Olympias, mère d’Alexandre le Grand : entre mythe, pouvoir et destin tragique

Portrait d’Olympias sur un trône antique, pieds nus, tenant un serpent, regard fier et déterminé.

Découvrez le portrait d’Olympias, mère d’Alexandre le Grand, entre religion, pouvoir et tragédie, jusqu’à sa mort brutale. Une épopée intime et politique.

Naissance d’un mythe : la vocation divine d’Olympias

Une nuit de tonnerre : naissance divine ou mythe politique ?

Le vent se levait sur les hauteurs de Pella, sifflant entre les pins et les rochers abrupts, charriant des éclats d’éternité. C’était une nuit sans lune, une nuit de silence minéral, brisé parfois par l’éclair brutal d’un orage en gestation. Dans les hauteurs du palais royal, l’air était saturé d’encens, de résines brûlantes et de mystère. L’ombre des colonnes antiques se projetait sur les murs tremblants de la chambre, comme les bras invisibles d’une divinité venue réclamer son dû. L’atmosphère était lourde, presque irréelle, comme si le monde retenait son souffle.

Une jeune femme se tenait là, immobile dans la pénombre, sa peau nue frémissante à la lumière vacillante des torches. Olympias, princesse d’Épire, prêtresse de Zeus, fille des descendants d'Achille, était plongée dans un recueillement intense. Elle n’était pas seule. Dans le silence, une présence glissait, invisible, mais pressentie. L’odeur du vin sacré, mêlée à celle du bois humide, accentuait l’impression d’être à la frontière du rêve et du divin. Les rideaux de lin s’agitaient comme des voiles funéraires, tandis que le silence s’alourdissait encore.

Ce fut cette nuit-là qu’elle conçut Alexandre. D’aucuns murmurèrent plus tard que les dieux eux-mêmes avaient soufflé sur son ventre. Ce n’était pas seulement une conception, mais une invocation, un rituel dont le résultat dépasserait toutes les naissances humaines. Elle-même en parlerait longtemps comme d’un acte sacré. Non pas une union, mais une fusion. Une offrande à l’Olympe.

Des années plus tard, elle raconterait que ce n’était pas Philippe, son époux, qui l’avait touchée, mais le roi de l’Olympe en personne. Zeus l’aurait foudroyée dans son sommeil, puis visitée sous forme de serpent sacré, enroulant ses anneaux autour de ses cuisses et de son ventre. Ce récit, mêlant religion, mythe et pouvoir, allait nourrir la légende d’un enfant né du divin — une construction politique aussi bien qu’une croyance intime. Elle ne faiblit jamais dans cette affirmation, même lorsque cela attisait les moqueries ou les soupçons. Elle tenait cette vérité comme un étendard, un dogme personnel.

Et dans le ventre d’Olympias, cette nuit-là, croissait déjà un futur conquérant. Chaque battement de cœur, chaque vibration de l’orage semblait résonner avec cette force qui prenait forme en elle. Ce n’était pas une simple grossesse, mais l’annonce d’une ère. Les déesses elles-mêmes, pensait-elle, l’avaient choisie comme intermédiaire entre le ciel et la terre, comme vectrice d’un être qui dépasserait tous les autres.

Olympias dansant en transe à Samothrace, entourée de femmes et de flammes, brandissant un serpent.

Une jeunesse sacrée : foi, pouvoir et sexualité mystique

La prêtresse et la foi sauvage

Avant d’être mère, Olympias fut une initiée.

Née vers 375 av. J.-C. dans le petit royaume d’Épire, elle grandit au cœur d’une nature abrupte, entre les pics dentelés, les forêts sacrées et les sanctuaires antiques. C’est un pays âpre, indompté, encore traversé par les croyances archaïques où les esprits des montagnes côtoient les grandes divinités helléniques. Dès son plus jeune âge, on disait qu’elle possédait une aura étrange, un magnétisme qui attirait les regards et inspirait la crainte. Sa beauté, dès l’adolescence, dépassait les standards du monde grec : elle n’était pas seulement gracieuse, elle semblait habitée. Son regard, d’un vert trouble, transperçait les âmes comme une prophétesse. Ceux qui la croisaient juraient qu’ils avaient senti en elle une présence plus grande, quelque chose de sacré.

