Les origines du
personnage
Le personnage de Merlin apparait
sous la plume de l’évêque Geoffroy de Monmouth au XIIe siècle. Bien qu’il
prétende faire œuvre d’historien, la plupart des spécialistes estiment que ses
chroniques relèvent de l’invention. En 1134, ce dernier rédige Les Prophéties de Merlin qui regroupe
une liste de prédictions portant sur l’évolution de la Bretagne (Grande-Bretagne
actuelle). Il se serait inspiré d’un poème gallois du Xe siècle l'Armes Prydein évoquant un barde du VIe
siècle nommé Myrddin. Au XIIIe siècle, le lettré Giraud de Barri, revenu d’un
séjour au Pays de Galles, rapporte qu’il existe dans les textes anciens deux
Myrddin distincts tout deux devins : Myrddin Emryst et Myrddin Wyllt. Le
Merlin de Monmouth est un mélange de ces deux personnages.
Peu de temps après, Geoffroy de
Monmouth rédige une Histoire des rois de
Bretagne, dans laquelle évolue Arthur secondé par Merlin. Représentant du
pouvoir spirituel, Merlin est à la fois un devin et un magicien possédant un
savoir occulte hérité des Celtes. Il est également un grand architecte
puisqu’il aurait bâti Stonehenge.
Quinze ans plus tard, Geoffroy de
Monmouth rédige une Vie de Merlin (Vita
Merlini) offrant un tableau différent. Il raconte la naissance de Merlin en
précisant qu’il est l’enfant d’un démon et d’une mortelle. Le diable souhaite
avoir son propre envoyé sur terre, tel Jésus. Il dépêche un démon incube pour
engrosser une mortelle dans son sommeil. Il concevra ainsi l’antéchrist destiné
à anéantir l’œuvre de Jésus. Le problème c’est que le démon se glisse sous les
couvertures d’une vierge vertueuse et instruite dans les saints commandements.
Merlin nait à Carmarthen, dont le nom vient de Caer Myrddin signifiant
« le fort près de la mer ». Geoffroy de Monmouth décrit un homme
battu lors d’un combat qui erre dans la forêt. Cette errance est assimilée à
une quête spirituelle. Pour cet aspect, l’auteur s’est probablement inspiré de
Lailoken, un ermite calédonien, mentionné dans la Vie de Saint Kertigern. Ce
dernier se retire en forêt après avoir perdu une bataille. Les Annales galloises, compilées à la fin du
Xe siècle, évoquent la folie de Myrddin. Il est écrit qu’en 573 les fils
d’Elifer affrontent Gwendoleu à la bataille d’Arthuret. Gwendoleu périt durant
les combats. Son barde Myrddin ne supporte pas la perte de son maître et sombre
dans la folie. Cette bataille, opposant les Bretons aux Saxons et relatée par
de nombreux chroniqueurs, a sans nul doute réellement existé. Merlin part vivre
en ermite dans la forêt. Il fuit les pressions de la
société pour se régénérer et se rapprocher de Dieu. Les grands saints
irlandais, anglais et bretons vivent souvent en ermite.
Un personnage a plusieurs facettes
Merlin incarne l’homme d’Eglise
cultivé du Moyen Age, de par son érudition philosophique et théologique. Ces
derniers fréquentent la cour et prodiguent leurs conseils aux grands du
royaume. Merlin institue la
Table ronde et inculque aux compagnons d’Arthur les
fondements de l’éthique et de l’idéal chevaleresque. Il maitrise toutes les
disciplines de l’intellectuel du Moyen Age. Les arts libéraux, hérités de
l’Antiquité regroupent la rhétorique, la dialectique, l’arithmétique, la
musique, la géométrie et l’astronomie. La lecture des astres lui permet de lire
l’avenir. Merlin se distingue des savants des XII et XIIIe siècles, car il se
forme lui-même sans avoir recours à un maitre. Sa figure regroupe le philosophe
grec, l’ingénieur romain et le clerc lettré.
C’est également un druide capable
de prononcer une injonction ou un interdit. Il possède le droit de prendre la
parole avant le roi. Il soigne par les plantes et pratique une médecine
incantatoire. Il peut entrer en communication avec le monde des esprits.
Geoffroy de Monmouth évoque la faculté de Merlin de se métamorphoser en animal
(oiseau, loup, cerf). La légende de Merlin fait écho aux croyances des druides
selon lesquelles les pouvoirs de la forêt constituent une source de magie.
Les druides usent de leurs
connaissances des astres pour prédire les jours fastes aux actions publiques
des puissants. Ils entretiennent un rapport très intime avec la nature. Dans la Guerre des Gaules, Jules
César évoque le goût des druides pour l’astrologie. Les auteurs médiévaux, qui
décrivent Merlin en train d’examiner le ciel, puisent leur inspiration dans la
civilisation celtique. Merlin demande à sa sœur de lui construire une
habitation en forme d’observatoire. Le mage utilise ses connaissances en
astronomie pour s’adonner à la divinité. Ainsi, il prédit l’avènement du roi
Uther Pendragon en observant la constellation du dragon.
Enfin, Merlin est aussi un
ingénieur et un bâtisseur. Le roi Uther Pendragon souhaite transmettre à la
postérité le glorieux souvenir des guerriers bretons morts dans la lutte contre
les Saxons. Merlin suggère d’ériger un mémorial, le futur Stonehenge. Il
choisit les pierres du Mont Kildare en Irlande. Celles-ci sont trop lourdes
pour les hommes de Pendragon. Alors, Merlin jette un sort pour les alléger.
D’autres versions racontent qu’il conçoit une machine de levage pour les
transporter. Cette figure d’ingénieur conseiller du roi n’est pas sans rappeler
Archimède.
