Gniezno, berceau de la Pologne : légende de la fondation


Fondée aux alentours des VIIIe-IXe siècles par une tribu slave, les Polanes, Gniezno marque le début de l’Etat polonais. Elle devient la première capitale de la Pologne au Xe siècle et la demeure de la première dynastie royale, les Piast, qui règne jusqu'en l'an 1370. Voilà pour l’histoire officielle. Mais, tout comme Rome, berceau de l’Italie et de l’Empire romain, Gniezno, berceau de la Pologne, a sa légende fondatrice et... fraternelle.

Ici, ce n’est pas l’histoire de deux frères, Romulus et Rémus, mais de trois frères fusionnels, Lech, Czech et Rus, ayant toujours vécu ensemble, depuis leur plus tendre enfance, au même endroit. Ils y ont chacun fondé leur famille. Mais, la faim se fait sentir et les pousse à quitter la terre de leurs ancêtres pour trouver un terrain plus fertile et riche en gibiers.

C’est ainsi qu’ils parcourent tous ensemble avec hommes, femmes, vieillards, enfants, des kilomètres et des kilomètres. Les gardes encadrent l’ensemble du convoi tribal. De régions montagneuses en forêts sombres et marécageuses, aucun terrain ne trouve grâce à leurs yeux. Le moral des trois compères tend à s’affaiblir. L’ensemble de la troupe, au début si joyeuse à l’idée de changer de lieu d’habitation, se lasse de ce mode de vie nomade rudimentaire. Les femmes rêvent d’un bon nid douillet. Les enfants en ont assez de changer d’endroit perpétuellement et ne voient plus du tout cette longue marche comme une aventure. Les personnes âgées fatiguent de plus en plus. Un mort est même à déplorer. Les bavardages des premières semaines ont laissé place à un silence pesant. Les trois frères, situés à l’avant de la file, débattent ardemment :
 «  Cela ne peut plus continuer comme ça. Nous avons déjà un mort. Il faut, à tout prix et très vite, repérer une terre où s’installer, annonce Czech
- Mais que veux-tu ? On ne trouve pas de lieux pouvant accueillir nos familles : soit l’espace est trop restreint, soit les terres sont infertiles, réplique Rus
- Le problème est que l’on souhaite retrouver exactement la même chose qu’avant. Or, il faut se faire à l’idée que cette période est désormais révolue. Il faut arrêter de vivre dans la nostalgie, déclare Lech
- Et oublier nos racines, nos ancêtres ! Certainement pas !! tonne Rus
- Non, ne mélange pas tout, cela n’a rien à voir. On ne les oublie pas. Il faut juste s’adapter aux circonstances nouvelles, répond Lech
- Oui, peut-être… marmonne Rus »
Soudain, un garde vient les interrompre dans leur grande conversation :
« Il fait nuit noire. Nous ne voyons plus rien ! Mieux vaut s’arrêter ici pour bivouaquer.
- Oh c’est vrai !, s’exclame Czech, nous étions tellement absorber par notre conversation que nous ne faisions plus attention à rien. »
Depuis plusieurs semaines de marche, la mécanique est rodée. Le camp est très vite installé. Epuisé par cette longue journée, chacun va se coucher rapidement. Et qui sait, la nuit portera peut être conseil.

Le lendemain, Lech, toujours très matinal, se lève en premier. Après s’être ablutionné le visage au lac auprès duquel le campement a été installé, il relève le visage et reste ébahi devant le paysage qui s’offre à lui : un site vallonné, bordé par une forêt paraissant importante. Le campement encore entièrement endormi, il décide de s’aventurer à l’intérieur de cette dernière où il aperçoit un grand nombre d’animaux. Emerveillé par tout ce qu’il voit, il ne revient que le soir au soleil couchant. Ses frères inquiets, accourent vers lui :
« Mais qu’as-tu fais toute la journée ? Nous t’avons cherché partout Lech ? » lui apostrophe l’un des frères
Mais Lech n’entend rien. Son regard est fixé vers un immense chêne planté, sur une colline au bord du lac.
« Qu'observes-tu donc ? demande Czech
 - Regarde !, fait Lech, regarde ! Ce magnifique aigle blanc en haut de ce chêne monumental ! »
 