Très tôt, celle qui fut consacrée prêtresse de Zeus, fut également initiée aux cultes dionysiaques, ces cérémonies archaïques où le vin, la transe, la nudité et l’extase étaient considérés comme des portes vers le divin. Là, dans des grottes enfumées, elle dansait, chantait, communiait avec le dieu de la folie sacrée. Les prêtresses, vêtues de peaux de faon, tournaient en cercles effrénés, criant le nom de Dionysos, versant le vin à même la terre. Olympias, elle, allait plus loin. Elle maniait les serpents, invoquait les anciens noms, versait le sang rituel de petits animaux qu’elle tenait ensuite contre sa poitrine pour en ressentir la chaleur s’éteindre. Elle connaissait les chants secrets, les prières murmurées dans la langue oubliée des Ménades. Pour elle, ces rites n’étaient pas des symboles : ils étaient réels, nécessaires, vitaux.

Elle ne séparait jamais la foi du pouvoir. Elle voulait toucher les dieux — et par leur entremise, transformer son destin. Dans chaque offrande, elle projetait déjà une ambition. Devenir la matrice d’un être exceptionnel, un héros, un demi-dieu. La prêtrise était pour elle une voie politique, une élévation stratégique. Dans sa foi intense, elle tissait le récit de sa propre ascension. Plus qu’un lien avec le divin, c’était une promesse de transcendance et d’immortalité.

Olympias endormie dans une chambre sombre, un serpent sacré lové à ses côtés.

Amour, rupture et héritage : la construction du futur Alexandre

Samothrace : la rencontre avec le pouvoir

C’est sur l’île sacrée de Samothrace que le fil de l’Histoire se noua à celui de sa destinée. Loin du tumulte des cités, battue par les vents de la mer Égée, Samothrace était un lieu de silence, de secret et d’initiation. Là, au milieu des colonnes rongées par le sel, des mystères chuchotés et des offrandes de minuit, elle rencontra Philippe de Macédoine. Les cérémonies nocturnes y étaient enveloppées d’une obscurité dense, ponctuées par les torches et les chants des initiés. Les parfums brûlaient lentement, mêlés à l’odeur du bois humide et du sel. C’était un monde suspendu, où les âmes se confondaient avec les souffles divins.

Lui était jeune, plein d’ambitions, général vigoureux et stratège infatigable. Il rêvait de réunifier les Grecs sous sa bannière et de faire de la Macédoine un empire. Sa stature imposante, son regard aigu, sa parole vive et maîtrisée faisaient de lui un meneur d’hommes, un roi né pour la conquête. Mais ce soir-là, sous le ciel noir de Samothrace, il vit autre chose : une femme qui ne ressemblait à aucune autre. Elle, silhouette blanche dans la nuit, semblait sortie d’un mythe. Drapée de lin et parée de bijoux rituels, elle dansait dans l’ombre comme une incarnation de la volonté divine. Elle ne le vit pas d’abord. Puis leurs regards se croisèrent, comme si l’univers les avait choisis l’un pour l’autre.

Ils s’unirent en 357. Ce fut un mariage politique, bien sûr, mais aussi une alliance de forces symboliques : le roi des hommes et la prêtresse des dieux. Cette union représentait bien plus qu’une stratégie : c’était, dans l’esprit des contemporains, une fusion des mondes. L’aspiration de Philippe à la grandeur se mêlait à la ferveur mystique d’Olympias. Ensemble, ils formaient un couple à la fois redouté et admiré, porteur d’un pouvoir que nul ne pouvait encore mesurer. Un an plus tard naissait leur fils : Alexandre, fruit d’une rencontre à la croisée de l’ambition humaine et de la transcendance divine.

Mais dès l’aube, des fissures apparurent. Olympias déclara que Philippe n’était pas le père de l’enfant. Elle ne retourna plus dans son lit. Elle proclama à la cour, sans détour, que seul Zeus avait pu féconder une femme vouée à une telle grandeur. Cette affirmation n’était pas une simple provocation : c’était la fondation d’un récit politique et théologique. Elle posait les bases d’un nouveau mythe, dans lequel elle-même jouait le rôle central de l’élue. Les courtisans chuchotaient, les rivaux grimaçaient, mais nul n’osa la contredire ouvertement. Elle parlait avec une telle certitude que même les sceptiques doutaient de leurs doutes.