Merlin est un personnage
contradictoire. Bien que fils du diable, il sert Dieu. Il est d'ailleurs
longtemps tiraillé entre le Bien et le Mal. Cependant, auréolé de la quasi
sainteté de sa mère, il renonce à Satan et œuvre pour le bien. A ce titre, il
n’emploie jamais la magie noire. Les analogies entre Merlin et Jésus sont
nombreuses. Tous deux naissent d’une vierge, les clercs du roi Vortigern
recherchent Merlin pour le sacrifier, tandis que le roi Hérode envoie des
hommes à la recherche de Jésus. Tous deux se retirent du monde des humains,
l’un dans la forêt et l’autre dans le désert. Jésus réunit les Apôtres et
Merlin les chevaliers de la
Table ronde.
La complexité du personnage de
Merlin s’explique par la diversité des traditions littéraires, celtiques,
chrétiennes, folkloriques et romantiques qui l’ont chacune mise en scène. Les
différents auteurs greffent les obsessions de leur époque et les fantasmes de
leur société. Cette complexité s’explique également par la multiplicité des
personnages plus ou moins historiques qui ont inspiré le personnage de Merlin.
Celui-ci rassemble une mosaïque de savoirs distillés de l’Antiquité jusqu’à la Renaissance.
Merlin et les femmes
Merlin a deux disciples : Morgane
experte en fabrication de poisons et de remèdes et Viviane sachant lire
l’avenir et envoûter le cœur des hommes. Entre le XIIe et le XVe siècle, ces
deux personnages évoluent.
Au départ, Morgane est une
prêtresse de l’île d’Avalon experte dans l’art de guérir avec les plantes. Elle
soigne Arthur après une bataille. Au XIIIe siècle, elle devient la sœur
d’Arthur. Guenièvre la chasse de la cour pour ses mœurs libres. Elle se réfugie
chez Merlin dans la forêt de Brocéliande. Elle perfectionne ses connaissances.
Elle emploie ses savoirs pour se venger et tenter de tuer Arthur.
Le personnage de Viviane apparait
au XIIIe siècle. Le livre rouge de Hergest compile des poèmes attribués à
Myrddin qui évoquent sa sœur jumelle Gwendydd, l’épouse de Ridarch Hael roi
historique du VIe siècle, l’un des participants de la bataille d’Arthuret. Elle
aurait inspiré le personnage de Viviane. Comme la déesse Diane, c’est une fée
de la forêt et des eaux. Merlin en tombe amoureux, mais elle lui refuse sa
virginité. Pour la conquérir, l’enchanteur lui apprend la magie. Celle-ci
l’utilise pour le piéger.
Les personnages de Morgane et de
Viviane montrent à quel point les auteurs, tous masculins et très souvent membres
de l’Eglise, peinent à décrire la femme savante en termes positifs. Au XIIIe
siècle, les femmes sont exclues du savoir puisque les universités n’admettent
que des hommes. A partir du XVe siècle, les femmes savantes sont souvent
considérées comme des sorcières. Pourtant au haut Moyen Age les monastères
féminins sont des lieux de culture et de savoir.
Merlin à travers les âges
Au Moyen Age, Merlin est connu
dans toute l’Europe via ses prophéties. La plupart concerne l’histoire de
Bretagne, mais d’autres évoquent un plus lointain et une aire géographique plus
grande. Ce succès s’explique par le fait qu’une partie de ses prophéties
concerne l’histoire de l’Angleterre du Ve au XIIe siècle, époque où Geoffroy de
Monmouth écrit. Une partie des prophéties tombent justes car elles sont prises
à rebours. On colle un évènement historique sur l’une des prophéties. Certaines
prophéties sont tellement vagues qu’il est possible de les associer à n’importe
quel évènement.
Les prophéties connaissent un vif
succès jusqu’au XVe siècle. Par la suite, le phénomène se tasse excepté dans
les îles britanniques. Les intellectuels préfèrent se tourner vers la
mythologie gréco-romaine qu’ils redécouvrent. Alexandre le Grand supplante
Arthur, d’autant plus que le roi macédonien, lui, ne sort pas de la fiction. De
leur côté, les Français ne s’intéressent plus à Merlin. En pleine guerre de
Cent ans, le personnage est associé à l’ennemi anglais. Au XVIe siècle, les
prophéties de Merlin sont détrônées par celles de Nostradamus.
Merlin profite du mouvement
romantique du XIXe siècle pour réapparaitre. Les auteurs mettent l’accent sur
son emprisonnement par Viviane. Ils sont friands de la thématique de la femme
fatale et de l’abandon amoureux. Ils emploient Merlin pour décrire des
évènements de leur temps ou de leur propre vie. Ils se construisent une seconde
personnalité, proche de celle de l’enchanteur, afin de mieux s’adapter à une
société dont ils sont insatisfaits.
Le cinéma s’empare à son tour de
Merlin. Il apparait dans 110 films entre 1904 et 2004. Depuis le dessin animé
de Walt Disney en 1963, Merlin n’est plus qu’un magicien et un mentor au
détriment de la figure scientifique. Les sociétés occidentales trop
matérialistes ont besoin de surnaturel et l’aspect druide proche de la nature
répond aux aspérités écologiques. L'épisode de la vie de Merlin où il vit en
ermite incarne un âge béni où l’Homme et les animaux vivaient en paix. C’est
une figure idéale pour les mouvements New-Age cultivant le rêve du retour à la
nature.
Sources
Texte : Les Cahiers de
Sciences et Vie : Merlin et les premiers savants, n°150, janvier 2015,98p.
Image : Merlin et Viviane, tableau de Gustave Doré 1868, histoire-de-bretagne.skyrock.com
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