Les trois frères sont subjugués par ce magnifique spectacle de la nature : alors qu’un aigle s’apprête à s’envoler de son nid, ses ailes déployées sont illuminées par un rayon de soleil couchant rouge. L’aigle apparaît avec des ailes dorées et un corps entièrement blanc
« Oh oui ! Ceci est un bon présage ! Je le sentais ! s’exclame soudain Lech
- Mais quel présage ? demanda Czech
- Que cet endroit, cette contrée, ce terrain est notre futur lieu d’habitation ! Nous serons bien ici ! Je suis allé dans la forêt, au fond, et il y a plein de bêtes qui ne demandent qu’à être mangées ! Et regardez cette terre ! Cette une terre fertile : on peut y faire pousser n’importe quoi ! Le climat est bon ! Cet endroit vallonné nous protège des ennemis éventuels ! Tout est réuni !! s’enthousiasme Lech
- Euh... peut-être Lech. Mais, tu omets une chose dans ton tableau idyllique, dit Rus
- Oh toi ! Toujours à râler ! Que tu es pessimiste !
- C’est qu’il n’y aura pas assez de places pour qu’on puisse y vivre tous, poursuit Rus
- Mais tu y mets de la mauvaise volonté. Si on aménage bien, on peut vivre correctement et même encore mieux que cela. Dis-lui, toi, Czech.
- Je dois avouer que, sur ce point, Rus a raison. Regarde comme nous sommes serrés les uns contre les autres, rien qu’avec notre campement de fortune. Ca va pour une nuit ou deux, mais au-delà… »
Lech s’assoit et regarde autour de lui. Il finit par se rendre à l’évidence :
« Je dois bien dire que vous voyez juste. Je me suis un peu emporté. »
Attristé par la mine dépitée de son frère, Czech émit une hypothèse à laquelle il a pensé pendant la nuit :
« Vous vous souvenez de notre conversation d’hier ? Toi, Lech, tu as dit qu’il fallait s’adapter.
- Où veux-tu en venir ? questionne Lech »
Czech marque un temps de silence, sachant le poids des conséquences que cette annonce va entraîner : «  Je crois qu’il va falloir que nous nous séparions, pour s’installer chacun de notre côté. »
Les larmes aux yeux, les trois frères se regardent mutuellement. Chacun se doute depuis longtemps, que ce moment arriverait, sans oser se l’avouer. Au fond d’eux, ils savent qu’aucune autre issue n’est possible.

Après quelques jours, Rus et Czech finissent par partir avec leur famille respective : le premier à l’est où il fonde la Russie (ou l’Ukraine, des hésitations subsistent) et le deuxième au sud où il fonde la Bohême (aujourd’hui République Tchèque). Lech reste près de ce lac et cette colline où il aperçut, avec ses frères, un matin, sur une colline, un aigle blanc dans son nid sur le fond rouge d’un soleil couchant (d’où le rouge et blanc du drapeau polonais et l’aigle blanc comme emblème). En souvenir de ce moment marquant dans sa vie, moment où il choisit de s’installer ici, mais aussi le moment où il se sépare de ses frères, il décide de baptiser ce nouveau lieu d’habitat, pour lui et sa tribu, Gniezno (de gniazdo, nid d’aigles en polonais).



Photo, ci-dessus : Gniezno aujourd’hui. En arrière-plan, la cathédrale de Gniezno construite sur la colline Lech, fondée en 1025 et détruite en 1038. Sa forme actuelle date de la fin du XIVème siècle. Cette colline où est érigée la cathédrale pourrait correspondre à celle où Lech et ses frères auraient vu un aigle blanc s’envoler, selon la légende.


Ci-contre : Gniezno au XIXe siècle.

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