Philippe se mura dans le silence. Certains racontent qu’il l’aurait espionnée, qu’il aurait aperçu le fameux serpent enroulé sur sa couche. D’autres affirment qu’il perdit l’usage d’un œil dans une bataille, frappé là où il avait osé regarder le dieu. Les poètes en firent une légende. Les soldats, eux, racontaient cette histoire en murmurant, comme s’il s’agissait d’un blasphème sacré. Le roi, pourtant si puissant, restait dans l’ombre de cette épouse étrange, insaisissable, et de plus en plus inquiétante. Toujours est-il qu’une distance irréconciliable s’installa. Leur union politique se maintint, mais leur lien personnel s’effondra, emporté par le vertige du divin.

Olympias et Philippe de Macédoine se serrant la main dans un palais grec, devant des torches allumées.

L’éducation d’un héros

Philippe s’éloigna. Et Olympias prit en main l’éducation d’Alexandre avec une ferveur que rien n’arrêta. Elle ne se contenta pas de surveiller ses précepteurs : elle façonna elle-même les contours de son esprit. Pour elle, ce n’était pas simplement un futur roi qu’elle élevait, mais l’incarnation d’une volonté divine. Chaque geste, chaque parole, chaque rite auquel elle l’initiait avait pour but de rappeler à l’enfant qu’il n’était pas comme les autres. Elle se plaçait à la fois comme mère, prophétesse et guide spirituelle. La transmission n’était pas seulement intellectuelle, elle était sacrée.

C’est elle qui choisit Léonidas, un homme austère parce qu’ils pouvaient répondre à l’exigence qu’elle avait pour son fils : la maîtrise totale du corps, de l’esprit et du monde. C’est elle qui façonna l’âme de l’enfant, le berçant de récits d’Achille, de héros tragiques, de dieux jaloux et de destins écrits dans les étoiles. Elle lui parlait comme on parle à un élu. Elle le protégeait comme une louve protège son unique louveteau. Elle ne se contentait pas de lui faire lire Homère, elle vivait les scènes avec lui, décrivant les batailles, les serments, les passions, comme si elles faisaient déjà partie de leur propre histoire.

Elle glissait sous ses oreillers des figues séchées et des noix, que Léonidas interdisait. Elle l’emmenait dans les bois, lui faisait réciter des hymnes anciens. Elle lui transmettait un amour fou, exclusif, sacré. Loin d’un caprice maternel, c’était une adoration construite, méthodique, destinée à fortifier en lui la certitude d’être unique. Chaque câlin, chaque regard appuyé, chaque mot murmurait la même chose : tu es plus qu’un homme. Alexandre grandit avec l’idée d’une exception. Il savait que personne au monde n’avait une mère comme la sienne — car sa mère, elle aussi, se croyait issue du divin.

Olympias le forma aussi à la grandeur. Elle l’exhortait à se surpasser, à lire Homère comme un manuel de conquête, à voir dans chaque héros grec un miroir de ce qu’il pouvait devenir. Il apprenait à monter à cheval, manier l’épée, lire les étoiles, mais aussi à se penser comme une figure mythique — la sienne. Lorsqu’à treize ans il dompta le cheval Bucéphale, refusé par tous les autres, elle vit en ce geste un présage. Pour elle, ce n’était pas un exploit de jeunesse : c’était l’annonce d’un règne. Elle raconta l’événement comme un miracle, le premier d’une longue série. Alexandre, nourri de ces rêves, se forgeait une volonté de fer et une confiance en lui presque surnaturelle.

Jamais Alexandre n’oublia cette période. Jamais il ne cessa d’aimer sa mère. Même au sommet de sa gloire, il fera demander qu’elle soit honorée comme une déesse vivante. Le lien qu’elle avait tissé n’était pas seulement familial, il était mystique. Elle n’était pas seulement sa mère : elle était son oracle, son feu intérieur, la voix du destin dans sa mémoire. Et à chaque bataille, à chaque traversée, il emporterait avec lui cette flamme silencieuse — la foi d’Olympias.

Meurtres, pouvoir et vengeance

Les années passent. Philippe guerroie, se remarie, rêve d’une Macédoine unifiée. Son empire s’étend, ses ambitions s’accroissent, et avec elles les tensions à la cour. Mais il garde toujours Olympias comme reine officielle, un symbole qu’il ne peut renier, une présence qu’il n’ose contrarier. Elle, silencieuse, observe chaque remariage avec un calme apparent. Mais derrière le masque, elle compte ses alliés, surveille ses ennemis, et attend l’heure. Le cœur du royaume bat désormais entre les murs du palais de Pella, et Olympias, même marginalisée, en connaît toutes les pulsations. Rien n’échappe à son regard.

