pratiques farfelues ou la relient au développement des mormons. En 1853, le plaisir de la table mouvante commence à s’épuiser. Les tables parlantes remplacent les tables mouvantes. Dès lors que la table bouge, il est tentant de lui supposer une forme d’intelligence et donc d’imaginer un esprit capable de communiquer avec des mots. La mode est relancée.
La pratique arrive en Europe par le biais du port de Hambourg, un grand port d’émigration. Des milliers d’Allemand y embarquent chaque année pour s’installer au Etats-Unis. La pratique gagne l’Allemagne, puis l’Autriche. L’utilisation des tables assimile cette pratique se à un exercice de physique mettant en action une sorte de magnétisme animal. Les milieux bourgeois recréent à leur manière les salons du XVIIIe siècle. Apprécie le fait que ce soit une activité mixte. De plus, la mixité, la pénombre et la promiscuité favorisent les initiatives amoureuses et certains propos impossibles à tenir en public sur des sujets variés. Tout ceci concurrent au développement de la pratique des tables tournantes et sa diffusion en France.
Plusieurs facteurs expliquent la diffusion et la faveur du spiritisme en France. Tout d’abord, le coup d’Etat de Louis Napoléon Bonaparte en 1851 a mis un terme à la vie politique. Privés de débats politiques, la bourgeoisie s’adonne à d’autres pratiques. La période du Second Empire correspond également à une période de reconquête religieuse pour l’Eglise au sein de la bourgeoisie. La pratique des tables permet de concilier la pratique religieuse de la bourgeoisie et les principes des Lumières, dont ils se revendiquent, en mêlant science et quête spirituelle. Les tenants de la gauche, quant à eux, contestent par ce biais l’Eglise et son pouvoir. Enfin, l’invention du télégraphe permet de communiquer à des milliers de kilomètres par ondes. Pourquoi les ondes ne permettraient pas de communiquer avec des disparus ? L’homme du premier XIXe siècle est issu de l’Ancien de régime et possède encore une capacité d’émerveillement dans une époque de progrès techniques où subitement tout semble devenir possible.
L’engouement de la France pour ce phénomène a permis d’une part de désaméricaniser le phénomène et d’autre part de le déprotestantiser. Il a ainsi pu être diffusé plus facilement vers d’autres pays catholiques tels que l’Italie, la péninsule ibérique et l’Amérique du Sud. D’ailleurs, le terme spiritisme est forgé en 1857 par le français Allan Kardec (Hyppolite Rivail de son vrai nom) dans son ouvrage Le Livre des Esprits. Tiré du mot spiritualism en anglais, Kardec préfère employer le terme de spiritisme au lieu de spiritualisme. Le spiritualisme est une philosophie admettant l’existence de Dieu et de l’âme et qui en étudient les facultés de ces deux entités. Le spiritisme renvoie à la communication avec les morts.
Le débat sur la réalité du phénomène s’est déroulé dans la presse. L’Eglise s’est tenue à l’écart de ce débat, ne voulant pas lui faire de publicité en la condamnant ouvertement. Il a été recommandé aux curés de na pas participer à cette pratique et de réprimander discrètement les paroissiens s’y adonnant de manière assidue. Dans le monde scientifique, peu de chercheurs reconnus se sont penchés sur la question. Le physicien anglais Michale Faraday constitue une exception. Selon lui, le mouvement de la table résulte de la pression inconsciente des mains des participants.
Le spiritisme est une mode connaissant le même engouement des deux côtés de l’Atlantique. La révolution des transports et des communications l’a rendu possible. Le spiritisme est également l’un des premiers américanismes de la culture européenne.
Sources :
Texte :
CUCHET Guillaume :
« La grande mode des tables tournantes », Historia n°377, juin 2012.
« Le retour des esprits ou la naissance du spiritisme sous le Second Empire », RHMC, 54-2, avril-juin 2007.
Image :
cercle-de-samsara.com
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