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Catalogne : la rebelle de la famille espagnole




L’intervention de Charlemagne dans une Espagne musulmane marque l’évènement fondateur de la Catalogne. Celle-ci s’achève en 801 par la prise de Barcelone. L’espace conquis entre les Pyrénées et Barcelone est intégré à l’empire franc, puis en 814, au royaume de Francie occidentale. L’éloignement du pouvoir royal et la situation frontalière encouragent les volontés d’émancipation. Ainsi à la fin du IXe siècle, des dynasties comtales se mettent en place. Ils affirment leur pouvoir, en se nommant marquis ou prince, mais continuent d’affirmer leur fidélité à la royauté. L’avènement d’Hugues Capet marque une rupture dans les relations entre la royauté et le comté. Désormais la Catalogne est indépendante.
En 1137, Béranger IV, comte de Barcelone, épouse Pétronille d’Aragon. Les deux royaumes se mélangent. Pour distinguer le territoire comtal juxtaposé au royaume d’Aragon le nom de Catalogne apparait. Il est dérivé du latin castlanus, signifiant « le pays des châteaux ». A Barcelone, il existe une assemblée élue, les Corts, avec une représentation du clergé, des nobles et des villes. La Généralité contrôle le gouvernement du roi et les finances publiques. Le catalan s’impose comme langue écrite au XIIe siècle et se distingue de l’occitan.
A partir du XIIIe siècle, l’expansion catalane sur terre s’estompe. La Castille s’étend en Espagne et la France renforce son emprise sur le Languedoc. Soutenu par sa noblesse, le roi Jaume 1er conquiert l’île de Majorque, puis suivent Ibiza, Murcie, Minorque. Ces conquêtes maritimes boostent le commerce catalan. Epices, miel, peaux, plantes, vins, métaux, sucre transitent par les ports catalans, qui s’imbriquent dans le réseau européen des foires de champagne. La Catalogne devient réputée pour son verre, ses draps et son fer de la vallée de Vallespir. Le conflit avec Pise et Gênes, les deux cités commerçantes de Méditerranée, devient inévitable.
Au XIVe siècle, les conflits dynastiques reprennent. Les comtes de Catalogne ne cessent de céder des droits au Corts pour obtenir des revenus, ce qui finit par créer un dualisme politique. D’autant plus que les Corts se présentent comme des représentants de la terre ou de la nation catalane. La situation se complique sur la scène européenne. Le roi de France veut rattacher Montpellier au Languedoc. Le roi d’Aragon entend réunir les terres catalanes. Le roi de Majorque cherche l’appui de l’Angleterre pour se prémunir des projets d’expansion catalane. Fin XVe siècle, la crise que traverse le pays, le mariage de Ferdinand d’Aragon et d’Isabelle de Castille, l’annexion du Roussillon par la France, la prise de Grenade et la découverte des Amériques consacrent l’hégémonie castillane sur la Catalogne.

En 1635, la guerre entre la France et l’Espagne fait venir des milliers de soldats en Catalogne. Leur hébergement devient insupportable aux habitants déjà appauvris par une crise économique et agricole. En 1640, les propriétaires prennent les armes et attaquent les mercenaires espagnols. Les institutions gouvernent et ont même récupéré la légitimité du prince, puisqu’elles s’arrogent le droit de confisquer les biens des traitres à la patrie. La France les soutient en militant pour la formation d’une république placée sous sa protection. Cette période, appelée guerre des Segadors, s’achève avec la chute de Barcelone en 1652.
La Guerre de Succession d’Espagne est aussi une guerre civile. La Catalogne soutient Charles contre Philippe V. Charles pourrait établir sa capitale à Barcelone. Les élites catalanes rêvent de devenir une principauté marchande à l’instar des Provinces-Unies. Elles ne prônent pas l’indépendance du territoire, mais une Espagne décentralisée. Pour contrebalancer l’influence de Charles, Philipe V accorde des concessions, dont un port franc, une compagnie maritime et une réforme fiscale. En 1703, Charles devenu roi d’Espagne, conquiert Barcelone le 22 octobre 1705 et s’y installe. Il jure de respecter les lois fondamentales de la Catalogne. Preuve des divisions régnant dans la population, 6.000 Catalans favorables à Philippe quittent le territoire. Ce dernier assiège Barcelone le 25 juillet 1713. Privé du soutien de Charles devenu empereur, la ville tombe et subit une répression impitoyable. La place du fossé des Mûriers où sont enterrés des dizaines de civils tués lors du siège devient un lieu de mémoire catalan.

A partir de 1870, l’aménagement du port et la création d’un réseau ferré transforment Barcelone.  L’arrière-pays reste à la traine. Des voix s’élèvent pour demander l’autonomie. Quand le roi vient à Barcelone, Gaudi refuse de le saluer et lui parle en catalan. Au début du XXe siècle, un statut d’autonomie est accordé : la Mancommunitat.
Le 13 septembre 1923, Miguel Primo de Riveira, capitaine général de Catalogne fomente un coup d’état contre le gouvernement. Deux jours plus tard, le roi Alphonse XIII le nomme chef de gouvernement. Primo de Riveira s’engage à en finir avec le problème catalan, qu’il considère comme un des plus grands obstacles au développement de l’Espagne. Il réprime toutes les institutions et les modes d’expression catalans. Il interdit le drapeau et l’usage de la langue. La politique anti catalaniste concerne tous les secteurs, y compris le sport et la musique. Le parti indépendantiste « L’Etat catala » dirigé par Francese Macià, devient un mouvement de résistance à la dictature. Macià, qui est réfugié à Paris, est finalement arrêté par la police.
En 1931, les élections ramènent les républicains au pouvoir. Le gouvernement rétablit la Généralité et les Corts. En 1934, Luis Campanys, président de la Généralité, s’empresse de proclamer l’Etat catalan.
En 1938, Franco abroge le statut d’autonomie. La répression vise les opposants au régime (anarchistes et républicains), mais aussi les catalanistes. Il y a une volonté de détruire l’identité de la Catalogne. A nouveau, l’assemblée de Catalogne constitue une opposition anti-franquiste. En 1959, le régime abandonne le modèle autarcique et interventionniste. L’industrie catalane se diversifie. La Catalogne devient le moteur économique de l’Espagne. Néanmoins, elle reste soumise au régime dictatorial et ne peut organiser librement sa croissance. La contrepartie est un développement industriel chaotique et un désordre urbain généralisé.
En 1975, le roi Juan Carlos 1er engage le pays sur la voie de la transition démocratique. La nouvelle constitution de 1978 reconnait la Catalogne, le Pays basque et la Galice comme nationalités. La Catalogne possède depuis 1992 un parti indépendantiste (ERC). Il s’appuie sur l’antériorité démocratique de la Catalogne sur l’Espagne, car il existait un parlement à Barcelone dès l’époque médiévale. Le thème de l’indépendance ne revient réellement dans le débat politique qu’à partir des élections de 2012. Il existe une différence entre l’exécutif et les citoyens. Les citoyens catalans peuvent se sentir catalans, aimer et pratiquer la langue catalane, sans vouloir l’indépendance. La déclaration d’indépendance de 2017 est le fruit de l’alliance des trois partis indépendantistes (PDECAT, ECR, CUP) qui comptent 72 sièges sur 35 au parlement.

Sources
Texte : « 1640-2018 : Catalogne, quatre siècles de rébellion », Historia, n°854, février 2018, pp26-47.
Image : Corts Catalanes d'après une miniature d'un incunable du xve siècle, wikipédia.fr

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