En 336, lors d’un mariage dynastique à Aigai, Philippe est assassiné — poignardé en pleine cérémonie, alors qu’il avançait vers l’autel en grande pompe. L’attentat fait vaciller l’ordre politique, mais dans le regard d’Olympias, c’est une délivrance. Elle ne manifeste ni choc ni chagrin. Elle agit. Certains voient dans son silence une culpabilité dissimulée. D’autres, une satisfaction glacée. Mais personne ne peut le prouver. L’essentiel est ailleurs : elle se lève, et elle frappe. Sa vengeance, méthodique, s’abat sur tous les proches du défunt roi qui pourraient encore la menacer. En l’espace de quelques jours, elle change le visage de la cour.

Elle élimine les rivaux, fait exécuter la nouvelle épouse de Philippe, et brûle vif le bébé de cette union. L’acte, d’une violence extrême, choque même les fidèles. Mais Olympias ne recule pas. Elle purifie le trône. Elle lave l’affront. Pour elle, il ne peut y avoir qu’un roi, et une seule lignée : la sienne. Le sang versé est une offrande aux dieux, un renouvellement du pacte initial. Elle croit sincèrement que le destin passe par la destruction de ceux qui veulent l’entraver. Dans ce bain de feu, elle croit voir renaître la pureté dynastique, débarrassée des branches stériles.

Alexandre, propulsé sur le trône, hésite. Il n’est pas naïf. Il comprend ce qui s’est joué, il devine ce qu’a déclenché sa mère. Puis il impose une limite. Il aime sa mère, mais il est roi désormais. Il la réprimande. Il la tient à distance. Il comprend que son pouvoir doit aussi s’émanciper de l’influence maternelle. Il ne peut pas laisser le monde croire qu’il n’est qu’un instrument entre ses mains. Ce jour-là, un nouveau règne commence. Olympias s’incline en surface, mais au fond d’elle, elle ne se taira jamais. Son fils est roi, mais c’est elle qui l’a enfanté — et forgé.

Elle se retire, silencieuse. Mais elle observe. Dans l’ombre, elle continue de tisser des fils, d’écouter les bruits de palais, de noter les loyautés, les trahisons, les faiblesses. La mère du roi reste une pièce maîtresse. Même sans couronne officielle, elle demeure la mémoire du trône, la gardienne des volontés divines. Et si elle n’agit pas pour le moment, ce n’est pas par soumission. C’est parce qu’elle attend l’instant propice.

Olympias lisant une lettre d’Alexandre, assise sur un trône, un serpent à ses pieds, dans un cadre antique au coucher du soleil.

L’exil spirituel : entre correspondance et prophétie

Le départ vers l’inconnu

Lorsque l’expédition vers l’Asie débute, Alexandre a vingt-deux ans. Il est jeune, mais déjà auréolé de respect et d’un charisme qui dépasse les frontières. Il laisse la régence à Antipater, fidèle vétéran de Philippe, homme dur, rompu aux intrigues de cour et aux lois du champ de bataille. Olympias, malgré son influence, n’obtient aucun rôle officiel. Ce choix est un coup dur. Elle aurait voulu gouverner en l'absence de son fils, veiller sur le royaume, incarner la continuité sacrée du pouvoir. Mais elle est trop instable, trop passionnée, trop redoutée. On la soupçonne encore, on l’écarte discrètement. Son pouvoir est devenu plus symbolique que réel.

Sur le port, au matin du départ, elle ne dit rien. Son regard, brûlant, fixe son fils. Il monte à bord du navire royal, casque sous le bras, armure brillante, drapé d’un manteau court qui claque au vent. Il embarque sans se retourner. Elle reste droite. Droite, comme une statue des temples de Dodone de son enfance. Puis, lorsqu’il disparaît à l’horizon, elle s’écroule, dans un sanglot contenu, un effondrement intérieur que seuls quelques proches peuvent deviner. Ils ne se reverront jamais. Et dans cet adieu silencieux, il y a plus que de la douleur : il y a la conscience tragique d’un destin qui les éloignera à jamais, chacun de leur côté du monde.

Mais ils écriront. Beaucoup. Pendant onze ans, la correspondance entre la mère et le fils ne faiblira pas. Olympias, chaque semaine, envoie des lettres. Parfois des feuilles couvertes d’écriture serrée, parfois des messages plus courts, des invocations, des vers anciens, des fragments d’oracles qu’elle recopie elle-même. Elle lui envoie aussi des objets rituels, des reliques, des amulettes protectrices. Elle, restée à Pella, vit chaque bataille comme un épisode de leur épopée commune. Elle relit chaque victoire à travers le prisme de ses enseignements passés, persuadée d’y voir l’écho de ses propres prières. À chaque triomphe d’Alexandre, elle se redresse, certaine que l’Olympe a béni leur lignée.

Elle vit chaque bataille comme une confirmation de ce qu’elle a toujours cru. À chaque victoire d’Alexandre, elle allume des encens dans son sanctuaire privé. Elle tient une carte du monde connu dans sa chambre, sur laquelle elle trace les avancées de son fils, point par point. Elle suit le tracé des fleuves, les noms des cités, les terres désertiques qu’il traverse. Chaque prise de ville est une preuve : son fils est né du roi des dieux. Elle consulte aussi les augures, les oiseaux, les signes célestes. Elle ne se contente pas d’espérer : elle veille par la pensée, par le rite, par la foi. Elle est toujours là, à ses côtés, même invisible.

L’oracle et la certitude

Quand Alexandre atteint l’Égypte, Olympias retient son souffle. Elle sait que cette terre, chargée de symboles et d’histoire, pourrait sceller ce qu’elle a toujours affirmé. Car c’est là, à l’extrême ouest du désert libyen, que se trouve l’oasis de Siwah, sanctuaire du dieu Amon — que les Grecs assimilent à Zeus. L’oracle qui y siège n’est pas un prêtre comme les autres. Il est la voix d’un dieu, un instrument vivant du divin. Ses réponses sont rares, mais considérées comme indiscutables, gravées dans le silence du désert et l’autorité des cieux. Le simple fait qu’Alexandre cherche à s’y rendre est déjà une victoire pour elle. Elle y voit une reconnaissance implicite, un aveu silencieux.

Elle sait que s’il atteint le sanctuaire, s’il interroge le prêtre, la vérité éclatera enfin : le monde saura qu’Alexandre est bien fils de dieu. Elle imagine le temple, les colonnes dressées au milieu des dunes, le sable porté par le vent et les signes célestes s’alignant comme un chœur invisible. Dans ses prières, elle ne demande pas la révélation — elle la remercie à l’avance. Car pour elle, la réponse est déjà connue, inévitable. Tout depuis sa grossesse annonce ce moment. Le désert, la solitude, la parole sacrée : tout converge. L’oracle ne fera que confirmer ce qu’elle sait depuis toujours.

Il y parvient, après de multiples détours dans le désert. Son armée s’égare, manque d’eau, mais lui avance, porté par une volonté hors du commun. L’oasis apparaît enfin, comme un mirage devenu réel. Le sanctuaire, silencieux et majestueux, l’accueille. Ce qui s’y dit ne sera jamais entièrement rapporté. Alexandre reste vague. Mais une chose est certaine : le prêtre l’a salué comme un fils. Et la légende prend corps. De ce jour, Alexandre est plus qu’un roi, plus qu’un conquérant : il est un être à part, élu parmi les mortels, désigné par le ciel. Le désert n’a pas seulement validé un mythe, il l’a scellé.

Peu après, elle reçoit une lettre de son fils. Brève. Mais suffisante. Une seule phrase, qui en dit long. Elle relit cette phrase chaque matin. Elle l’embrasse. Elle la fait recopier. Elle la récite comme un mantra. Elle la fait broder sur un tissu de lin, qu’elle accroche dans sa chambre. Elle la fait graver sur une pierre. Pour elle, ces mots valent tous les serments, tous les actes. C’est la preuve ultime. Ce qu’elle avait pressenti, défendu, revendiqué contre tous, s’est accompli. Elle est la mère d’un dieu. Non plus seulement dans son cœur, mais aux yeux du monde.

Les luttes politiques

Mais tandis qu’Alexandre domine l’Orient, Olympias, en Macédoine, lutte dans l’ombre. Elle n’a plus de fonction officielle, mais elle reste une présence redoutable, dont la parole, même affaiblie, fait encore trembler les couloirs du palais. Antipater, régent officiel, vétéran de Philippe, refuse de l’écouter. Il la méprise ouvertement, la considère comme une femme dangereuse, trop instable pour les affaires d’État. Olympias, elle, ne tolère pas ce mépris. Elle, la mère du roi, la source du miracle, reléguée à un rôle secondaire ? C’est pour elle une blessure insupportable. Alors, elle écrit. Elle accuse. Elle construit dans l’ombre un contre-pouvoir tissé de souvenirs, de loyautés anciennes et de prophéties murmurées.

Antipater, quant à lui, voit en elle une menace persistante. Il ne peut pas l’éliminer. Alors il multiplie les lettres adressées au roi, décrivant ses intrigues, ses prises de position, ses critiques constantes de la régence. Olympias, elle aussi, envoie ses propres missives. Elle parle d’Antipater comme d’un tyran, un homme qui complote contre lui, ou encore un homme qui gaspille les richesses envoyées par son fils, qui se joue du pouvoir pour asseoir sa propre dynastie. Dans ses lettres, elle emploie un ton solennel, presque religieux, comme si ses mots étaient des incantations. Chaque parchemin qu’elle scelle est pour elle un acte de guerre sacrée.

Alexandre, au loin, tente de concilier. Il répond à Antipater avec froideur, à sa mère avec tendresse. Il connaît les défauts de l’un et les excès de l’autre. Mais il refuse de trancher brutalement. Il écrit une phrase fameuse : « Une larme de ma mère efface mille lettres d’accusation. » Cette phrase devient emblématique de son dilemme : entre loyauté politique et fidélité filiale, son cœur penche toujours vers celle qui l’a mis au monde. Il se débat avec les responsabilités du pouvoir, tout en gardant en lui l’image idéalisée de cette mère forte et mystique, dont l’amour a forgé sa légende.

Mais la tension monte. Olympias quitte Pella et se rend en Épire, où elle obtient la régence du royaume, usant de ses anciens réseaux, de son prestige intact et de son intelligence politique. Elle gouverne avec rigueur, mais reste obsédée par la situation à la cour. Elle ne renonce pas. Dans ses rêves, elle dirige encore la Macédoine en l’absence d’Alexandre. Le trône de son fils est vide à Pella, mais elle le voit comme sacré, intouchable — et à défaut de le monter, elle veille dessus. De loin, mais avec la vigilance d’un prêtre devant une statue divine.

Olympias en robe noire face à un bûcher, entourée de soldats et de conspirateurs.

La chute de la prêtresse : solitude, trahison et mort

La fin d’Olympias

Lorsqu’Alexandre approche de ses trente-trois ans, il décide de rappeler Antipater à Babylone pour qu’il rende compte de sa gestion du pouvoir. C’est une décision lourde de conséquences. Il ne supporte plus les plaintes croisées, les soupçons qui s’accumulent. Antipater, pressentant le danger, refuse de venir. Il envoie à sa place son fils Cassandre, jeune mais ambitieux, pour défendre sa cause. Alexandre, furieux, perçoit dans cette désobéissance une insulte, un défi direct à son autorité. Il ordonne à son fidèle général Cratère de prendre la route vers Pella, porteur très certainement d’un ordre secret : destituer Antipater, voire l’éliminer s’il le faut. C’est un geste fort. Olympias, qui suit ces développements avec fièvre, jubile. Elle voit enfin poindre le moment où le vieux régent tomberait, où elle pourrait reprendre la place qui lui revient.

Mais le sort frappe avant que les plans ne se concrétisent. Le 13 juin 323, Alexandre meurt à Babylone. Le monde chancelle. Aucun héritier direct n’est prêt à prendre sa place. La Macédoine se fige. Les généraux s’agitent. Le silence pesant de l’absence se transforme en tumulte. Pour Olympias, la douleur est immédiate, vertigineuse. Elle ne s’effondre pas. Elle ne pleure pas publiquement. Mais en elle, une partie se brise à jamais. Elle vient de perdre non seulement son fils, mais aussi la moitié d’elle-même : le prolongement de sa foi, de sa mission sacrée, de sa grandeur personnelle. Elle comprend que son propre destin vient, lui aussi, d’être frappé en plein cœur.

Elle ne baisse pourtant pas les bras. Elle tente de reprendre les rênes. Elle envoie des lettres aux généraux, cherche à marier sa fille Cléopâtre à un homme influent pour peser sur l’avenir de la dynastie. Elle mobilise les partisans restants d’Alexandre. Mais le monde a changé. Sans l’aura du roi-dieu pour la protéger, elle est de nouveau une cible. Elle reprend les reines du pouvoir un temps et défait Philippe III Arrhidée en 317 Av.J.C. Cassandre, fils d’Antipater, revient avec une soif de vengeance froide car plusieurs de ses soutiens ont été assassinés sous les ordres d'Olympias. Il manœuvre, rassemble les soutiens, et prépare sa chute. Olympias, prise dans l’étau d’un royaume qui ne la craint plus autant, comprend que l’histoire va se refermer sur elle.

Elle est capturée. Jugée dans une parodie de procès, orchestrée pour humilier plus que pour condamner. Elle, la prêtresse, la reine-mère, l’initiée des anciens cultes, n’a même pas droit à une mort digne. On lui refuse l’épée. Elle est livrée à la foule qui n'ose pas l'atteindre. Ce ont finalement les soldats qui jettent les pierres. Elle ne crie pas. Elle ne recule pas. Elle meurt debout, les yeux levés vers un ciel muet. Elle avait presque soixante ans. Son sang coule sur la terre de Macédoine, cette terre qu’elle avait servie, façonnée, contrôlée, aimée — et qui l’enterre sans gloire.

Épilogue : une femme contre l’Histoire

Olympias n’a pas conquis l’Orient. Elle n’a pas mené d’armée, ni dirigé de siège, ni fondé de cité. Elle n’a pas laissé de lois, ni de poèmes, ni de grandes constructions. Et pourtant, son empreinte est partout. Elle fut le creuset d’où surgit une légende. Elle fut la matrice d’un héros, l’étincelle qui fit naître une épopée. À elle seule, elle porta la vision d’un monde réenchanté, où la politique se confondait avec la foi, où la maternité devenait une mission divine. Dans chaque victoire d’Alexandre, il y avait quelque chose de son regard, de ses contes, de sa ferveur. Sans elle, peut-être n’aurait-il été qu’un roi parmi d’autres. Grâce à elle, il devint une figure mythique.

Elle fut une prêtresse mystique, une stratège rusée, une mère absolue. Ses excès furent à la mesure de ses ambitions. Elle ne chercha pas à plaire, mais à imposer. Elle n’attendit pas qu’on lui donne du pouvoir : elle le prit, le modela, le brandit comme une arme. Son nom inspira autant l’admiration que la terreur. Elle transgressa les rôles qu’on voulait lui imposer, refusant de n’être qu’un ventre royal ou une veuve effacée. Elle revendiqua le droit d’agir, d’influencer, de tuer si nécessaire, au nom de quelque chose de plus grand qu’elle : son fils, son dieu, sa vision du destin.

Elle a transmis à son fils la certitude de sa grandeur, la soif de l’éternel, l’appel du mythe. Elle a donné au monde l’homme que les siècles allaient appeler "le Grand". Et même si l’Histoire a parfois voulu l’oublier, ou la condamner, elle demeure la matrice d’un empire, l’ombre sacrée derrière la lumière d’Alexandre. Ses ennemis l’ont lapidée. Les chroniqueurs l’ont souvent caricaturée. Mais son nom n’a jamais disparu. Il continue de fasciner, d’intriguer, de diviser.

Car au fond, Olympias fut plus qu’une mère de roi. Elle fut une femme contre l’Histoire. Une femme qui voulut, coûte que coûte, modeler le monde à l’image de ses rêves — et qui, un temps, y parvint.

Sources et références

Arthur Weigall, Alexandre le Grand, Éditions Payot, 1993

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Commentaires

  1. Ce qu’Olympias a pu communiquer à son fils Alexandre, c’est son ambition, sa fierté, ses colères soudaines, sa crainte de la trahison et de la solitude, son désir de vengeance.

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  2. Mon fils me compare à holympia mère d Alexandre le Grand et de Cléopâtre et

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  3. Mon fils me compare à holympia mère d Alexandre le Grand et de Cléopâtre et

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